L’opéra et l’opérette au XIXe siècle

HVT082_21858 : L’heure légère

Depuis que Jacques Offenbach a ouvert son petit théâtre des Bouffes parisiens, il y a déjà produit avec succès sept opérettes en un acte.

Mais son premier triomphe parisien, il l’obtient le 21 octobre 1858 avec Orphée aux enfers (opéra bouffe en deux actes) ; ce jour-là, « la bouffonnerie lyrique fut un besoin de l’esprit parisien » et des foules d’étrangers habitués à venir à Paris pour les Expositions universelles.

L’opérette est née sous le Second Empire grâce à Florimond Ronger, dit Hervé, organiste à Saint-Eustache à ses heures graves, chef d’orchestre dans les théâtres à demi-mondains à ses heures légères : il y donne alors dans la loufoquerie, comme si tout à coup il était légèrement éméché.Avec Offenbach, l’opérette explose et devient le symbole de la vie parisienne sous Napoléon III ; elle force les portes de l’Opéra comique et du théâtre lyrique, prend même pied au théâtre.

Sous la Troisième République, Charles Lecoq (La Fille de Madame Angot), Reynaldo Hahn (Ciboulette), Emmanuel Chabrier et Messager s’y essaient avec succès. Avec Franz Lehar (La Veuve joyeuse), elle reprend les accents de Johann Strauss.

La malédiction de Hugo et le succès de Verdi

Il est des sujets tabous qu’on ne livre pas sur la scène publique : la frivolité des rois par exemple. Victor Hugo l’apprend à ses dépens : Le Roi s’amuse ne sera représenté qu’une seule fois ; il est immédiatement interdit par la censure, alors que l’Opéra de Verdi, Rigoletto, connaît une popularité immédiate et durable. Tout Venise (la dona è mobile) puis le monde entier fredonne l’air….

L’arrangeur italien muselle l’éloquence par ci, change les personnages par là, mais reste très près du drame hugolien si près que Victor Hugo, pour des questions de droits d’auteur, s’opposera à la création en France de Rigoletto, cet opéra qui s’appropriait le succès que Le Roi s’amuse n’avait pas obtenu.

Rigoletto tient une place privilégiée dans l’œuvre de Verdi ; la liberté et la diversité d’expression explosent mais le drame prend corps scène après scène. L’air n’est plus un morceau de bravoure isolé.

1864 Le grand barbu qui s’avance, bu qui s’avance…

Offenbach -« Je vous apporte un rôle étonnant. »

Hortense Schneider -« Trop tard, mon cher ! Je renonce au théâtre, le Palais-Royal me refuse une augmentation. »

Mais on ne renonce pas longtemps aux propositions d’Offenbach et ce n’est pas renoncer que de quitter le théâtre pour l’opérette.

La Belle Hélène, comme tous les ouvrages d’Offenbach qui se sont succédés au Boulevard Montmartre, a, dès le soir de la première sa place, marquée parmi les triomphes légendaires.

Les plus grandes étoiles s’effacent devant Mademoiselle « Schneidre » (c’est ainsi qu’elle prononce) en qui s’incarne la fortune de l’opéra-bouffe sous le Second Empire… » et la ronde affolée semblait comme narquoisement menée par la musique saccadée d’Offenbach. »

1864 – Les Troyens, de Berlioz, un grand poème lyrique

Berlioz: « J’admire Virgile et je me fais l’idée d’un grand opéra traité dans le système shakespearien, dont le deuxième et le quatrième livre de l’Enéide seraient le sujet ».

La princesse de Wittgenstein : « Il doit en résulter quelque chose de grandiose et de nouveau. Allons, il faut faire cet opéra, sinon je ne veux plus vous voir ».

Berlioz : « De retour à Paris, je commençai à écrire les vers du poème lyrique des Troyens. Puis je me mis à la partition, et au bout de trois ans et demi de corrections, de changements, d’additions etc., tout fut terminé. C’était en avril 1858. »

On décourage Berlioz de faire représenter Les Troyens à l’Opéra et ce grand ouvrage est représenté au Théâtre lyrique en 1864 pendant vingt et un jours, amputé de sa première partie, mutilé, truffé de coupures, et pourtant émouvant, douloureusement passionné, admiré, mais aussi raillé.

1866 Ambroise Thomas, le triomphe des procédés et des idées reçues

Ce soir-là, le public du théâtre impérial de l’Opéra comique applaudit ce qui sera le succès le plus vif et le plus durable du répertoire : Mignon. Cette création ne quittera pas l’affiche pendant 28 ans et dépassera largement les mille représentations.

