Images du paysan dans l’art au XIXe siècle

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Labourage nivernais de Rosa Bonheur – Musée d’orsay

Le paysan devient un citoyen

La Révolution de 1789, puis celle de 1848 ont fait du paysan un citoyen à part entière, une réalité sociale et politique avec laquelle il faut désormais compter. Dans cette société qui voit grandir, le plus souvent avec inquiétude, le monde ouvrier, il ne tarde pas à s’imposer comme l’anti-ouvrier. Pour les uns, vertueux, pieux, travailleur, il rassure le bourgeois ; pour les autres, comme Zola, rustre, fourbe, peu civilisé, il est celui qui vote mal.

Ce n’est qu’à partir de 1840 que le paysan fait son apparition dans la littérature, chez Balzac, qui écrit les Paysans en 1844, et chez George Sand qui pose les bases du roman rustique dans la préface de La Mare au diable. Paul Vernois recensera 473 romans rustiques parus entre 1860 et 1925, dont les auteurs sont pour la plupart oubliés aujourd’hui, y compris le premier paysan-écrivain, Emile Guillaumin.

Dans le domaine de la peinture, le paysan fait une entrée remarquée aux Salons de 1850 et 1851 : malade dans La Malaria de Hébert, revenant de la foire dans Les Paysans de Flagez-Courber, et surtout au travail – c’est une grande première – dans Le Semeur de Millet. Dans Des Glaneuses, Millet donne une image du dénuement du monde paysan.

On peut y ajouter Jules Breton, Troyon, Rosa Bonheur. Haïes par les uns, adulées par les autres, ces peintures sont importantes par l’ampleur du phénomène qu’elles suscitent.

Apparaissent ainsi les préoccupations non seulement esthétiques, mais aussi politiques et sociales de ceux qui les peignent et de ceux qui les achètent, en particulier l’Etat, soucieux dans les années 1880 de diffuser une image de la paysannerie à la fois rassurante et attirante.

Le Vanneur retrouvé

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Le Vanneur de Jean-François Millet

Quelques semaines après les journées de Février 1848, le Salon ouvre ses portes. Millet y présente un Vanneur qui, installé dans la grande salle de l’exposition, fait sensation.

« Il est impossible de voir quelque chose de plus rugueux, de plus farouche, de plus hérissé, de plus inculte ; eh bien ! ce mortier, ce gâchis épais à retenir la brosse est d’une qualité excellente, d’un ton fin et chaud quand on se recule à trois pas.

Ce vanneur qui soulève son van de son genou déguenillé, et fait monter dans l’air au milieu d’une colonne de poussière dorée, le grain de sa corbeille, se cambre de manière magistrale ».

Les plus satisfaits sont encore les amis républicains de Millet, Charles Jacque, Jeanron (directeur du Musée du Louvre), qui, voyant dans cette grande figure un élément du drame social que vivait l’époque, poussent Ledru-Rollin à acheter le tableau ; ce qu’il fait, pour le prix de 500 francs, dix fois le prix moyen auquel Millet vend généralement ses toiles.

Une autre histoire raconte comment le tableau perdu pendant plus de cent ans, a été retrouvé récemment dans un grenier en Amérique !

1885, Des paysans autour d’un plat de pommes de terre, le soir

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gravure d’après les mangeurs de pommes de terre de Van Gogh

Le tableau auquel il a pensé toute sa vie. Tout l’art de Vincent Van Gogh est influencé et dominé par les mangeurs de pommes de terre. « L’unique composition peinte. Son pinceau obéit. Il l’a peinte dans sa première technique… par des traits accusés mais pleins, dans le genre de Millet. » -lettre à Théo-

Il ne lui reste plus qu’à adopter la palette des impressionnistes pour que son génie s’exprime. L’esquisse après le motif. Le tableau par cœur.

« .. toujours occupé à ces paysans assis autour d’un plat de pommes de terre. Je reviens à l’instant de chez eux, j’ai même travaillé à la clarté de la lampe, bien que l’étude ait cette fois été établie de jour. J’ai peint de nouvelles études de têtes, et les mains surtout ont beaucoup changé. Je fais de mon mieux, en toute chose, pour y mettre de la vie. Je vise à peindre la vie-même… tout simplement. Et je la peins de mémoire, sur la toile-même. (…) j’attache beaucoup de prix à un propos de Delacroix. Il soutenait que c’est de tête que l’on fait les meilleurs tableaux. J’ai voulu, tout en travaillant, faire en sorte qu’on ait l’idée que ces petites gens qui, à la clarté de leur lampe, mangent leurs pommes de terre en puisant à même le plat avec les mains, ont eux-mêmes bêché la terre où les patates ont poussé : ce tableau, donc, évoque le travail manuel et suggère que ces paysans ont honnêtement mérité de manger ce qu’ils mangent ! »

1899, Jacquou le croquant d’Eugène Le Roy, le livre des souffrances paysannes

Quarante-huitard impénitent, socialiste, Eugène Le Roy est fonctionnaire aux Contributions directes, quand il écrit ses premiers romans. Ce provincial réservé, à la barbe de patriarche, l’est beaucoup moins dans son roman sur les souffrances paysannes : roman de vengeance, d’indépendance et de révolte, mais aussi de simplicité et parfois de joie.

Jacquou le croquant, roman plus historique que réaliste, n’est pas en ce temps le livre de la condition paysanne, ni de la révolte, mais celui de la mémoire paysanne confrontée à l’évolution économique et technologique.

Là où parle Eugène Le Roy, le « progrès » n’a pas cours.

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