Reportage social
« Monsieur Courbet a voulu rendre un enterrement de petite ville, tel qu’il se passe en Franche-Comté, et il a peint cinquante personnes de grandeur naturelle, allant au cimetière. Tel est le tableau. », réflexion de son ami et critique Jules Champfleury.
Il y a du monde à l’enterrement. Le clergé, les notables et les villageoises déambulent. Ondulation des têtes, le défilé avance, réalité des détails, le rouge aviné des bedeaux surprend, perspective chrétienne atténuée, le crucifix est brandi comme un drapeau. Le cercueil se précipite vers la fosse, tandis que le curé cherche son texte. Comment la composition rend-elle cet événement historique ?
1849-1850 – 315 x 668 cm
Sujet
C’est une peinture réaliste, elle représente des hommes dans différentes conditions et c’est une peinture d’histoire. En tout une cinquantaine de villageois de différentes catégories sociales sont ainsi portraiturés et un événement banal, un enterrement campagnard dont les rites sont soigneusement observés est érigé en événement historique. On peut reconnaître fossoyeurs, curé, enfant de chœur, maire, bourgeois, paysans, paysannes et même juges.
Sur le registre des entrées aux Salons, Courbet donne pour titre à ce tableau « Tableau de figures humaines, historique d’un enterrement à Ornans ». C’est la première toile monumentale de l’artiste, destinée au Salon de 1850-1851.
La réalisation de ce tableau commence après la révolution de 1848 qui marqua pour Courbet et ses amis la fin d’une époque, la république est rétablie, pour peu de temps certes, mais Courbet achèvera son tableau avant le coup d’état de Louis Napoléon. Le peintre disait de ce tableau qu’il représentait l’enterrement du romantisme ; mais ce tableau dépasse considérablement cette affirmation de Courbet dont le goût pour les déclarations provocantes servait souvent de masque à la réalité de son propos et de son génie.
Manet son « grand disciple » ne s’y est pas trompé, il a fort bien compris le glissement que Courbet fait subir au sujet et ses conséquences sur l’art de peindre, le style, la composition, et même la manière.
L’Enterrement précède l’Atelier de quelques années, mais il est dans le même esprit d’une toile monumentale faite pour le salon qui marque non seulement une étape dans l’oeuvre du peintre, mais surtout qui contienne un propos tel qu’en portait encore à l’époque la peinture d’histoire, particulièrement celle issue du mouvement romantique.
Courbet donne une forme monumentale à un enterrement dans une petite ville de province, celle où il est né. Sans doute, et on l’a dit abondamment cet enterrement est le sien propre mais ne serait-ce pas plutôt celui de Courbet romantique. Un de ses grands rêves était de peindre Victor Hugo, il ne put le réaliser, mais on peut comprendre l’importance d’un tel personnage pour lui ; romantique républicain, Hugo est la grande figure romantique issue des suites de la révolution.
Courbet, pourtant, sait que les différents courants du romantisme ne coïncident plus avec l’époque, le réel a pris une autre tournure. L’allusion au religieux est bien sûr évidente dans l’enterrement ; le catholicisme Français a traversé la tempête mais ce qu’en dit Courbet est fort intéressant.
Composition
Le jeu de la composition, Courbet le désigne d’un détail certes, mais fortement isolé et qui donne vraiment l’impression de présider au « destin » du tableau : Le crucifix. Il désigne en premier lieu le sujet : la mort placée haut dans le tableau mais pas au centre, se superposant au ciel, bien sûr, lequel est bien sombre ce jour-là, il est le signe de la composition.
Cette cérémonie est celle de la mort sans phrase, le prêtre d’ailleurs cherche son texte et tout le monde attend cette bonne parole qui se semble pas venir.
Cette petite foule Courbet l’a disposée horizontalement sur une longue bande de plus de 6 ms de long, mais elle ne s’arrête pas au tableau, le cortège continue hors champ où il y a le reste, tous ceux qu’on ne connaît pas, les autres, toute la société, celle qui est ailleurs qu’à Ornans, mais qui est elle aussi directement concernée par le sujet : la mort. Cette foule ondule, en passant devant le trou, Courbet donne ainsi le mouvement et la vie à ce défilement lent qui ne semble pas se faire dans un cimetière mais en pleine campagne dans la nature.
