Une nouvelle manière de travailler le nu
« Toutes ces poseuses humilient dans le souvenir les nus des galeries et des légendes », est-ce une diatribe ou un dithyrambe de Félix Fénéon ? A vous de choisir.
Invitation classique, la jeune femme prend la pose. Grâce moderne, elle s’impose, là, en chair et en points. Minuscules, mais savamment disposés. Pointillisme et intimité habillent ce nu d’un halo velouté. Comment fusionnent-ils ? La matière est un élément central de cette toile, travaillez-la tout de suite et vous en saurez davantage sur les conséquences de ce mélange optique.
La Poseuse de profil – 1886 – 25 cm x 16cm
Sujet
Cette toute petite peinture est une étude très achevée et travaillée au petit point complètement, pour le grand tableau « les poseuses » dont le thème central est le nu féminin. La critique féroce à l’égard des impressionnistes, le fut encore plus à l’égard de Seurat, l’incompréhension fut totale. Dans la grande toile achevée en 1888 le peintre a choisi de montrer trois étapes de l’arrivée du modèle dans l’atelier, elle se déshabille, puis ôte ses bas et prend la pose sur un petit tapis blanc de forme arrondie.
La pose est donc divisée en trois moments : de dos, de profil et de face.
C’est donc une étude de mouvement mais décomposé en étapes qui deviennent des points de vue crées par le modèle et non plus par le peintre, car il s’agit bien sûr d’une seule et même personne. Seurat donne ce contenu à l’œuvre, voir simultanément un sujet, ici une femme, sous trois angles différents. Le tout comme la grande jatte en technique pointilliste.
Cette petite étude ne comporte pas l’élément définissant l’étape c’est à dire les bas noirs qu’ôte la jeune femme. C’est une étude de position principalement ; le corps est dans la même position que dans le tableau final, mais complètement dévêtu.
Composition
La nudité du personnage en fait un tableau à part entière qui a le charme des miniatures, elle fait 16cms de large.
Une bordure peinte par l’artiste en bleu foncé entoure le sujet sans l’enfermer selon un mode cher à Seurat, le tableau est construit sur une grande diagonale qui part du coin gauche en haut de la peinture et aboutit au pied droit du modèle, donc au coin droit en bas du tableau, suivant l’épaule le bras et la jambe.
Une autre diagonale donne une indication d’espace, c’est la ligne bleue foncée que fait la plinthe derrière le modèle, elle est légèrement en biais et cela suffit à donner une profondeur légère au tableau.
Couleur, lumière
La taille si petite du tableau insiste sur le caractère intime de cette peinture qui le serait de toute manière par la matière que Seurat a créé grâce à sa technique de points minuscules.
Les bleus et les ocres qui dominent ici, jouent le jeu de ce miroitement complémentaire et créent une lumière très particulière que Seurat n’a pas aménagée seulement en relation avec la direction de lumière ; craignant peut-être le manque de relief malgré l’assombrissement du visage penché, il a créé deux zones de lumière comme une sorte d’aura lumineuse autour du visage et de la jambe gauche du modèle, pour équilibrer cette lumière il a donc foncé celle qui touche le dos.
Le linge blanc qui recouvre le tabouret sur lequel le modèle est assis, se répand comme une mousse blanche sur le sol et accentue l’impression que donne le corps de cette femme travaillée en points minuscules.
Matière, forme
Seurat est célèbre pour avoir créé la technique pointilliste, fruit de la théorie de Chevreul sur la couleur.
Pour certains peintres, cette théorie sur la couleur, l’émergence de la « vérité scientifique » qui commençait à se substituer à la vérité religieuse ou à celle de la sensation eut une importance. On a pensé à une peinture techniquement objective, c’est sans doute le cas de Seurat, mais on ne peut oublier que ces artistes étaient principalement préoccupés par la discipline artistique et que le but de tout cela était d’atteindre à une beauté moderne. Seurat est de ceux-la.
Pour d’autres moins préoccupés de théorie, le pointillisme ne fut qu’une expérience de style sérieuse pour certains, comme Signac, ou amusante comme c’est le cas chez Matisse. La même histoire se répéta d’ailleurs avec les fauves.
Mais Seurat curieusement (d’autant plus qu’il est l’initiateur de cette histoire) échappe à ces deux tendances, car il est ferme quant à l’espoir scientifique de cette technique mais l’amène à un style très personnel qui le fait échapper à cette première donnée.
Ce petit tableau en est un exemple frappant par son charme, sa lumière précieuse et ce qu’elle transporte comme matière, le pointillisme qui enveloppe ici le modèle d’une sorte de vapeur bleutée est plus qu’une expérience scientifique et peut-être plus qu’un style, mais ne l’était-il pas déjà dans La Grande Jatte.
Comme toujours chez Seurat, les formes sont simplifiées, comme solidifiées dans cette lumière particulière que crée l’aura qui les enveloppe, conséquence du mélange optique des couleurs et de la minutie de la facture.