Le sujet est romantique à souhait, poignant : il relate les premières années d’apprentissage de Wilhelm Meister, inspiré d’une ballade de Goethe (1783). Messieurs Michel Carré et Barbier ont habilement habillé le livret à la façon française dans la plus pure tradition des idées reçues et des procédés admis. On y a élégamment ajouté une pincée de ton élégiaque, un peu de gentillesse et de la sentimentalité qui compensent le manque de puissance dramatique de Monsieur Ambroise Thomas et tout le monde comprendra la prédilection des bourgeois pour l’insignifiance de Mignon et les honneurs officiels ou non qu’il a suscités.

1871 Aïda de Verdi, une carrière éblouissante

Le khédive d’Égypte, Ismaïl Pacha, cultivé et occidentalisé cherche une idée d’opéra pour inaugurer le Théâtre du Caire et l’ouverture définitive du Canal de Suez. L’Archéologue français Mariette Bey lui suggère le sujet d’Aïda ; Camille du Locle écrit le livret, et Ismaïl offre à Verdi 150.000 francs or pour écrire la musique bien décidé à proposer le sujet à Wagner ou à Gounod si Verdi refuse.

Mais Verdi accepte. Le 24 décembre 1871, soutenu par un plateau remarquable, Aïda triomphe au théâtre du Caire devant toute la critique internationale. Un triomphe sans concessions ; pour la première fois Verdi montre un beau dédain pour les effets réputés obligatoires, -les fameuses trompettes ne sont qu’un bien court épisode- et au delà du souci de « couleur locale » s’achemine vers le raffinement de « l’opéra complet ».

1877 – De l’oratorio au drame lyrique

Il faut près de dix ans à Saint-Saëns pour achever Samson et Dalila. Le sujet inspiré de la Bible déroutait ; la réputation du musicien de faire compliqué et trop moderne pour plaire inquiétait ; aussi l’œuvre attend-elle longtemps avant d’être montée à Weimar à l’instigation de Franz Liszt, grand ami de Saint-Saëns et directeur de la musique.

Malgré cette première retentissante, « Samson et Dalila » n’est admis au répertoire de l’Opéra de Paris que quinze ans après et fera le tour des grandes scènes internationales.

Hans von Bülow, disciple de Wagner, voyait en Saint-Saëns « le seul musicien contemporain qui ait tiré un enseignement salutaire des théories wagnériennes, sans se laisser égarer par elle. »

19 janvier 1884, création de Manon à l’Opéra comique « Je m’appelle Manon* »

Les répétitions ont été calmes et relativement faciles. Le compositeur, d’ordinaire surexcité, n’a pas eu un accès de colère ni de découragement. Quand par hasard on lui demandait un changement ou une coupure, il prenait son chapeau et disait de son air le plus gracieux : « Allons, au revoir, mes amis je m’en vais. » Ainsi la partition de Massenet a été jouée sans qu’on ait modifié ni retranché une seule note. Et le soir de la grande première à l’Opéra comique est un immense succès. « Je m’appelle Manon » ouvre un duo passionné entre Des Grieux et Manon, qui, semé d’obstacles, se terminera par la mort de celle-ci, désespérée, mais toujours fascinée par les bijoux : « Oh ! les belles pierres », chante-t-elle, avant d’ajouter : « Je t’aime, prends ce baiser, c’est mon adieu à jamais ! ».

* Livret de Henri Meilhac et Philippe Gille d’après le roman de l’abbé Prévost.

Le Roi d’Ys, « Les profondeurs méconnues »

« Un four assuré ! », répercutent à l’envi les bruits qui courent.

« Inchantable », se plaignent les interprètes.

Lalo attend dix ans pour que le Roi d’Ys soit monté à l’Opéra comique. C’est un succès triomphal. Seule la critique émet des réserves. Pourtant, Louis de Foucaud est enthousiaste : « Pas un compositeur allemand actuel ne pourrait écrire une œuvre de cette profondeur, de cet éclat. Cela est français et ne pouvait venir que d’un Français. Quoiqu’ils fassent, on les verra forcés de reconnaître, et ils salueront Le Roi d’Ys comme ils ont salué Carmen. »

Aujourd’hui, l’œuvre semble bien démodée et assez mince, insuffisante pour appartenir, comme le souhaitent encore de nombreux partisans, au grand répertoire lyrique français.

