La lumière, outil du physicien
Connaître la lumière, principal moyen d’observation de l’homme, c’est chercher à la découvrir comme simple outil et admettre que les controverses sur sa nature et sa vitesse impliquent d’abandonner les conceptions intuitives du monde et d’accepter une réalité indépendante de l’esprit humain et hors de portée de l’expérience sensorielle immédiate.
La théorie physique de la lumière ne peut et ne doit pas avoir de rapport avec l’œil humain dans sa façon de percevoir les rayons lumineux.
Galilée, Newton, Huygens au XVIIe siècle se posaient déjà des
questions sur la nature de la lumière et sur sa vitesse sans disposer de techniques expérimentales suffisamment précises pour effectuer des mesures.La vitesse de la lumière ne peut être mesurée que sur des distances comparables à celle qui sépare la Terre d’une autre planète du système solaire, donc par des méthodes astronomiques, ce qu’a fait Roemer au XVIIe siècle, ou en forçant la lumière à un très grand nombre d’allers-retours entre deux miroirs par exemple, ce que feront les habiles expérimentateurs du XIXe siècle.
Ondes ou corpuscules ? Newton pense que tous les corps lumineux émettent des corpuscules de lumière, différents pour chaque couleur, qui, en frappant nos yeux produisent la sensation de lumière.
Huygens, contemporain de Newton explique, dans son Traité de la lumière que la lumière est une onde « à la ressemblance de celles qu’on voit se former dans l’eau quand on y jette une pierre », un transport d’énergie et non de substance. Ce point de vue finit par l’emporter car il explique facilement le phénomène d’interférences.
Mais, à l’époque, les physiciens ne voyaient pas comment la lumière pouvait se propager dans le vide sans supposer l’existence d’une matière subtile emplissant tout l’espace, l’éther lumineux dont les ondes éveillent les perceptions optiques dans notre œil.
Dans l’expérience du pendule de Foucault en 1851, l’éther semble bien représenter le système de référence absolu.
Mais toutes les tentatives pour donner à l’éther une réalité mécanique échouent et, au début du XXe siècle, on admet que l’espace a la propriété de transporter les ondes électromagnétiques sans plus se soucier de l’éther. Les expériences de la fin du XIXe siècle mettent en évidence le double
aspect corpusculaire et ondulatoire de la lumière et placent les physiciens devant un dilemme d’un caractère inconnu jusqu’ici en physique : la disparition de trajectoires bien définies. L’introduction du quantum de lumière ne signifie aucunement le retour à l’ancienne théorie de particules matérielles de Newton mais fait découvrir la notion « d’ondes fantômes qui guident les photons » comme le disait Einstein.
Les étapes
Vibration ou pas vibration ? Question d’antériorité.
« Lorsqu’une source de lumière prend naissance sous une influence quelconque, ressentons-nous l’impression lumineuse à l’instant même de son apparition, ou bien ses rayons mettent-ils un temps déterminé pour parvenir jusqu’à notre œil ? »
Le problème est résolu dès 1676 ; Roemer, à l’Observatoire de Paris, montre que la lumière a un mouvement « successif » et non instantané. Mais l’énigme sur la nature de la lumière reste entière et l’on va se disputer longtemps à ce sujet : est-elle vibration ou non ? Les physiciens attendent une réponse définitive à partir de la mesure précise de sa vitesse dans l’air et dans l’eau.
Sous la direction d’Arago, Foucault et Fizeau montent une expérience avec un miroir tournant, puis, travaillant séparément, présentent leurs résultats à l’Académie des Sciences le même jour : le 6 mai 1850. La mesure de Foucault datant du 30 avril a la primauté et c’est lui qui est crédité du succès de la découverte : la vitesse de la lumière dans l’air est supérieure à celle de la lumière dans l’eau. C’est la victoire de la théorie ondulatoire de la lumière.
Mais, la première mesure terrestre de la vitesse de la lumière avait été faite par Fizeau, en 1849, par une méthode différente (celle de la roue dentée). Là aussi, l’antériorité est indéniable.
La lumière, premier moyen de « téléconnaissance »
Les spectres, cela fait un moment déjà qu’on les observe, tout le monde parle de raies sans savoir ce que c’est : jusqu’au jour où Gustave-Robert Kirchhoff trouve la bonne interprétation des raies qu’il obtient en faisant passer la lumière du soleil à travers la flamme du brûleur à gaz de son ami Bunsen, puis à travers un prisme. Il jette toutes sortes de poudres dans la flamme et pour chaque substance, trouve des raies différentes. Conclusion : si les raies n’appartiennent à aucun corps connu c’est qu’elles appartiennent à des substances inconnues.