Trois lignes horizontales donc, en haut les falaises du Jura, la ligne ondulée des visages, et la ligne du sol qui elle répond à celle des visages par son irrégularité, mais où s’inscrivent les moments d’arrêt : le prêtre, le fossoyeur, le chien.
Deux diagonales traversent la scène sur la gauche, elles sont parallèles et précipitent le mouvement vers la tombe : celle des porteurs du cercueil, du le cercueil lui-même et de l’enfant de chœur ; et celle qui suit la chute de la falaise les têtes des officiants, du curé et du fossoyeur. Il y donc deux mouvement dans cette immense toile : celui de la foule qui déambule, et celui qui mène à la tombe.
Couleur, lumière
Le travail de peinture est ici somptueux, il renouvelle l’art de peindre issu du romantisme en revisitant Titien et Tintoret , mais ce n’est pas un retour aux sources donc en arrière, Courbet veut nourrir « son art du réel » d’une richesse de beauté par les coloris bien sur, mais aussi par cette lumière très particulière qui est la sienne et qui fascinait Baudelaire. Il ajoute à cela une recherche de matière qui l’amènera par la suite à utiliser le couteau à peindre et à créer un nouveau genre d’empâtement.
La symphonie des couleurs est ici en notes graves et les timbres y sont puissants ; à la note rouge et avinée des deux juges et de leur robe, répond les bas d’un vert émeraude acide et froid du personnage au chien ; au blanc du cercueil, des écharpes de soutien de l’aube de l’enfant de chœur et des manches du fossoyeur, correspond le flot noir des vêtements de deuil.
Les couleurs sont fortes et intenses mais elles restent des notes dans un univers sombre et beau où dominent les visages et la couleur noire.
La grande traînée de lumière qui illumine le ciel à droite a son pendant d’ombre à gauche, où la nuit tombe, c’est là le ciel du crucifix, ce n’est pas encore la nuit de l’extinction mais on s’en approche et c’est de toute manière la mort que la religion célèbre ici.
Il y a 43 personnages plus un cadavre dans cet immense tableau, aucun n’était indifférent pour Courbet, il pourtant traité ces visages dans les mêmes tonalités, et la mort, la mort sans phrases qui habite ce tableau nous parle maintenant de tous ces morts ; c’est sans doute ce que voulait Courbet, que ce long cortège disparaissent dans le temps, que tous ces portraits admirablement brossés passent et que derrière apparaisse vide d’homme, pour elle-même : l’autre de l’homme, la nature. Que cette falaise de visages cède la place à la lointaine falaise de pierre, et que notre mort ne soit qu’un rappel à nous-même.
Formes, matière
Forme et matière sont celles de la réalité objectivement observée par le peintre. C’est la révolution stylistique de ce tableau d’une force de conviction et d’un poids exceptionnels qui en font un des tableaux les plus importants de l’histoire de la peinture du XIXe siècle.
De part et d’autre de la tombe, l’homme au chien, l’opposé, qui n’a rien dans la main que son geste qui désigne la tombe et le curé de noir vêtu qui cherche dans le livre un texte que ses mains ne trouvent pas, dialogue sur la tombe comme dans « les bergers d’Arcadie » de Nicolas Poussin, c’est aussi une question qui est posée mais ce n’est plus la même.
Courbet est ici encore inspiré par Tintoret, la matière est puissante les coloris sombres et forts il réunit tous ces visages et les isole à la fois.
Au bout de la droite du tableau, un petit visage de jeune fille est comme perdu dans le noir, il clôt discrètement le cortège par un regard vers nous qui regardons le tableau, il ferme ce que le drapé blanc a commencé de l’autre côté du tableau, dans cette diagonale qui s’achève dans l’ocre de la terre, passant de mains blanches en manches blanches, le chien fermant cette diagonale, de l’autre côté du trou.