La couleur au service du symbolisme
« C’est le triomphe de la lumière sur les ténèbres. C’est la joie du grand jour opposée aux tristesses de la nuit et des ombres ».
« J’ai toujours éprouvé la nécessité de copier la nature en des objets menus, particuliers, fortuits ou accidentels. C’est seulement après un effort de volonté pour représenter minutieusement un brin d’herbe, une pierre, le pan d’un vieux mur que je suis pris comme d’un tourment de créer de l’imaginaire ». Odilon Redon.
C’est la fuite illuminée. Composition décentrée, la Sainte famille part à dos d’âne, jeu des couleurs, vermillon et bleu azur saturent les vêtements, perspective atmosphérique, la Vierge, l’enfant et Joseph forment une auréole prismatique. Comment la lumière éclaire-t-elle ce moment biblique d’une aura visionnaire et fantastique ?
vers 1900-1903 / dimensions 45 cm X 38 cm
Sujet
Odilon Redon aimait les petits formats, et il excellait à y créer de grands espaces pour la plupart illustrant des scènes à caractère mythologique biblique, tirés de l’Évangile ou produits de son imagination et donc purement mentaux.
La Fuite en Égypte est une vision symbolique de l’Évangile dans lequel la Sainte Famille fuit la persécution.
On distingue néanmoins assez précisément le groupe illuminé en bas à gauche du tableau, la vierge et l’enfant sur l’âne, l’enfant désigne peut-être le chemin de sa petite main, ils sont assis sur un âne de couleur brunâtre, derrière l’encolure de l’animal la figure de Joseph marchand à pieds.
Cette figure est assez fidèle à la tradition catholique dans son imagerie et la position des personnages, par contre le décor, cet étrange paysage d’une grande beauté l’est moins, et c’est par là que Redon échappe à la peinture religieuse pour n’être plus que peintre.
Odilon Redon situe la scène dans un paysage visionnaire où figure un vieil arbre mort gigantesque sur lequel s’appuie un autre, jeune celui-là et tout aussi mort.
L’auréole de lumière qui nimbe la Sainte Famille accentue cette impression d’irréel, de songe.
Composition
L’espace est construit sur une perspective atmosphérique, le premier plan est circulaire, façonné par l’aura de la Sainte Famille qui occupe tout le coin gauche du tableau ; presque au centre et coupant le tableau en deux parties le grand arbre et donc dans cette partie gauche du tableau cette diagonale faite par l’arbre mort et tombé sur son voisin.
Le reste de la composition est dans la nuit plus ou moins lumineuse, on y distingue un lointain peu-être de falaise, d’autres arbres à droite à peine peints de quelques coups de pinceau qui font l’éclat de la lumière sur les troncs.
Le paysage nocturne presque insaisissable forme dans son lointain un arc de cercle, la diagonale de l’arbre tombé qui commence dans une partie d’ombre de cette courbe et qui monte comme elle vers la droite donne à la composition son mouvement qui est celui d’une ascension. Il semble pourtant que le groupe fasse une halte, indécis quant au chemin à prendre, ce serait l’enfant qui désignerait la route à suivre.
Couleur, lumière
Odilon Redon est un des plus grands coloristes de son siècle, ses gammes de couleurs, ses audaces et surtout sa liberté ont fait de lui un artiste qu’on ne peut réduire à l’expression d’une spiritualité plus ou moins mystique. Il est un peintre à part entière, n’obéissant qu’aux règles de l’art et aux siennes propres.
La scène décrite ici est du domaine du fantastique religieux, une auréole prismatique entoure les personnages eux même illuminés par le centre qui semble être l’enfant bien que son visage comme celui des deux autres personnages sont de couleur sombre et complètement escamotés. Le groupe est l’origine de la lumière qui illumine toute la scène ; elle se répand comme celle d’une lampe sur le vieil arbre mort et les autres parties à proximité. Mais elle a la forme d’un rayonnement solaire, et son côté prismatique fait que Redon a joué dans cette étonnante lumière avec les complémentaires rendant la scène encore plus fantastique.
Le lumière rouge qui habite les vêtements des personnages est mise en vibration par ce cercle qui de jaune vire au vert et au bleu ciel sur la droite du cercle, Cette lumière rouge d’ailleurs est elle même composite, au vermillon associé des carmins et des orangés, ainsi que des bruns rouges des jaunes et surtout la tache bleue clair du vêtement de Joseph. C’est cette lumière rouge et non la verte que nous retrouvons sur le tronc du vieil arbre mêlée au rose au jaune et à des beiges jaunes qui rendent la matière du bois mort, écorcé en grande partie.
Le reste de la scène est plongé dans une nuit profonde mais chaude, nuit d’orient, imaginée par Redon ; le ciel à base de bleu d’Anvers (une laque bleue tirant sur le vert) et toute une gamme magnifique de bruns jaunes et de bruns rouges (au fond sur les parties de falaises) qui donne une résonance à la présence du vieil arbre et peuple la nuit de présences merveilleuses, telles celles qu’on attribue aux scène de l’enfance du Christ.
Matière, forme
L’élégance de la touche de Redon est particulièrement sensible dans ce petit tableau, son coup de pinceau est un des plus beau de l’histoire de la peinture, un des plus nobles. Odilon Redon fait surgir avec une grande économie de moyens des univers au charme extraordinaire et dont la magie reste toujours troublante. Il est de ces peintres du XIXe siècle qui ont intégré la modernité qu’il ressentaient profondément sans perdre la mémoire, et tourner totalement le dos au passé, sur le plan du métier, Odilon Redon est très cultivé comme l’étaient aussi Moreau ou Degas, il se dirigea comme ce dernier vers la technique du pastel qui sans doute devaient lui apparaître comme plus apte que d’autres à traduire son univers, les effets qu’il obtint avec cette technique, il les transposa dans la peinture à l’huile avec un égal bonheur, donnant ainsi à sa peinture une matière très particulière, à nulle autre pareille.
Il donne ici l’exemple d’un jeu de lumière, de couleur et de matière d’une audace esthétique rare, construisant un tableau où le sujet s’impose non par sa lisibilité mais par la lumière qu’il dégage en lui-même et autour de lui, en devient la traduction de la vision intérieure de la peinture.
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