1900  Louise de Charpentier, le peuple sur scène

« Quel tapage ! Des ouvriers, des midinettes, des chiffonniers sur la scène de l’Opéra comique ! » L’Audace théâtrale, verbale et prosodique de Louise vient essentiellement de la fidélité au « vrai » scrupuleusement respectée par Charpentier ; les personnages parlent en prose dans le langage convenant à leur condition.

Certains crient « au scandale » devant « l’amour libre » représenté sur scène ; Debussy, lui, ne comprend pas comment les premiers auditeurs de Louise ont pu crier à la nouveauté devant l’insignifiance d’un pâle vérisme, d’un mélange de platitude et de « cantilène chlorotique ».

Malgré les polémiques, Louise s’impose d’emblée. Charpentier présente son opéra comme un « roman musical » au sens naturaliste du terme c’est à dire comme une tranche de vie quotidienne.

Pendant la seconde guerre mondiale, Gustave Charpentier, dans un poussiéreux appartement de célibataire, à Montmartre, tenait encore la comptabilité des représentations de Louise dont il vivait sans souci et sans autre succès depuis plus de quarante ans.

1911 Richard Strauss : « Je suis le compositeur du Chevalier à la rose »

C’est avec ce cri que Strauss accueille les Américains qui veulent réquisitionner sa villa, en 1945. Sur un livret qu’on lui avait déconseillé, avec un titre qu’il ne voulait pas, Strauss réussit sa « conversation musicale », un mélange réussi entre lyrisme et simplicité. C’est une œuvre baroque, à mi-chemin entre la comédie et le drame ou comme il le dit lui-même « ce n’est point une comédie viennoise, mais une farce berlinoise », un flot de fantaisie et de gaîté, un ensemble enchanteur sur le bâti le plus rabâché du monde : l’éviction d’un noceur par un bel amant travesti ! Strauss adore l’esprit général de l’œuvre de Hugo von Hofmannsthal : « tous les caractères sont fins, clairement dessinés, mais malheureusement, j’aurai besoin de très bons acteurs à nouveau, cela n’ira pas avec les chanteurs d’opéra habituels. » Strauss est « le compositeur du Chevalier à la rose », connu et joué dans le monde entier.

1904 Madame Butterfly, une « guimauve » internationale

Madame Butterfly, drame lyrique en deux actes et trois tableaux, inspiré d’un roman américain et de deux romans de Pierre Loti (Le Mariage et Madame Chrysanthème) raconte les déboires d’un mariage entre la belle japonaise, Madame Butterfly, et un officier de la marine américaine.

Très sentimental, assaisonné de « guimauve » américaine, cet opéra de Puccini a toujours beaucoup de succès, les ritournelles plaisant à toutes les oreilles.

Le style « Napoléon III »

Napoléon III – « C’est bien, c’est beau, c’est très beau ! »

L’Impératrice Eugénie – « Qu’est-ce que c’est que ce style-là …? Ce n’est pas un style !… Ce n’est ni du grec ni du Louis XVI, pas même du Louis XV. »

Charles Garnier – « Non… ces styles-là on fait leur temps… c’est du Napoléon III et vous vous plaignez ? »

L’Empereur souriait silencieusement dans sa moustache. Enfin, s’approchant de Garnier, il lui dit tout bas :

– « Ne vous tourmentez pas… elle n’y entend rien du tout ! »

Il est vrai que le concours est une idée de l’Impératrice qui souhaite la victoire de son favori Viollet-le-Duc.

Cent soixante et onze candidats envoient un projet. Cinq sont primés dont celui de Garnier. Au second tour, il gagne et sera nommé architecte pour la construction de l’Opéra de Paris le 6 juin 1861.

29 mai 1861 : jugement prononcé (parution au Moniteur).

6 juin 1861 : lettre de Walewski à Garnier.

21 juillet 1862 : pose de la première pierre.

1862 – 1875 : construction de l’Opéra.

Inauguration de l'Opéra de Paris

Première à l’Opéra

Surprise, griserie, enthousiasme, le 5 janvier 1875, tout le monde attend ce jour-là depuis plus de dix ans. La munificence de l’inauguration du nouvel Opéra reflète l’importance symbolique de cette soirée : la France se relève doucement du désastre et en une nuit, Paris retrouve son rayonnement traditionnel.

