Le Dîner effet de lampe de Félix Valloton

Valloton

Dîner, effet de lampe de Félix Vallotton – Musée d’Orsay

Tension théâtrale

Tout au long de ce dîner, les regards étaient tendus vers Madeleine.

« Les personnages jouent merveilleusement leur rôle, mais aussi les meubles, comiques d’une façon si singulière par leurs étoffes, leur emplacement, la signification d’existence qu’ils prennent », êtes vous d’accord avec cette critique de Gustave Geoffroy ?

Sous cette lumière artificielle, une lueur d’ironie dans les yeux, un petit sourire vif fige le tour de table. Pour le point de vue, mais aussi dans le tableau, c’est le sujet central du dîner. Espiègle, lointain, analysez-le pour en connaître toute la complexité.

Le Dîner effet de lampe : 1899 – 57 x 89,5 cm

Sujet

Il s’agit d’une scène intimiste dont les Nabis s’étaient fait une spécialité ; un dîner familial sous la lampe où l’artiste s’est représenté de dos avec sa femme, Gabrielle Rodrigues Henriques, fille du marchand de tableaux Alexandre Bernheim et les enfants de cette dernière, Max et Madeleine.

En 1899 Vallotton est un artiste déjà reconnu, ses gravures ont circulées dans le monde entier, il fait parti de ce groupe « les nabis » dont la notoriété commence à devenir importante. Sa manière de peindre qui apparaissait comme provocante commence aussi à être comprise et défendue.

Les choix de sujet de Vallotton son en rapport avec ceux de sa génération, mais la manière de les traiter échappe à tous les courants de l’époque même à celui auquel on pourrait le rattacher. Vallotton est unique en son genre et son expérience de la peinture très en avance sur son temps : il veut réinventer l’image dans la peinture, non pas comme certains se servir de l’image pour peindre, mais faire réellement une expérience de peinture à partir de l’image et de toutes ses catégories y compris celle de la leçon de morale. L’ironie latente de ses thèmes et de leur traitement est compensée par un charme exceptionnel et une poésie riche de significations comme on peut le constater dans Le Dîner, effet de lampe.

C’est une véritable mise en scène devant laquelle Vallotton nous convie : un repas du soir où figure une enfant et trois adultes. Le peintre a choisi d’abord une chose pour lui essentielle car c’est elle qui va organiser toute la composition du tableau : Le point de vue.

 

Composition

Ce point de vue c’est celui d’un adulte debout derrière un des convives qui, opposé à la lumière est presque une silhouette noire, cette masse noire entre en opposition avec le petit visage de l’enfant de l’autre côté de la table et qui regarde « vers le point de vue ».

La taille de celui qui regarde fait de la scène  ce qu’on appelle dans le jargon du cinéma une plongée. Le lieu c’est celui du repas : la table, un grand ovale, en partie masqué par la silhouette noire, sur lequel s’inscrit un trapèze fait d’une large bande rouge.

La scène est un peu décalée, la table n’est pas exactement sous la lampe, et l’espace est plus important du côté de la mère que des deux personnages masculins, ce qui crée deux parties ,les deux hommes d’un côté, de l’autre la mère et l’enfant.

La verticale est faite par la lampe et la grande silhouette noire qui sont curieusement en opposition, bien que la partie la plus lumineuse ne soit pas la source de lumière mais la nappe ou cette lumière tombe. Une horizontale limite l’ombre du fond et l’endroit où commence le tapis de sol à fond brun.

La perspective est ici créée par le motif décoratif de la table et les lignes des motif de la nappe, ce sont donc des éléments décoratifs qui font l’espace et pas du tout les choses. La raison de ceci s’éclaire si l’on considère que le sujet de ce tableau, son personnage central c’est cette petite fille aux grands yeux noirs, Madeleine.

 

Couleur, lumière

Les yeux de cette enfant sont la vraie lumière de ce tableau, car à y bien regarder, l’univers décrit l’est au travers du regard de l’enfant ; l’adulte est énorme, inquiétant presque, ou bien ridicule, la mère est une grande chose rose très aimante et tous les objets sur la table sont des personnages presque au même titre que les êtres humains.

Vallotton a recréé ici l’univers de l’enfance, La fourchette tend ses doigts, le casse noix est un grand insecte, la carafe un oiseau, les fruits dans le plat sont le désir lui même ; et le tout petit chat noir tourne comme un papillon de nuit autour de l’abat-jour.

Cette table où tout se passe est pour l’enfant le lieu de la lumière, et celle ci se confond avec la nourriture. Nous en étions au fromage semble-t-il et le jeune homme à gauche mange son pain d’une étrange manière, l’enfant attend les fruits et c’est justement au moment où la mère semble lui proposer ces fruits que l’enfant lève les yeux vers nous. Le regard de l’enfant arrête la scène le geste de la main de la mère s’interrompt, tout s’immobilise.

Vallotton est un des premiers à avoir été fasciné par la lumière artificielle, ici une lampe à pétrole ou à gaz. La lumière artificielle a ceci de fantastique ; elle fabrique des ombres d’un noir intense, qui donnent aux recoins sans lumière une profondeur énorme, qui change la perception de l’espace et peut même l’annuler ; c’est le cas dans ce tableau, et cette lumière  sert le propos de Vallotton car il ramène tout à l’instant du repas, en en faisant un monde en soi conforme à la vision d’un enfant. La lumière artificielle, les contrastes de valeurs particulièrement violents, la perspective basculante, l’inquiétante silhouette noire du peintre au premier plan, créent une atmosphère étouffante caractéristique du réalisme aigu de Valloton.

Matière, forme

On peut se demander ce que fait là cette plante verte devant la mère, elle semble faire écran et la cacher aux regards des deux hommes, on peut aussi se demander pourquoi cet homme mange d’une si étrange manière, en tenant sa main droite comme si il faisait un discours.

Tout dans ce tableau si quotidien en apparence est bizarre jusqu’au regard si intense de la petite fille dont on ne sait vers quoi il est dirigé.

La manière de Vallotton faite de faux aplats qui sont en réalité des couches successives opaques de peinture mais dont la succession aboutit à ces formes en apparence lisses mais profondes est le propre de son style très personnel et unique à cette époque.

Pour aller plus loin dans la compréhension de ce tableau

Extrait de Secrets d’Orsay

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