La Commune
27 mai 1871, dernier jour de la Semaine sanglante, les Versaillais écrasent les Communards, c’est la fin du grand rêve de la la Commune.
La Commune a mis en place, en quelques semaines capitales pour la suite de l’Histoire, du 18 mars au 28 mai 1871, le premier pouvoir populaire et ouvrier, impensable auparavant. « Ils » ont fait peur, comme l’atteste l’ampleur de la répression pendant la semaine sanglante et les mois qui suivent. Et pourtant, les Communards n’ont cessé de proclamer, par-delà leurs divergences, leur désir de réaliser un idéal de fraternité et de bonheur collectif.
On n’a souvent voulu voir dans la Commune que les ultimes soubresauts devant la défaite, du Paris turbulent de toujours : Étienne Marcel, la Fronde, les barricades de 1830, la révolution de 1848. Plus justement, la reconquête de la Ville par ceux qu’Haussmann en avait chassés.
Cantonner la Commune à un « mythe socialiste » qui la récupère et utilise son souvenir et sa célébration pour galvaniser les foules, c’est oublier sa législation certes sommaire, mais le temps a manqué, les délibérations de ses clubs, les idées nouvelles lancées par ses dirigeants ; c’est sous-estimer l’élan de solidarité qui a joué en faveur des fuyards recueillis en Suisse, en Angleterre, aux États-Unis ; c’est nier son influence et sa valeur d’exemple pour mieux l’enterrer.
Jaurès a dit qu’elle avait sauvé la République! Lénine n’a pas hésité à proclamer qu’elle préfigurait les Soviets. « Debout, tous. Voici l’aube! »
La Semaine Sanglante
A la reconquête de Paris
Paris, que le peuple chassé vers la périphérie par Haussmann veut reconquérir,
Paris, humilié par la défaite et par l’entrée des Prussiens dans la capitale,
Paris, menacé d’être décapitalisé,
Paris, inquiet de la victoire monarchiste aux élections de février 1871,
Paris, éclairé par les mesures prises par le gouvernement,
Paris attend la faute d’un gouvernement qu’il désapprouve ; elle est flagrante le matin du 18 mars.
Ce matin là, Thiers décide de faire reprendre par l’armée les quelques 200 canons payés par les parisiens pour soutenir le siège et sur lesquels les Gardes nationaux veillent jalousement.
C’est Montmartre qui résiste, en tête : les canons doivent rester dans la capitale. Les soldats eux-mêmes refusent de tirer sur la foule malgré les ordres du général Lecomte. Arrêté, celui-ci sera sommairement exécuté l’après-midi ainsi qu’un autre officier : Clément Thomas.
Thiers donne l’ordre alors à toute l’armée d’évacuer Paris. Les Gardes nationaux soutenus par la foule et les comités d’arrondissement occupent tous les bâtiments publics. La ville reconquiert la ville.
Le 19, les tentatives de conciliation entre le Comité central de la Garde nationale et les maires des arrondissements échouent. Les fonctionnaires quittent Paris. La révolution se durcit. Le 22 mars, le Comité central appelle à des élections communales. Elles auront lieu le 26 mars. Le 28, ce sera la Commune.
Le silence de l’ordre tombe sur la ville.
Lundi 22 mai
« L’heure de la guerre révolutionnaire a sonné… Citoyens… aux armes !.. on peut vendre Paris, mais on ne peut le livrer, ni le vaincre » proclame le Communard Delescluze.
Depuis quinze jours, les Versaillais bombardent Paris, et, la veille, ils ont occupé Auteuil et Passy. La « Semaine sanglante commence. » Dans chaque quartier, les barricades se dressent. Thiers, à l’Assemblée, prévient : « L’expiation sera complète. » Et d’ajouter : « La cause de la justice a triomphé. »
Mardi 23 mai
le Comité de Salut Public lance un appel aux soldats versaillais pour éviter le combat fratricide. Sans succès. On fusille froidement dans le jardin de la rue des Rosiers, en représailles des deux généraux tués le 18 mars.
Partout les incendies éclatent : les Tuileries, la Cour des Comptes, la Légion d’honneur, le ministère des Finances, souvent utilisés par les Communards comme arme de guerre.
Mercredi 24 mai
l’Hôtel de Ville, abandonné par les Communards, prend feu. Les Versaillais occupent les quartiers du Louvre et de la Banque de France et massacrent tout sur leur passage. Ferré décide l’exécution de plusieurs otages à La Roquette, dont Monseigneur Darboy, archevêque de Paris.
Jeudi 25 mai : la rive gauche est occupée ; c’est le massacre à la mitrailleuse. Delescluze meurt sur la barricade.