« La puissance de ce nouveau moyen d’analyse dépasse tout ce que l’imagination aurait pu échafauder. Une parcelle d’un corps, aussi minime qu’elle soit est suffisante pour communiquer aux rayons d’une flamme des propriétés caractéristiques. »
On découvre de nouvelles substances, on braque les spectrographes sur les astres pour connaître le secret de leur composition chimique, Et dire qu’Auguste Comte,peu avant, disait qu’il était sûr d’une chose, c’est qu’on ne pourrait jamais connaître la composition chimique des étoiles !
L’identité des « ondulations électriques » et de la lumière.
Le vénérable Faraday montre en 1845 qu’un champ magnétique qui varie est accompagné d’un champ électrique induit. Pour un physicien de l’époque, cette constatation est aussi surprenante que si la ration d’avoine d’un cheval de fiacre avait de l’influence sur le nombre de billets de chemin de fer délivrés à la Gare du nord.
Faraday fait part de ses réflexions à James Clerk Maxwell, jeune professeur de physique passionné par les idées du vieux maître.
Maxwell examine systématiquement toutes les lois de l’électricité dues à Faraday et à d’autres et remarque qu’elles sont mathématiquement contradictoires. Pour les rendre cohérentes, il doit rajouter un terme aux équations de la dynamique.
Maxwell introduit pour cela la notion de champ : le champ a une réalité indépendante des fils électriques ou autres supports matériels ; son théâtre est l’espace entier et non seulement les points où se trouve de la matière et ses perturbations se propagent comme une onde à la vitesse de la lumière. Il explique ainsi l’identité, déjà soupçonnée, entre ondulations électriques et lumineuses.
Mais il ne donne aucune preuve et la contestation reste tenace jusqu’à la confirmation expérimentale de sa théorie apportée par Hertz en 1888.
A la recherche de l’éther ou l’échec de l’expérience de Michelson
La certitude de la permanence des propriétés de « l’éther » est le principal article de foi des physiciens depuis près d’un siècle. Dans l’impossibilité d’imaginer qu’une perturbation ou une onde puisse se propager dans du vide absolu, les physiciens supposent un « éther » pour tenter de justifier la propagation de la lumière dans le vide et expérimentent pour tenter de mettre en évidence l’omniprésence de cette mystérieuse substance.
Fizeau en 1851, avec ses expériences de mesure de la vitesse de la lumière produit une première sensation en montrant que l’éther est absolument indépendant de la nature pondérale ; mais personne ne répète ni ne contrôle l’expérience de Fizeau.
Jusqu’en 1881, Michelson veut montrer que l’éther existe en tant que référentiel privilégié, absolu. Il pense donc pouvoir mettre en évidence la vitesse de la Terre par rapport à ce référentiel ; il suffit de mesurer la différence des temps mis par la lumière pour parcourir la même distance parallèlement au mouvement de la Terre et perpendiculairement au mouvement de la Terre. Il ne trouve aucune différence ; il réitère avec Morley en 1887 et ne trouve toujours pas l’éther. Ces échecs mettront Einstein sur la piste de la relativité (il n’existe aucun système de référence absolu et la vitesse de la lumière est la même dans tous les repères).
Hertz fait des étincelles
Maxwell vient d’établir une brillante théorie selon laquelle la lumière pourrait être de nature électromagnétique.
Depuis 1879, le jeune Heinrich Hertz étudie le comportement des isolants soumis à des courants électriques pour vérifier les théories de son maître Helmholtz.
Entre 1886 et 1887, lors de ses expériences, son attention est attirée par le fait qu’en créant une décharge électrique il recueille quelques dizaines de cm de minuscules étincelles par le bout d’un fil de cuivre ; il tient la preuve que la décharge produit des ondes dans l’espace.
En 1887, il étudie les oscillations électriques très rapides et arrive à transférer de l’énergie entre un circuit primaire et un circuit secondaire situé à 3 mètres du premier.
