Le 20 septembre 1899, le président Loubet gracie Dreyfus. C’est la fin juridique de « l’Affaire » qui a tant agité la France.
Les outrages réglementaires
Le 22 décembre 1894, le conseil de guerre reconnaît le capitaine Dreyfus coupable d’avoir transmis aux Allemands un bordereau manuscrit faisant état de documents militaires sur la réorganisation de l’armée française et la modernisation de son matériel. La presse se déchaîne contre le « traître juif ».
Pourtant le bordereau, pièce essentielle du dossier, n’a pas été communiqué à la défense. Condamné à la dégradation militaire et à la déportation perpétuelle, Dreyfus est enfermé au bagne de Cayenne sur l’île du Diable. « …Quand il demeura déshonoré et désarmé, les poussées instinctives de la foule réclamèrent avec plus de fureur qu’on tuât ce bonhomme doré devenu un bonhomme noir. Mais la loi le protégeait pour lui faire subir les outrages réglementaires. » -Barrès, Ce que j’ai vu à Rennes (1904)-
Ce drame qui s’abat sur un officier juif accusé de trahison alors qu’il appartient à une riche famille alsacienne, d’un patriotisme irréprochable, va devenir un roman d’espionnage dont les épisodes tiennent du feuilleton. « Il faut que tu sois là pour dire un jour à nos enfants ce qu’était leur père, un beau et loyal soldat écrasé par une fatalité épouvantable. » -lettre de Dreyfus à sa femme, 7 février 1895-
1898 J’accuse : Erreur judiciaire, rebondissement dans l’affaire Dreyfus!
Après que le colonel Picquart ait découvert que le bordereau était un faux, Esterhazy est quand même acquitté, ce qui détermine Zola à intervenir dans le journal dont Clemenceau est le rédacteur en chef : L’Aurore. Il est convaincu que Dreyfus, condamné en 1894 a été victime d’une erreur judiciaire. Dans sa lettre ouverte adressée à M. Félix Faure, président de la République, il accuse :
« J’accuse le lieutenant-colonel du Paty de Clam d’avoir été l’ouvrier diabolique de l’erreur judiciaire…
J’accuse le général Mercier de s’être rendu complice…
J’accuse le général Billot…
J’accuse le général de Boisdeffre et le général Gonse…
J’accuse les trois experts en écriture…
J’accuse les bureaux de la guerre d’avoir mené dans la presse une campagne abominable, pour égarer l’opinion et couvrir leur faute…
J’accuse enfin le premier conseil de guerre d’avoir violé le droit… »
Ce J’accuse vaut un procès qui s’ouvre le 7 février… Zola sera contraint de s’exiler un an en Angleterre, mais obtiendra, par son action, la révision du procès de Dreyfus.
20 septembre 1899 : Une grâce qui ne satisfait personne
Dreyfusards, antidreyfusards, droite, gauche, familles divisées, valeurs morales, principes politiques.
D’un côté Barrès :
« Les amis de Dreyfus…injurient tout ce qui nous est cher, notamment la patrie et l’armée. Leur complot divise et désarme la France et ils s’en réjouissent. Quand même leur client serait innocent, ils demeureraient des criminels ».
De l’autre Jaurès :
« Dreyfus est seulement un exemplaire de l’humaine souffrance en ce qu’elle a de plus poignant. Il est le témoin vivant du mensonge militaire, de la lâcheté politique, des crimes de l’autorité ».
Révision, pas révision ; révisionniste, anti-révisionniste. Crise politique, crise sociale, crise de la justice. La cour de Cassation casse le jugement le 3 juin. Le 9 septembre, le Conseil de guerre de Rennes déclare Dreyfus coupable, mais lui reconnaît des circonstances atténuantes. Il est condamné à 10 ans de détention. Le 20 septembre, le président Loubet le gracie et remet sa peine. Personne n’est satisfait : ni les révisionnistes, ni les nationalistes.