Vendredi 26 mai
dans la soirée, seuls tiennent encore Belleville, le cimetière du Père Lachaise, les Buttes Chaumont. La foule furieuse exécute 50 otages rue Haxo. L’armée de Thiers ne fait plus de prisonniers.
Samedi 27 mai
massacre à l’arme blanche parmi les tombes du Père Lachaise. Les prisonniers sont fusillés devant le mur : « le mur des fédérés ». Le silence de l’ordre tombe sur la ville.
Dimanche 28 mai
a résistance est réduite. En début d’après-midi, la dernière barricade tombe rue Ramponneau. Les massacres se poursuivent. Le moindre suspect aux mains noires est exécuté.
Le bilan est terrible. Face aux 85 personnes exécutées par les Communards, 17.000 Communards ou Parisiens ont été tués, disent les chiffres officiels ; en fait, sans doute, près de 40.000.
10.137 Communards seront condamnés à mort, aux travaux forcés, à la déportation, les plus heureux à la prison. D’autres parviennent a s’échapper et gagnent l’exil. Le mouvement ouvrier est décapité temporairement. Mais la Commune va entrer dans la légende.
L’Année Terrible (1870-1871)
Une réalité française, un titre, un livre hugolien. Pour Hugo, l’année terrible commence avec les 7 millions 500 mille « oui » obtenus par l’Empire au plébiscite du 8 mai. « Ah le peuple est en haut, mais la foule est en bas ». Rentré à Paris le 5 septembre, il se fait témoin. J’entreprends de conter l’année épouvantable. Il y a eu Sedan. Toulon, c’est peu, Sedan c’est mieux. Toujours les deux Napoléons. Viennent la lutte et le siège. un grand peuple doit être admirable avec rage et en décembre : « France prends ton bâton, prend ta fourche, ramasse les pierres du chemin, debout, levée en masse ». Mais en janvier, la capitulation : « Oh! peuple. Et ce sera le frisson de l’histoire de voir à tant de honte aboutir tant de gloire. » Mars, c’est d’abord la mort de son fils. On l’enterre le 18 mars au Père Lachaise. Le fils mort et le père aspirant au tombeau passe l’un hier encore, vaillant et beau, l’autre vieux et cachant les pleurs de son visage et chaque légion les salue au passage. La mort de Charles n’épuise pas toute douleur. Versailles veut punir la capitale.
Avril : châtier qui ? Paris ? Paris veut être libre.
En mai, la fin approche. Deux villes disent la France. Sois de ces deux pouvoirs dont la colère croît, l’un a pour lui la loi, l’autre a pour lui le droit ; Versailles a la paroisse et Paris, la Commune.
Et voici les incendies : « Est-il jour ? est-il nuit ? Horreur crépusculaire. »
Juin : Hugo qui a qui a quitté la France fin mars, imagine la semaine sanglante : « La femme, la prisonnière passe, elle est blessée, elle a, on ne sait quel aveu sur le front. La voilà. Et l’enfant, sur une barricade, au milieu des pavés, souillé d’un sang coupable et d’un sang pur, lavé, un enfant de douze ans est pris avec des hommes. »
Aussi la pitié : « Oh pitié, quand je pense à ceux qui vont partir. Mais le temps, l’histoire, ne s’arrêtent pas. Tout n’est dit et tout n’est pas fini parce qu’on a creusé dans la rue une fosse. »
Juillet enfin : « La guerre est la prostituée, elle est la concubine infâme du hasard. »
Et pour finir : « Et puisque vous voulez que je vous dise tout ; je dis qu’on n’est point grand tant qu’on est pas debout. »
L’Année Terrible de la proclamation de la République à la fin de la Commune
4 septembre 1870, la République est proclamée !
« Français, le peuple a devancé la Chambre qui hésitait pour sauver la patrie en danger : il a demandé la République. Il a mis ses représentants non au pouvoir, mais au péril. La République est proclamée. La Révolution est faite au nom du droit, du salut public.
Citoyens, veillez sur la cité qui vous est confiée, demain vous serez, avec l’armée, les sauveurs de la patrie ! « .
Tout s’est joué le 4 septembre, après l’annonce de la défaite de l’armée à Sedan et de la captivité de l’Empereur. Le Corps législatif siège sans interruption. C’est la foule qui a imposé la proclamation de la déchéance de l’Empire par Gambetta et c’est Gambetta et Jules Favre qui, respectant la tradition révolutionnaire, ont appelé à proclamer la République à l’Hôtel de Ville.
A dix heures du soir, le 4 septembre, le gouvernement de la Défense nationale, constitué à l’Hôtel de Ville et accepté, bon gré, mal gré, mais sans vote, par le Corps législatif, dont Thiers a présidé la dernière séance, se réunit pour la première fois.
