Une impression réaliste et recomposée par le souvenir
« Le beau dans l’art, c’est la vérité baignée dans l’impression que nous avons reçue à l’aspect de nature. Le réel est une partie de l’art, le sentiment le complète », vaste projet pictural de Camille Corot lui-même.
Éternel sous-bois, beau feuillé, souvenir du siècle passé, qu’est-ce qui a donc changé ? La nymphe s’est transformée en jeune fille, un livre à la main, amusée par le galop d’un cerf qui traverse une clairière, où s’enfonce la lumière, et d’où jaillit la profondeur. Par quels procédés, la composition ordonne-t-elle ce va-et-vient du regard à la lisière de deux mondes ?
Salon de 1872 – 100 cm x 134 cm
Sujet
Ville d’Avray se situe dans la proche banlieue ouest de la capitale. Son église a été décorée par Corot qui en aimait les bois ombragés.
Corot, né en 1796, est de la génération de Delacroix et de Victor Hugo, mort en 1875. Il traverse le XIXe siècle, en connaîtra pratiquement tous les moments importants, aimera les impressionnistes à la fin d’une vie longue pour cette époque. Et si il devint l’ami de ces peintres, ce n’es pas seulement qu’ils le respectaient profondément, mais c’est sans doute que de part et d’autre on se comprenait.
Né en 1796 Corot commence un siècle, il part comme son futur maître Michallon en Italie pour y peindre et y apprendre la grande peinture. Il continuera d’introduire dans ses tableaux de nature des sujets mythologiques jusqu’en 1860 environ ; nymphes et bacchanales, où on sent une lointaine réminiscence de la peinture de Nicolas Poussin ; elles ont orné longtemps « sa nature ». En 71 date probable de ce tableau l’appareillage cher au siècles précédents a disparu.
La clairière, souvenir de Ville d’Avray , exposée en 72 au salon ne comporte pas de sujet mythologique en effet, mais un petit personnage féminin assis dans l’ombre un grand cahier à la main, elle tourne la tête vers la prairie ou passe un jeune cerf au galop. Ce sujet, dépourvu de toute allégorie est typique de l’Ecole de Barbizon dont Corot fut aussi un des maîtres.
Composition
Ce tableau est organisé autour des deux grands arbres qui forment comme un portique naturel devant lequel est assise cette jeune fille, un peu cachée dans leur ombre. La perspective est faite par l’éloignement et la lumière mais une grande diagonale habite ce tableau nettement définie par cette grande branche su la gauche du tableau mais qui aboutit à la jeune fille. Il a jugé aussi utile de faire suivre cette même ligne par celle du faîte des arbres de l’autre côté de la clairière.
Le sol, l’horizontale donc, est défini presque uniquement par cette tache verte , pourtant bien réduite, de lumière dans la clairière, décalée sur la droite du tableau et que traverse un cerf au galop.
Couleur, lumière
Les lumières de Corot sont très particulières et si sa touche très nouvelle à l’époque frappa les peintres impressionnistes, sa lumière dut aussi les faire réfléchir car elle est conçue d’une manière double ; d’une part elle se veut exacte, mais Corot lui ajoute d’autre part une touche profondément personnelle, qui unifie toute ses lumières par une qualité d’atmosphère brumeuse d’une étonnante légèreté qui marque d’un certain cachet toute sa peinture. Ce n’est donc pas uniquement par une manière, par un style que Corot construit son univers mais en plaçant au centre la lumière.
Celle de La clairière est d’une grande beauté, construite sur une énorme zone d’ombre et une très petite de lumière, il n’est pas loin des recherches de Dupré et Rousseau ses contemporains et amis, mais la différence vient de cette matière qu’il donne à sa peinture.
Matière, forme
Le travail du pinceau chez Corot est comme une pluie de feuilles de saule, une sorte de piquetage de petits accents effilés qui se mettent sur de plus sombres et plus ronds ; tout comme Rousseau il est un peintre du feuillage, c’était cette matière là qui les a hanté, ils sont encore dans la poésie de la fin du siècle précédent celle du vent, du mouvement de l’air, de la pluie battante, de l’agitation de l’air, ce sont des aériens et non des aquatiques comme Ingres ou des terrestres comme Courbet. Ceci Corot l’exprime par son style et le contenu de ses œuvres, ce coup de vent dans le feuillage.
Faire le « beau feuillé » disait Valenciennes à Michallon, cela allait pour ces peintres beaucoup plus loin qu’une simple prouesse technique, c’est toute leur sensibilité qui s’engouffre dans ce but qu’ils se sont donné : rendre le feuillage mouvant dans la lumière changeante.
Le personnage féminin de ce tableau peut passer pour un personnage de pure convention picturale, il serait là, ma foi pour qu’il y ait quelqu’un dans ce paysage qui serait peut-être trop vide sans lui. Si on y regarde de plus près cette jeune fille est- elle assise dans l’ombre, pour ne pas être vue ? Ou pour se protéger de la lumière ? Ou peut-être pour dessiner cette clairière tranquillement à l’abri des regards indiscret ; ce cahier n’est pas un livre ni un cahier d’écriture, il est trop grand pour cela et la position du corps est exactement celle de quelqu’un qui s’apprête à dessiner et que le galop splendide d’un jeune cerf vient distraire. Elle est au centre visuel de cette composition, à la place où 20 ans auparavant Il aurait placé une nymphe ; elle est au centre de ce vent léger qui traverse la toile en diagonale, donnant au cerf la vitesse de sa course. Corot veut l’instant de beauté dans la magie du lieu. Par son rendu fluide et sensible de la matière dans la lumière changeante de l’Ile-de-France, cette toile qui illustre l’importance de Corot au sein de l’Ecole de Barbizon, explique également l’influence que l’artiste exerça sur les impressionnistes.
Extrait de l’analyse plastique réalisée pour le CD-Rom Secrets d’Orsay
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