1906 : Une réhabilitation qui ne calme pas les esprits
« Il n’y a plus d’affaire Dreyfus » déclare un député de gauche. La Cour suprême de Justice vient de casser la décision du Conseil de guerre de Rennes : Dreyfus est réintégré dans l’armée. L’affaire est classée, mais les esprits ne sont pas calmés.
A l’occasion du transfert des cendres de Zola au Panthéon auquel Dreyfus assiste, on lui tire dessus et il est blessé au bras. L’affaire Dreyfus laisse des traces profondes dans les mentalités françaises, les opinions se sont radicalisées au fur et à mesure et les ressentiments restent très vifs des deux côtés. « L’affaire Dreyfus fut, comme toute affaire, une affaire essentiellement mystique. Elle vivait de sa mystique. Elle est morte de sa politique. »-Péguy-
L’Affaire Dreyfus
L’affaire Dreyfus fera apparaître au grand jour nationalisme et antisémitisme en France. « Si la Nation n’a pas confiance dans les chefs de son armée, ils sont prêts à laisser à d’autres cette lourde tâche » -général de Boisdeffre au procès Zola-. « La juiverie a tout pourri. Elle constitue un chancre affreux » -La Croix, 14 novembre 1894-.
Le pays se déchire pour une affaire d’espionnage vécue comme les différents épisodes d’un feuilleton. « Dans le système d’écriture de Pyrot (Dreyfus), ces mots : trois bocks et vingt francs pour Adèle signifient : j’ai livré 30 000 bottes de foin à une puissance étrangère » -Anatole France, L’Île des pingouins-.
Emergence du « pouvoir » intellectuel : « Je n’ai qu’une passion, celle de la Lumière » -Zola, J’accuse, L’Aurore, 13 janvier 1898-. « Me faut le dire à leur honneur, les hommes de pensée se sont mis en mouvement, d’abord » -Clemenceau-.
Mais également, haine des intellectuels : « Sous prétexte de nous faire citoyen de l’humanité, elle (l’université) nous déracine de notre sol, de notre idéal aussi » -Barrès, Mes cahiers.
Puis, c’est l’élargissement du combat aux forces susceptibles de transformer en profondeur la société : « Il n’y a pas qu’une classe désormais qui puisse donner à la pensée une force sociale : c’est le prolétariat » -Jaurès, Petite République, janvier 1899-.
A long terme, l’affaire va consolider la République, permettant de républicaniser l’état-major et d’affaiblir le pouvoir des congrégations. Elle contribue également à débarrasser le discours du mouvement ouvrier et du socialisme français des traces antisémites qu’il pouvait charrier.
Dreyfus Alfred, militaire français
1859 (Mulhouse) – 1935 (Paris)
La famille Dreyfus est d’origine alsacienne israélite et fortunée. Alfred, le dernier fils, capitaine, est stagiaire à la « Section de statistique » de l’état-major (2e bureau).
Accusé d’espionnage en 1894, il est arrêté, traduit devant le conseil de guerre, condamné sur la base d’un dossier illégalement communiqué à ses juges, dégradé et déporté en Guyane sur l’île du Diable.
Bien que l’opinion, dans sa grande majorité, soit convaincue de la culpabilité d’Alfred Dreyfus, les dreyfusards vont se lancer dans une courageuse campagne pour obtenir la révision du procès.
La presse se partage en dreyfusards et antidreyfusards. L' »Affaire » sépare les familles. Un procès en révision a lieu à Rennes pendant l’été 1899. Dreyfus est de nouveau condamné à dix ans d’emprisonnement. La grâce de Loubet intervient quelques semaines après. Elle mécontente tout le monde.
Sept ans plus tard, le jugement est cassé sans renvoi et Dreyfus réintégré avec grade de chef d’escadron.