Il va du général Trochu, son président, à Gambetta. Thiers a refusé d’y entrer. Il n’a pas été fait appel aux Internationaux, aux amis de Blanqui, aux hommes des clubs, sauf Rochefort. Le Paris populaire et révolutionnaire est mécontent.
Le gouvernement doit faire face à l’invasion ! Malgré Gambetta, il décide d’ajourner les élections de la Commune de Paris et de la Constituante. Il s’enferme dans Paris, quitte le 7 octobre à envoyer Gambetta à Tours. Sa légitimité reste bien fragile. Tout est incertitude.
Le siège de Paris par les Allemands commence le 19 septembre.
« Citoyens, la patrie est en danger ! Serrez-vous autour de cette municipalité parisienne ».(5 septembre 1870)
Entre le 15 et le 19 septembre : l’ennemi est dans Paris, il arrive de tous les côtés à la fois, après avoir coupé les lignes de chemin de fer et le télégraphe. Mais 22 mille bretons-binious entrent dans Paris.
18 septembre : c’est encore la vie à Paris ; aux alentours, le désert. Tout le monde est venu se réfugier derrière les fortifications avec armes, bagages et vivres.
20 septembre : la Cour martiale est instituée pour juger les lâches et les déserteurs. « Restons donc unis, serrés les uns contre les autres. »
-Gambetta-
Jules Favre au retour de son entretien avec Bismarck :
« Ni un pouce de notre territoire, ni une pierre de nos forteresses. »
23 septembre : arrêté rétablissant Liberté-Egalité-Fraternité sur les édifices publics.
26 septembre : service régulier d’aérostats.
29 septembre : réquisition de tous les blés et farines.
6 octobre : L’Armand Barbès s’envole avec Gambetta qui part pour Tours réorganiser une nouvelle armée pour débloquer Paris, pendant que Thiers essaye de faire un tour diplomatique de l’Europe (il échouera).
8 octobre : 300 ou 400 personnes crient « Vive la Commune ». Le peuple « Vive la République ! Vive le gouvernement, pas de Commune ! »
13 au 31 octobre : tentatives de sorties pas très brillantes.
31 octobre : Flourens proclame la Commune à l’Hôtel de ville, il est arrêté.
15 novembre : la queue aux magasins – 1885 décès entre le 6 et le 12 novembre.
30 novembre : réquisition de pommes de terre – plus de gaz – cartes de rationnement.
18 décembre : il meurt 5 000 personnes par semaine et il fait -13°.
20 décembre : les canons allemands bombardent Paris.
19 janvier 1871 : rationnement du pain ; les denrées sont hors de prix – Réquisition des logements des personnes absentes.
21 janvier 1871 : la prison de Mazas est forcée – Flourens et ses amis remis en liberté.
27 janvier 1871 : 135e journée du siège. Le canon s’est tu. On parle de négociations, les vivres réapparaissent comme par enchantement.
28 Janvier 1871 : l’armistice est signé à Paris
1er Mars 1871 : l’entrée des troupes allemandes est minutieusement réglée. « Après Sedan et Metz, nous croyions la France abattue et la guerre finie : pendant 5 mois, ses armées improvisées ont tenu les nôtres en échec » -Moltke-
Trois Communards célèbres
Courbet Gustave, peintre français
1819 (Ornans) – 1877 (La Tour de Peilz, Suisse)
« Maître peintre, sans idéal et sans religion », de famille républicaine et jacobine, Courbet reçoit une éducation rustique et civique. Cet indépendant se révolte dès l’internat qu’il supporte mal. Plus tard, il s’insurge : « Il ne peut y avoir d’écoles, il n’y a que des peintres », en dehors des écoles et des influences. Il travaille selon ses goûts, cherchant son miel parmi les peintres qu’il admire : Caravage, Géricault, Gros, les Vénitiens (et leur technique), Rembrandt qu’il (re)découvre au cours d’un voyage aux Pays-Bas (1847).
Convaincu que la poésie encourage à « poser pour l’aristocrate », il s’attache à peindre des sujets de la vie courante plus vrais que l’imaginaire, la fiction ou les sujets dits littéraires. Il appartient bien comme Millet aux « peintres de la réalité » -Champfleury- ; il veut « faire de l’art vivant ».
Peintre reconnu et admiré, il expose souvent aux Salons, à l’Exposition universelle de 1855 (onze toiles). C’est le triomphe du réalisme et de son principal animateur : atelier, élèves disciples, il est très sollicité. Il expose quarante de ses œuvres en 1867, à l’occasion de l’Exposition universelle, une véritable rétrospective, dans un pavillon à part.
