Après le repas d’Édouard Vuillard

Édouard Vuillard

Après le repas, Édouard Vuillard – Musée d’Orsay

Un tissage d’étoffes intimiste

« Les scènes de Vuillard continuent à affirmer un intimiste d’un humour délicieux, sachant mêler la mélancolie et le comique, les dosant d’une main légère et faisant apparaître un étincellement de couleurs, un sursaut magique de lumière… », quoi de plus juste et de plus joyeux que cette critique de Gustave Geffroy.

À première vue, de petites touches de blanc attendent sur un fond aux motifs irréguliers. Puis, une femme se distingue, assise sur une chaise dont le dossier jaune s’aligne sur les rayures des tentures. Évanescence des formes, est-ce un chat sur la table, vibration familière de la lumière, une fleur sur la commode ? Pour apprécier toutes les « sonates de ce peintre », soyez tout yeux tout oreilles, écoutez la couleur.

Vers 1900 – 28 x 36 cm

Sujet

Une scène intimiste de petit format au tournant du siècle, caractéristique de l’évolution du style de Vuillard

Un tissage d’étoffes intimiste. Édouard Vuillard a 32 ans en 1900, il sait déjà que c’est l’expérience de la peinture elle-même qui le passionne, il ne croit pas à la primauté du sujet, celui-ci doit reculer dans la hiérarchie des valeurs du tableau. Depuis Manet qui a « dévalorisé » le sujet, désignant tout autre chose à peindre à l’artiste moderne, les nouvelles générations ont investi d’autres sujets et notamment ceux de la vie quotidienne « sans phrase », comme c’est le cas ici.

Édouard Vuillard dont la mère avec laquelle il était profondément lié, avait monté un atelier de couture à Paris, y trouva une source de sujets pour la peinture et sa mère elle-même fut un de ses modèles favoris jusqu’à la fin de sa vie. C’est elle qui figure sans doute dans ce petit tableau, qu’on pourrait d’ailleurs voir plutôt comme une de ses peintures faites sur le vif si l’on peut dire ; un type de travail que Vuillard aimait beaucoup pratiquer et qui a donné à son oeuvre ses morceaux de peinture les plus audacieux.

 

Composition

Tout dans cette composition participe de l’angle droit sauf cette femme au tablier blanc assise à table à gauche de l’image et qui fait la seule diagonale de ce tableau. Ce n’est donc pas l’espace qui intéresse ici Édouard Vuillard, mais bien plus une composition colorée, un jeu de formes dont une part a un caractère géométrique, mais le reste tend à des structures informelles, où la peinture s’affirme comme seule maîtresse du tableau.

A droite de la composition une bande bleue-verte fait une sorte de premier plan à peine perceptible mais nécessaire à la profondeur, car même si le tablier blanc rééquilibre l’intensité, le fond d’un jaune très clair accompagné de rayures roses et carmins aurait tendance à s’avancer, Édouard Vuillard a utilisé le noir de la robe et celui de la table pour densifier le bas de la composition et donner à cette œuvre une zone qui mette en valeur tout le reste du travail de couleur.

 

Couleur, lumière

Le peintre cherchait manifestement la rapidité et le travail pur de peinture il le pousse d’ailleurs au plus loin qu’il peut, c’est à dire jusqu’à l’illisibilité des éléments qui la compose. On a vu à tort dans ces petites peintures une approche de la défiguration, et donc une prémonition de la peinture abstraite, or Vuillard ne cessera de construire de plus en plus précisément ses toiles et ce point là des dernières années avant le siècle suivant est celui où le peintre cherche avec la plus grande liberté à identifier sa manière. il a essayer différentes formes de peinture, et ce miroitement de lumière provoqué par sa manière de poser sa couleur en touche d’une forme si particulière, finit par dominer et éliminer les autres tendances.

Cette recherche il l’a faite avec son ami Bonnard et ils sont arrivés à la même conclusion quant à la conception de la peinture ; ce qui est admirable dans cette amitié c’est que aboutissant aux mêmes conclusions picturales leur peinture se soient différenciées tout en allant dans la même direction

Cette peinture est toute faite de lumière et cette lumière est produite sans véritablement de clair-obscur, le peintre oppose de grandes rayures vertes et soyeuses à d’autres d’un rouge carmin allié au rose orangé, il crible de taches carmins le mur de la pièce, et sans doute le plus étonnant de cette peinture, il fait miroiter le buffet derrière sa mère comme un feuillage d’or.

 

Matière, forme

Vuillard est ici à l’opposé de certaines tendances de sa peinture du début des années 90, il a choisi son camp si l’on peut dire, ce n’est pas « au lit » qui fera son avenir de peintre , c’est l’intérieur vert.

A partir du paravent des Jardins publics de 94 son style se solidifie, il évoluera vers une touche de plus en plus mouchetée sans pourtant perdre ces zones d’aplats de couleurs qui furent à la même époque que son expérience «pointilliste»

Une recherche importante pour lui.

Les formes semblent se brouiller dans ce miroitement de coloris, on peut y lire avec certitude l’influence de l’impressionnisme mais Édouard Vuillard comme Bonnard cherchent quelque chose d’autre à travers la couleur et la touche ; une sorte d’accord triangulaire entre la lumière la matière et le tempérament du peintre, ce qui est une démarche très différente de celle des impressionnistes excepté Cézanne bien sûr.

Dans Après le repas où Vuillard laisse son pinceau rêver les choses, l’être humain, la table, la lumière et tout ce qui fait ce tableau sont pris dans cette même matière de peinture dont le but est de créer une résonance musicale de la couleur. On a dit à juste titre au sujet des œuvres de ce type de Vuillard qu’elles étaient les « sonates du peintre ».

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