La femme à la cafetière de Paul Cézanne

Paul Cézanne

Femme à la cafetière de Paul Cézanne – Musée d’Orsay

Traiter la nature par le cylindre, la sphère, le cône, le tout mis en perspective.

J’ai toujours souhaité rendre à Cézanne ce qui lui appartient : peindre une femme à la manière d’une cafetière.

Est-ce une femme ou un triangle imposant, une cafetière ou un cylindre allongé ? Réalité commune, espace précaire que chacun se partage pareillement. D’où naît cette architecture des volumes ? Suivez la ligne directrice, à vous d’expérimenter la modulation par la couleur !

1895 – 130,5 x 96,5 cm

Sujet

Un portrait frontal d’une femme de simple condition dans sa robe de travail. Elle est assise et va prendre ou vient de prendre son café avant ou après son travail. Le modèle n’a pas été formellement identifié mais il s’agit sans doute d’une des employées du Jas de Bouffan, la propriété des parents de l’artiste près d’Aix-en-Provence.

Composition

Dans ce portrait le personnage de cette femme est nettement décalé sur la gauche pour laisser la place à ce morceau de nature morte sur nappe brune : cafetière et tasse avec cuillère. Le personnage est, si on peut dire, « encadré » par la double porte qui sans est le lieu de sa visibilité. C’est une femme d’origine paysanne, puissante et simple au traits ronds et lourds, aux grandes mains de travailleuse manuelle. Elle porte pourtant une jolie robe bleue, très simple il est vrai et qui ressemble plus à un uniforme qu’à autre chose, mais ce bleu la fait un peu solennelle, elle pose pour son portrait, un peu étonnée, mais amusée par l’événement.

Elle est inscrite dans une grande pyramide que l’ampleur de la jupe accuse, ce triangle est très nettement défini, et il s’appuie sur le rectangle de la porte dont les lignes de construction sont un peu en diagonale, cela crée un espace curieux entre le modèle et cette porte, car cette fuite vers le haut, déformation due à la perspective accuse le côté  puissant et peut-être de haute taille du personnage. Le point de vue est donc un peu plus bas que le modèle ; Cézanne a voulu en faire une figure imposante. La nature morte sur la droite du tableau est tout aussi construite que le portrait qui répond à la volonté de Cézanne de « traiter la nature par le cylindre, la sphère, le cône ».

 

Couleur, lumière

La gamme colorée est retreinte : un bleu profond et richement modulé dans la lumière pour la robe, un camaïeu de gris-beiges rehaussés de roses pour le fond, un brun rouge pour la nappe qui contraste avec ce blanc éclatant de la tasse et du reflet sur la cafetière.

La lumière vient de la gauche et sculpte les formes en accusant les ombres.

Matière, forme

On sait que Cézanne contrairement à ce qu’on a beaucoup répété, ne peignait pas en empâtement. Il avait complètement abandonné cette technique de sa jeunesse, au profit du retour à des méthodes favorisant la peinture claire. Ces méthodes étaient semblent-t-il inspirées par les techniques de pose de couleur de la fresque. Si la touche qu’il avait appris des impressionnistes étaient une des bases de sa méthode, il la pratiquait différemment de ses amis, d’abord en couche mince délayée, légèrement transparente,

et non avec des pinceaux pointus mais avec des brosses plates ce qui donne un caractère très spécifique à sa touche. Cette manière lui vient sans doute de son ami et aîné Pissarro, on voit ce même genre de touche dans son autoportrait de 1873.

Mais ce qui caractérise ce portrait c’est la tendance qui commence à apparaître ici à la reconstitution d’une troisième dimension, certes pas à la manière de la peinture du passé, non c’est une tout autre idée qui germe dans la peinture de Cézanne, il ne s’agit pas le moins du monde de reconstruire l’illusion d’optique ; il s’agit d’expérimenter dans la peinture le volume.

Déjà dans ce portrait on aperçoit cette tendance à traiter les choses en masses assemblées, à ne plus tenir trop compte de cette fameuse surface qu’on sait acquise ; les bras de cette femme, la jupe et les objets sur la table commencent à se simplifier dans leur apparence à changer de nature picturale ; la puissante lumière du midi a changé la peinture à travers Paul Cézanne.

C’est la couleur posée en touches juxtaposées ou superposées qui crée la forme et le volume. C’est la nouveauté du style de Cézanne et ce qui a tant influencé les cubistes.

Extrait de Secrets d’Orsay

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