Pendant la guerre de 1870, il est président de la Commission des artistes chargée de protéger le patrimoine artistique de la France. Élu membre de la Commune pour le 6e arrondissement, il sera tenu pour responsable du déboulonnage de la colonne Vendôme et condamné à rembourser les frais de remontage. On saisit ses biens.
Il finit sa vie en Suisse, n’arrête pas de peindre, sans pour autant pouvoir s’extraire de ses soucis d’argent et de santé. Un des premiers artistes révoltés qui annonce les ruptures du XXe siècle.
1844 : Juliette, sa sœur – L’homme blessé
1847 : Le Violoncelliste, autoportrait
1849 : L’Après-dînée à Ornans
1850 : Un Enterrement à Ornans
1953 : Portrait de Proudhon avec ses enfants
1854 : Bonjour, Monsieur Courbet
1855 : L’Atelier
1866 : Jo, la belle Irlandaise
1869 : L’Hallali, présenté au Salon
1876 : La Voile blanche
1882 : rétrospective à l’École des beaux-arts
Séverine, Carole Rémy dit
1855 – 1929
Caroline Rémy, dite Séverine, une jeune fille ingénue, mariée à dix-sept ans à une brute. En 1880, elle rencontre Vallès qui lui apprend la Commune, les pauvres, le journalisme, le socialisme. Elle fonde avec lui Le Cri du Peuple. Il meurt chez elle
« Ah vous ne savez pas, vous autres, tout ce qu’il était pour moi. C’était mon père… c’était mon enfant »
D’une éclatante beauté, elle va gagner, et bien gagner sa vie comme journaliste professionnelle, demandée par de nombreux journaux, y compris ceux fort éloignés de ses opinions. Celles-ci relèvent du sentiment, de la pitié d’abord, de l’amour aussi. Sa carrière compte peu pour elle dès qu’elle est convaincue. Boulangiste, elle défend ensuite les anarchistes contre la répression, prend partie pour Dreyfus au lendemain de J’accuse . Féministe, elle est une des meilleures plumes de La Fronde. Pacifiste, elle refuse de se rallier à l’Union sacrée en 1914. En 1920, elle adhère au parti communiste, mais le quitte en 1923. Elle a vendu en 1914 son portrait au pastel par Renoir pour aider, à l’heure de la mort, Georges Labruyère qu’elle avait autrefois aimé.
1883-88 : elle travaille au Cri du peuple
17 mars 1893 : à la mort de Jules Ferry, « les faubourgs ont leur cadeau d’anniversaire. Ce n’est plus lui qui les fera mitrailler. »
Vallès Jules, écrivain et journaliste français
1832 (Le Puy) – 1885 (Paris)
Quand il arrive à Paris, en 1848, le jeune Vallès découvre la grande ville : les énergies ensevelies dans la rude Auvergne vont pouvoir se libérer. Son enfance n’a pas été aussi malheureuse que celle de son héros, Jacques Vingtras, mais difficile quand même; son adolescence aussi. L’étudiant besogneux, le jeune pion récuse dans L’Argent la vision de la bohème proposée par Murger : « La pauvreté, elle épuise les forts et corrompt les faibles. »
Sous l’Empire, il apprend son métier de journaliste et acquiert ses convictions de révolté : « Je deviens le candidat du travail. » (1869)
Membre du Comité central des vingt arrondissements, acteur actif des manifestations qui précèdent le 18 mars, il fonde en février 1871, Le Cri du peuple. Elu à la Commune : « La Commune est proclamée, c’est aujourd’hui la fête nuptiale de l’idée et de la Révolution. »
Vallès a été fusillé : maints journaux l’annoncent, fin mai, pour s’en réjouir. En fait, il a pu gagner Londres, mais l’exil dans les brumes de Londres, quelle tristesse ! Il survit grâce à la solidarité des feuilletonnistes et, à l’écart des luttes, il peut écrire trois chefs-d’œuvre : L’Enfant, Le Bachelier, L’Insurgé ».
Enfin l’amnistie, et le retour à Paris ! Le Cri du peuple renaît avec la tendresse de Séverine. Vallès va mourir trois mois avant Hugo qu’il n’aimait guère. La fraternité, la fugacité du journal, tel fut l’univers favori de ce solitaire, de ce révolté. Et article quotidien ou roman, quelle écriture ! « La Révolution vient de perdre un soldat, la littérature, un maître. Jules Vallès est mort. » -Le Cri du peuple, 16 février 1885-
1866 : Les Réfractaires, articles écrits entre 1861 et 1865
1867 :La Rue
1871 : il est élu membre de la Commune – il se réfugie à Londres
1879-86 : Jacques Vingtras, trilogie romanesque comprenant L’Enfant, Le Bachelier, L’Insurgé
1883 : il revient à Paris