Pour Garnier, l’architecte, c’est la fin des émotions et des vicissitudes qui l’ont éprouvé depuis 1860 : diminution de crédits à la fin de l’Empire, injustice des critiques, difficultés dues à la guerre, puis à la Commune : le chantier est arrêté en 1870 et le futur Opéra transformé en entrepôt et en arsenal.

Après l’arrêt des hostilités, la construction inachevée fait peine à voir. L’incendie de l’opéra de la rue Le Pelletier, en 1873, servira de détonateur pour convaincre les pouvoirs publics de faire voter les crédits pour l’achèvement des travaux. C’est chose faite le 28 mars 1874.

Alors, le jour de l’inauguration approche, les places se vendent au marché noir, les grands de ce monde arrivent pour admirer, le grand escalier voulu par Garnier : il joue pleinement son rôle, « à chaque étage, les spectateurs accoudés aux balcons garnissent les murs et les rendent pour ainsi dire vivants pendant que d’autres montent ou descendent, et ajoutent encore à la vie. » « Le Maréchal(Mac-Mahon) donna alors avis de quelques nominations et promotions dans l’ordre de la Légion d’honneur… » pour tous ceux qui avaient œuvré à l’édification de cette grande œuvre.

La musique de l’avenir

« Le public parisien n’est ni musicien, ni religieux, ni artiste, il veut être amusé, voilà tout. » La gloire de l’époque n’est ni Wagner ni Berlioz, mais Offenbach. Paris accepte mal la représentation à l’Opéra de Tannhäuser qui sur ordre de l’empereur remplace le ballet traditionnel. Après 164 répétitions difficiles, Tannhäuser est joué le 13 mars 1861 et copieusement sifflé par un public qui se conduit plus en voyous qu’en spectateurs avertis.

La troisième représentation dégénère en bataille. Wagner retire sa partition. Dans son Dictionnaire des Idées reçues Flaubert note à Wagner : « ricaner quand on entend son nom et faire des plaisanteries sur la musique de l’avenir. »

Romantisme

Wagner va réformer le chant. Il écrit sur ses livrets, trouve des solutions pour concilier les exigences du drame et de la musique en systématisant l’usage du leitmotiv, thème qui caractérise un personnage, un sentiment ou une idée. Il transporte la symphonie dans l’opéra, développe l’accompagnement orchestral qui ne fait plus qu’un avec le chant. Dans la Tétralogie, il coupe définitivement avec les structures anciennes de l’opéra à l’italienne ou à la française. Il est le créateur de ce qu’on appelle le drame lyrique.

Wagner emprunte à Berlioz, Liszt ou Weber. Son influence est profonde mais les imitateurs s’y sont cassés les dents. Seul, Richard Strauss a la puissance et l’originalité suffisantes pour être un disciple de Wagner.

Il y a autant de romantismes que de nations, de romantismes que de disciplines, et bien souvent les artistes, quand ils s’expriment, que ce soit Hugo, Berlioz, Novalis ou Kleist, Scott ou Delacroix, restent très indépendants des théoriciens dits du « romantisme.

Création lyrique en France

Des courants souvent contradictoires traversent la création lyrique en France. Le genre en vogue du grand opéra historique créé par Meyerbeer, Halévy et Auber pendant la période romantique se maintient jusqu’en 1914, en dépit des tentatives de quelques musiciens pour introduire plus de finesse et de raffinement dans le langage ou dans l’orchestration. Berlioz est de ceux-là, dont les grandes œuvres lyriques ne rencontrent qu’incompréhension.

Avec Gounod, Bizet, Massenet, Lalo et Saint-Saëns, se développe cependant un style purement français, mélodieux, harmoniquement subtil, brillant d’orchestration. Mais, hélas, l’influence de Wagner fait des ravages et des compositeurs comme d’Indy, Chausson, et même Chabrier se laissent tenter par les sirènes germaniques.

Heureusement, Debussy vient, et son Pelléas reste l’œuvre majeure de son époque.

L’opérette

Avec Offenbach, l’opérette explose. Elle force les portes de l’Opéra comique et du théâtre lyrique, gagne le théâtre et reste comme l’image d’Epinal de la vie parisienne de l’époque.

On serait tenté de dire que l’opérette est morte avec le Second Empire, mais la Troisième République a La Fille de madame Angot de Charles Lecoq, Ciboulette de Reynaldo Hahn, le boulevardier corseté. Emmanuel Chabrier, Messager s’y essaient avec succès. Avec Franz Lehar, elle reprend les accents de Johann Strauss.

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