Mis à la retraite en 1907, il participera quand même à la Grande Guerre, au Parc d’artillerie de Vincennes. Il meurt en 1935 alors que l’affaire s’organise autour de deux systèmes de valeurs opposés, dans la nation, le capitaine Dreyfus, la victime, est un de ceux qui ne pouvaient percevoir leur opposition. Paradoxe humain, trop humain…
15 octobre 1894 : arrestation de Dreyfus
1898-99 : début de « l’Affaire »
1897 : accusation de Mathieu Dreyfus contre Esterhazy
13 janvier 1898 : « J’accuse » de Zola
1899 : procès de révision à Rennes – Grâce de Loubet
12 juillet 1906 : le jugement est cassé.
Les suites de l’Affaire : le renouveau du sionisme : donner à un peuple sans terre, une terre sans peuple
Sion, c’est l’ancienne citadelle de Jérusalem, puis toute la colline du Temple, et souvent toute la ville. Le « retour à Sion » est présent dans la liturgie juive depuis les plus anciennes déportations ou dispersions. Aussi l’aspiration à une restauration d’Israël en Palestine est-elle considérée comme un des buts ultimes de l’évolution de l’humanité.
Le mot « sionisme » n’apparaît, lui, qu’au XIXe siècle. Dès 1860, le penseur non religieux Moses Hess préconise, pour remédier aux séculaires persécutions, le retour ; ce n’est plus « l’an prochain à Jérusalem » comme dans la prière, mais un objectif concret : des colonies en Proche-Orient.
« Eretz Israël »… B.I.L.U. : les initiales qui signifient dans toute l’Europe orientale « levez-vous et partez », pour fonder les phalanstères socialisants.
Rothschild finance des étudiants russes, des techniciens qui créent des exploitations agricoles à proximité du lac Tibériade. Et puis, le Hongrois Théodore Herzl, journaliste passionné de théâtre, correspondant de la Neue Freie Press à Paris, lors de la condamnation de Dreyfus, ce « juif coupable seulement d’être juif », est convaincu, après ce procès qui l’a bouleversé, que la question juive exige une solution politique. Il lance un appel « à la recherche pour une solution moderne de la question juive. »
C’est une première ébauche de son livre qui paraîtra à Vienne en février 1896 sous le titre L’Etat juif (Der Judenstaat), puis à Paris.
Il entreprend alors un périple pour persuader le sultan de restituer la Terre promise, pour supplier l’empereur allemand Guillaume II de persuader son allié le sultan et enfin pour demander aux banquiers de la City de Londres de l’aider ; il devient le principal leader de l’Organisation sioniste mondiale dont le premier congrès se tient à Bâle en 1897.
« A Bâle, j’ai fondé l’Etat juif », disait Herzl. « Il ne dépend que des juifs que mon écrit politique ne demeure provisoirement qu’un écrit politique. Si la génération actuelle est encore trop avertie, une autre se lèvera d’un esprit plus sagace. Les Juifs qui le voudront auront leur état et le mériteront. » Sion, à cette époque, c’est encore l’utopie, c’est à dire l’île de nulle part. Et le pape Pie X y ajoute ses encouragements : « Jamais la Palestine ne sera aux mains des Juifs ».
« Le « refuge » tant désiré après les pogroms et les massacres n’est pas encore pour tout de suite.
Les rabbins crient à la trahison : le projet étatique est contraire au messianisme !
Les amis crient à la trahison face au « territorialiste » qui envisage d’accepter un regroupement ailleurs qu’en Israël.
Les socialistes crient à la trahison :ils prônent l’intégration sans perte de l’identité nationale des Juifs là où ils vivent, grâce à la démocratie.
Herzl meurt en partie désavoué, mais le Fonds national juif subventionne de Londres les colonies florissant en Palestine et multiplie les contacts diplomatiques. A Jérusalem, on tient et on patiente, avec raison.
La Première Guerre mondiale sonne le glas de l’empire turc, les colonies deviennent « foyer national », tous les espoirs sont permis.