Une avenue, forêt de l’Isle-Adam, de Théodore Rousseau

Vision idyllique d’un paysage rural

Théodore Rousseau

Une avenue en forêt de l’Isle Adam de Théodore Rousseau – Musée d’Orsay

« Laissez donc les choses de la nature là où la nature les a mises. La nature fait ce qu’elle fait mieux que chacun de nous ne peut le faire. Laissez là ces morceaux de bois. Laissez là ces pommes de pin. Nous serons un jour peut-être bienheureux de les retrouver là. » Et si vous vous abandonniez à cet impératif de Théodore Rousseau ?

Les arbres ne cacheraient-ils pas la forêt ? Perspective mise à l’ombre, fraîcheur du sous-bois, troncs parsemés de taches solaires, regard précipité vers l’azur, c’est une montée au ciel coupée net par le feuillage exubérant des géants verts. Fermière et animaux en deviennent minuscules. Comment la composition orchestre-t-elle cette grandeur végétale ?

Salon de 1849 – 101 x 82 cm

Sujet

Les peintres de l’École de Barbizon, Théodore Rousseau, Diaz, Dupré, Troyon,…, fuient la ville, ses ouvriers, son paysage qui s’industrialise et ses troubles sociaux pour trouver la nature au cœur de la forêt de Fontainebleau, dans ce petit village de Barbizon à une cinquantaine de kilomètres de Paris. La forêt de l’Isle-Adam est encore plus proche de la capitale puisqu’elle se situe à trente kilomètres au nord de Paris.

Cette avenue est une trouée de lumière dans l’épaisse forêt où l’on distingue une petite bergère au repos avec ses bêtes dans une paix idyllique.

Théodore Rousseau né à Paris qui est sans doute le personnage clé de l’École de Barbizon a choisi ce village dans la forêt de Fontainebleau pour y travailler le paysage, il y est d’ailleurs mort en 1867. Il est un des héritiers de cette génération de peintres de la seconde partie du XVIIIe siècle dont Fragonard parait être pour lui le plus proche.

Les peintres du XVIIIe ne se sont jamais séparés des prétextes culturels, pastorales ou scènes mythologiques à l’antique. Ce sera le travail de ces peintres d’écarter du tableau le bagage culturel du siècle précédent, et  de n’y laisser que la grande nature dont ils avaient aperçu le charme et la grande magie dans les décors de Watteau, Lancret Boucher, Fragonard.

Tout le travail de Rousseau se concentre donc sur la nature et aussi sur la recherche du lieu à peindre, nous sommes déjà entrés dans cette tendance de peinture de plein air que Courbet va pratiquer et qui aboutira dans la deuxième partie du siècle à l’idée des impressionnistes et à celle de Cézanne de la peinture sur le motif.

Une avenue, forêt de l’Isle Adam est une œuvre typique de la peinture de Rousseau, ce sont les arbres peut-on dire plus que la forêt elle même qui sont le sujet, les véritables personnages. La bergère et ses vaches ne sont qu’une indication secondaire, elle prendront le premier plan avec les réalistes.

Ici ils sont immergés dans une nature hospitalière et protectrice, en harmonie totale avec elle.

 

Composition

C’est une superbe composition verticale, organisée autour d’une trouée de lumière qui a la forme très légère d’une colonne de fumée, les arbres du centre de la composition

sont éclairés par la lumière du soleil, et les troncs tachetés de lumière forment une perspective cachée, qui précipite le regard vers le ciel au fond de l’espace du tableau, le regard monte alors suivant cette forme de colonne de fumée vers l’azur qui se reprend alors aux  feuillages des grands arbres.

Le sol défini par une tache de lumière qui fait apparaître le lieu où sont les vaches et la bergère, est une ligne en pente douce qui descend sur la droite, elle s’attache visuellement à la colonne du ciel. De chaque coté quatre arbres en soulignent la verticalité.

 

Couleur, lumière

Les arbres sont le corps du tableau, ils occupent la majeure partie de l’image et entourent presque entièrement la zone de lumière qui est comme un T renversé. C’est ce contraste qui crée la profondeur optique du tableau.

On sent néanmoins les lignes de fuite marquées par l’éloignement des troncs des arbres, au premier plan le feuillage des chênes est très sombre, cette ombre profonde est faite de verts foncés et de sépia, les parties d’ombre sur les troncs sont presque noires tandis que les taches de lumière sont presque blanches, ce qui donne à la lumière sa force et son éclat.

C’est en fait la lumière qui structure le tableau, et la forme de cette trouée est comme un appel du ciel vers nous. Celui-ci est moucheté de petits coups de pinceau de blanc et de rose, ces clartés sont reprises dans la composition en bas du tableau sur la vache blanche et la petite coiffe de la bergère points culminant de la lumière.

La  note  bleue de Prusse de la jupe qui joue avec les teintes de beige et de terre de sienne brûlée est la seule note qui contredise cette gamme de couleurs naturelles. Dans le chemin une autre jeune fille s’approche de la zone de lumière, vers nous donc, elle est en jaune et rouge, un châle blanc sur les épaules. Une vache descend la pente sur le chemin, ou passe semble-t-il un ruisseau dont on ne voit presque rien ,mais cette vache brune à taches blanches est penchée et boit l’eau du ruisseau dont on voit un reflet bleuté ; quelques coups de pinceau en blanc marquent le miroitement de l’eau.

Une dominante de verts de différentes nuances, ponctuée du bleu du ciel et de la jupe de la bergère et du brun rouge de la robe des vaches.

Matière, forme

Le travail que Rousseau a fait sur les feuillage est somptueux, il a cherché une façon composite pour créer la matière de ces feuillages et lui donner cet aspect à la fois léger, miroitant tout en leur donnant une densité profonde.

C’est cet alliage qui fait la solennité de ces arbres et leur donne un aspect qui rappelle la tapisserie et son atmosphère. Rousseau veut ici faire surgir la beauté de ces grandes forêts françaises aux arbres très vieux Il y a pourtant, en plus de la fidélité à la nature vue, une idée plastique très intéressante, Rousseau dans ces feuillage évoque une plante humble et minuscule mais qui couvre les troncs et les sols, la mousse, jaune dorée, verte qui parfois a des reflets rouges. Il en a fait la matière cachée de son tableau.

Le travail de l’artiste sur les feuillages dans la lumière, sur le miroitement de celle-ci laisse présager les recherches futures des Impressionnistes sur les mêmes motifs dans les années 1860-1870.

Extrait du travail préparatoire du CD-Rom Secrets d’Orsay

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