Le peintre possédé par sa peinture
Pour composer un personnage, il faut d’abord connaître l’image que l’on donne à voir aux autres. Les autoportraits de peintres sont fascinants à cet égard.
« Je sais avec certitude que j’ai le sens des couleurs et que celui-ci se développe de plus en plus, de même que j’ai la peinture dans la peau. » Soyez attentifs à ses paroles de Van Gogh, et vous saisirez la proposition d’un trait.
Le soleil tape fort. Au cœur du front, il illumine un champ de blé. Au centre de la toile, il irradie un visage de ses rayonnantes diagonales. Les complémentaires brûlent d’intensité, les touches tournoient d’ivresse. Danse de trois quarts, exécutée au pas de course, ocre, bleu, vert s’enflamment sur un air mêlé de joie et d’angoisse. Le voyage pour Arles s’esquisse. Comment les couleurs fusionnent-elles avec les sentiments ?
Automne 1887
44,1 cm x 35,1 cm
Sujet
On sait l’intérêt que Van Gogh portait à la figure humaine et au portrait. On sait aussi qu’il fit un nombre important d’autoportraits; sans doute l’impossibilité de payer des modèles lui fit aussi choisir de se portraiturer lui-même; mais il est évident que l’expression de sa propre personnalité ne lui était pas indifférente.
Il y a dans l’œuvre de ce peintre une dimension nouvelle que contient en grande partie l’ensemble de ses autoportraits: celle de l’autobiographie. Ce portrait-ci date de l’automne 1887, c’est la fin de son séjour à Paris de deux ans; en février 1888 il quittera cette ville pour le midi. Van Gogh, qui devait sombrer dans la démence, n’a cessé de scruter sa propre image.
Van Gogh a fait 72 autoportraits répertoriés, son oeuvre est ponctuée par cette forme picturale de l’autobiographie. Chacun de ces portraits porte une sorte d’événement caché; l’arrivée à Anvers pour celui de1885, le drame de l’oreille coupée dans celui de février 1889. Ces autoportraits où le peintre se regarde et nous invite à le contempler pourraient être définis par cette phrase: « l’état dans lequel je suis à ce moment là ».
Le moment de ce portrait c’est celui qui précède son départ pour Arles en automne 1887. On y sent la joie presque pathétique d’une décision prise et celle de l’espoir d’un renouvellement, d’une avancée dans l’œuvre, qui se confirmera puisque c’est en Arles que son œuvre atteindra la maturité. Il y a dans ce portrait une vivacité étonnante, l’artiste voulait manifestement retranscrire sur la toile la joie du départ proche et l’agitation intérieure, mais aussi l’angoisse que cet événement provoqua chez lui.
Composition
Simple figure, « portrait de tête », ce tableau est un travail au miroir, le visage, vu de trois-quart, très rapproché est placé légèrement sur la gauche du tableau autour d’une diagonale du haut en bas du rectangle qui délimite l’ombre et la lumière sur le visage. Cette ligne est le centre de la composition, elle forme une croix avec la ligne des yeux, toutes les autres lignes de composition sont aussi en diagonales rayonnantes partant des yeux et créent la forme d’un éventail et le mouvement de son ouverture.
Toute la dynamique du tableau s’appuie sur ces lignes, elle en sont l’ossature. La touche se marie d’une manière complexe à cette structure car elle crée dans le tableau d’autres mouvements contradictoires Mais sans cette fixité verticale le mouvement général de la touche n’aurait pas cette efficacité. Ce sont ces lignes simples et décidées qui donnent le départ de sa force et une part de son intensité.
Le but poursuivi par le peintre est de créer un mouvement à l’intérieur du tableau puisque le personnage est censé être immobile. Van Gogh veut communiquer un moment de passion, et pour ce faire il a besoin d’animer au plus fort le travail de la touche. Mais chez ce peintre et c’est une chose unique dans la peinture le travail du pinceau est habité par une sorte de mythologie personnelle comme nous allons le voir.
Couleur, lumière
Van Gogh s’est là déjà totalement séparé de l’impressionnisme, l’exposition des « peintres du petit boulevard » a marqué l’événement: Lautrec, Bernard, Van Gogh et quelques autres se désignent eux mêmes comme le dépassement de l’impressionnisme et donc comme la nouvelle avant-garde.
Ce tableau date sans doute d’après la maladie de son frère Théo Van Gogh, maladie qui on peut le supposer décida le peintre à décharger son frère de sa présence. Il semble aussi que Paris qui l’a fait considérablement avancer, l’arrête maintenant dans son évolution. Il y a dans cette toile un désir violent d’une lumière plus forte et l’intuition d’une utilisation nouvelle de la couleur et de la touche.
La manière d’Arles est déjà présente mêlée à celle de Paris. Cet autoportrait est certainement une des toiles les plus représentatives de la dernière période parisienne. Van Gogh s’est dégagé aussi de l’influence de Lautrec dans sa manière de peindre après s’être dégagé de celle de Gauguin. Cette technique si personnelle s’affirme brusquement ici. Il y a d’autre part entre le sujet, le peintre et la peinture une perte de la distance qui si elle désigne un élément peut-être pathologique est aussi la marque du génie de Van Gogh.
Le tableau fut sans doute commencé par trois jus légers, un ocre pour le visage, bleu pour le fond et vert pour la veste.
Van Gogh attaque le portrait directement en coups de pinceau empâtés, il crible sa toile de couleurs au point que le visage semble hérissé des traits de lumière. Il n’hésite pas à faire chanter ses couleurs par contiguïté traçant l’ombre sur le visage à coups de traits bleus complémentaires de l’orangé et du jaune dont il a couvert le visage, et faisant tournoyer autour du regard tout le mouvement de la touche ou entrent outre le jaune et l’orangé, un carmin, un vermillon et un vert.
Sur le front, point culminant de la lumière du tableau, les touches de jaune très clair vibrent avec l’orangé et c’est dans la chevelure que cette vibration s’éloigne plus qu’elle ne s’éteint grâce à l’introduction de touches vertes.
Dans la veste où les coups de pinceaux sont plus longs et plus espacés, le peintre développe ce mouvement de tournoiement qu’il a centré sur le visage autour des yeux, ce mouvement est essentiel au tableau car c’est par lui que l’impression du mouvement des épaules passe, mouvement qui laisse à la contemplation de l’œuvre le sentiment d’un instant très bref devant le miroir mais d’une intensité qui pourrait-on dire l’éternise.
Matière, forme
Les touches dynamiques, larges et zébrées de couleurs complémentaires dessinent la forme. Bien au delà de l’impressionnisme découvert à Paris, cette toile annonce les audaces des fauves et de l’expressionnisme.
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