Galatée de Gustave Moreau

Mythe et préciosité

Galatée de Gustave Moreau - Musée d'Orsay

Galatée de Gustave Moreau - Musée d'Orsay

« Un antre illuminé de pierres précieuses comme un tabernacle et contenant l’inimitable et radieux bijou, le corps blanc, teinté de rose aux seins et aux lèvres, de la Galatée endormie dans ses longs cheveux pâles. », voilà comment Huysmans détaille les « magismes du pinceau de ce visionnaire ».

Qui est dans l’œil du cyclope ? La nymphe ne le voit pas. Polyphème en est amoureux. Dans une lueur chaude et nacrée, son corps nu et suave crée l’espace. Couronnée d’une myriade de fleurs, roses, blanches, bleues, sa chevelure ruisselle sur une eau ténébreuse, allongée sur des formes mi-aquatiques mi-végétales, la belle ténébreuse serait-elle sous le charme ? Quel rôle joue la lumière dans cette interprétation fantastique du mythe ?

Salon de 1880 – 85,5 cm x 66 cm

Sujet

La nymphe de la mythologie grecque Galatée, endormie nue dans une grotte et observée par le cyclope Polyphème. Comme toujours dans ses emprunts aux diverses mythologies (grecque, orientale…), G. Moreau ne représente pas un épisode précis du mythe mais peint une image à caractère fantastique, fruit de son imagination nourrie par la légende. Ce tableau, peint sur bois, suscita un torrent de critiques enthousiastes au Salon de 1880 (« Le tableau le plus beau que M. Moreau ait peint jusqu’ici » écrit Marius Vachon qui évoque la Joconde et en loue l’imagination fantastique et « l’exécution étonnante »). Un autre voit en Galatée le symbole même de la Beauté. Quant à Huysmans, il parle de « féeriques visions » rendues par le « magisme du pinceau de l’artiste ».

Gustave Moreau a beaucoup étudié la peinture italienne qui est à la source de sa peinture, il ne veut pas rompre le lien qui l’unit au passé, ce qui le préoccupe est la manière dont son époque a usé de cet immense héritage pour lui la peinture est une évidence sans trouble et c’est sans doute cette attitude qui lui permit de reste l’artiste libre et le professeur reconnu par tous ses élèves jusqu’à Matisse comme l’homme à l’enseignement le plus épanouissant de cette époque.

Galatée est une nymphe de l’antiquité, deux mythes s’opposent à son sujet le premier, raconte une histoire de jalousie amoureuse entre Polyphème et Acis le jeune amant de Galatée, que Polyphème tuera en l’écrasant sous un rocher dont Galatée fera surgir une source, qui donnera naissance à un fleuve Acis. L’autre version plus intéressante raconte que Polyphème amoureux de Galatée n’arrive pas à émouvoir la nymphe, et que c’est en  jouant de la flûte qu’il la séduit. Il semble que Gustave Moreau fut plus inspiré par la seconde version.

Composition

Il n’y pas de perspective construite dans ce tableau fantastique si l’on considère que dans un tableau la diagonale est la ligne fondamentale qui crée l’espace, alors c’est le corps de la nymphe qui est la mesure de l’espace dans ce tableau et comme nous le verrons par la suite aussi la lumière essentielle.

Cette grande diagonale qui va du pieds de Galatée jusqu’à sa main gauche cachée en passant par la place du sexe est répétée dans la position du visage de Polyphème, toutes les autres formes sont verticales, qu’il s’agisse du rocher sur lequel est appuyée Galatée, des falaises lointaines, des taches de lumière à droite du tableau, et surtout des plantes qui ornent le décor. Deux horizontales, celle d’eau en bas du tableau vers laquelle le pieds de Galatée semble se tendre, et une zone très sombre en haut du tableau qui semble elle clore l’univers du tableau, le refermer comme un coffret sur lui-même.

Couleur, lumière

Moreau avait deux manière de traiter ses sujets, une qui touchait au travail sur le corps humain et ce qui était directement en rapport avec lui, l’autre au décor et aux lointains où sa merveilleuse imagination s’exerçait à loisir, souvent avec une invention plastique d’une variété étonnante.

Toute la lumière de ce tableau est concentrée dans le corps de Galatée, cette lumière ne vient pas réellement de l’extérieur, Moreau l’a concentré sur ce corps à tel point qu’il semble qu’elle soit l’émanation même de ce corps dont la chair et la coloration de la peau sont d’une suavité et d’une vie qui sans doute lui vient aussi de sont attention à la peinture italienne du XVIe siècle qu’il a abondamment copiée et dont avec son ami Degas il a sans doute percé bien des secrets.

Un critique évoque la Joconde à propos de Galatée.

Mais le peintre ne s’est pas privé d’un de ces fameux lointains chers à la peinture Flamande et Italienne, une trouée en haut et au milieu du tableau rappelle qu’il y a un extérieur à cette scène voluptueuse mais que cet extérieur participe de la volupté de cette scène.

Moreau faisait de véritables recherches d’inspiration pour créer sa faune, sa flore, et bien sûr ses décors ; comme si le peintre possédait en lui-même un pays à nul autre pareil dont il aurait toute sa vie durant décrit l’univers composite et étrange à souhait. Mais c’est toujours à partir de documents sur le réel qu’il façonne ses plantes imaginaires et ses palais enchantés.

A l’or des cheveux de Galatée répondent toute une faune de fleurs étranges travaillées souvent en transparence à partir de laques et d’alizarines translucides, des garances, des bleus de Prusse, des émeraudes et toute une gamme savamment répartie de brun et d’ocres. A ce fouillis végétal où se mêlent l’aquatique et le terrestre est opposé le bijou du corps dont il est l’écrin, et cette ouverture où le visage aveugle de Polyphème voit brusquement d’un troisième œil la beauté suprême de l’objet de l’amour.

Matière, forme

On peut se demander si toute cette richesse de matière, de plantes de roches n’est pas aussi là pour contredire la pure simplicité sublime de la chair de la nymphe sur le plan plastique, mais un détail qui n’est d’ailleurs des moindres peut laisser penser que Moreau voyait et imaginait toute cette floraison étrange et aussi inquiétante, comme une aura de ce corps ou plutôt un commentaire de la féminité de Galatée. La nymphe est couronnée de fleurs blanches, roses et bleues certes, ces fleurs sont associées à cette extraordinaire chevelure d’or qui ruisselle de ses épaules derrière son bras et tombe comme une cascade vers l’eau en bas du tableau, une eau noire et pleine de reflets, immobile annulant l’idée d’un sol solide ; d’où semblent sortir ces belles plantes vénéneuses.

Polyphème est un géant amoureux d’une toute petite femme, c’est un dieu rouge. Moreau l’a placé dans cette trouée de ciel d’où il peut contempler la nymphe ce beau fruit de l’eau et de la terre vénéneuse sans doute, elle est la beauté de ce siècle célébrée par Charles Baudelaire et Huysmans qui parle du « magisme » du pinceau de Moreau. On est frappé par l’extraordinaire virtuosité technique de l’artiste dans le traitement des plantes de toutes les couleurs, véritables miniatures fantastiques, ciselées comme des pierres précieuses. Contrastant avec cette riche matière décorative, le rendu des carnations contrastées de Galatée et de Polyphème qui témoignent d’un art à son sommet.

A l’ambiance du décor végétal de la grotte s’oppose le classicisme des formes du corps de Galatée hérité de la Renaissance italienne.

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