Dès lors, ses découvertes vont se suivre avec rapidité, pour aboutir aux mémoires de février 1888 « Sur la vitesse de propagation des actions électromagnétiques », puis par celui « sur les ondes électrodynamiques dans l’air et leur réflexion ». La théorie de Maxwell permet de comprendre les travaux de Hertz. La T.S.F. est possible ! mais on n’en a pas encore l’idée.
Des paquets discrets d’énergie. Max Planck et la théorie de quantas
Le 14 décembre 1900, lors d’une réunion de la Société Physique d’Allemagne, Max Planck déclare que pour éliminer les paradoxes gênants dans la théorie classique de l’émission et de l’absorption de la lumière par la matière, il faut admettre que celle-ci ne peut-être émise et absorbée que sous forme de paquets discrets d’énergie ; chaque paquet contient une énergie proportionnelle à la fréquence de l’onde lumineuse correspondante.
Ces idées semblent étranges et même grotesques ; Planck lui-même y croit à peine ; il est vrai que, dans la vie quotidienne, la physique quantique passe inaperçue !
Pourtant, aujourd’hui, devant combien de cellules photoélectriques passons-nous !
Les hommes
Fizeau Hippolyte, physicien français
1819 (Paris) – 1896 (près de La Ferté-sous-Jouarre)
Ami de Léon Foucault avec qui il se brouille en 1849, Fizeau fait de la physique pour son plaisir et n’est guère féru d’expériences spectaculaires. C’est un des derniers « amateurs » dans le monde professionnel de la science. En 1848, il donne l’interprétation théorique exacte de l’effet Doppler*, principe si fécond pour la mesure des vitesses, des étoiles, des fluides.
En 1849, il mesure la vitesse de la lumière dans l’air, avant Foucault, ce qui lui vaut un prix de 10.000 francs et un siège à l’Académie des sciences.
*L’effet Doppler-Fizeau : Quand passe un train, le sifflement de la locomotive paraît de plus en plus aigu à mesure qu’elle se rapproche et de plus en plus grave à mesure qu’elle s’éloigne. En fonction de la variation de fréquence du son, quelle est la vitesse du train ?
1845 : il réalise la première image photographique du soleil
1848 : effet Doppler-Fizeau
1849 : détermination de la vitesse de la lumière
1856 : il obtient le grand prix décerné par l’Institut pour ses mesures sur la vitesse de la lumière dans les corps en mouvement
1860 : membre de l’Académie des sciences
1864 : il a le premier l’idée d’utiliser les longueurs d’onde lumineuse comme étalon
1878 : président de l’Académie des sciences
Maxwell James Clerk, physicien écossais
1831 (Edimburg) – 1879 (Cambridge)
Maxwell n’est pas un expérimentateur : à quinze ans, il fait une communication mathématique ; à trente ans, il est nommé professeur de physique au King’s College de Londres, se passionne pour les travaux expérimentaux du vieux maître Faraday sur les phénomènes électriques et magnétiques et poursuit les mêmes interrogations : en quoi consiste la lumière ? en vibrations, et le magnétisme ? en vibrations aussi peut-être, mais à quelle vitesse se propagent-elles ?
Et, en alignant des files d’équations, Maxwell montre que la lumière est une combinaison de vibrations électriques et magnétiques. La détermination de la vitesse de la lumière par Fizeau lui permet d’affirmer que les vibrations en question se propagent bien à la vitesse de la lumière.
Devant les physiciens éblouis mais sceptiques, il déroule le panorama des ondes électromagnétiques, depuis les grandes longueurs d’ondes, appelées aujourd’hui ondes hertziennes jusqu’à l’ultraviolet en passant par l’infrarouge et la lumière visible. Ecœuré par l’incompréhension du milieu scientifique, Maxwell se retire pendant cinq ans dans sa propriété d’Ecosse avant d’être appelé à la direction du Laboratoire Cavendish à Cambridge, puis à la chaire de physique expérimentale de l’université. Il meurt à quarante huit ans en ayant introduit une nouvelle approche de la physique et de nouveaux concepts qui forment une nouvelle image de la réalité.
1856 : chaire à Aberdeen
1861-65 : professeur au King’s College à Londres
1865 : théorie électromagnétique de la lumière
1871 : directeur du laboratoire Cavendish à Cambridge
1873 : équations générales du champ magnétique, dites « équations de Maxwell », dans son Traité d’électricité et de magnétisme
Michelson Albert Abraham, physicien américain
1852 (Strzelno, Pologne) – 1931 (Pasadena, Californie)
Né en Pologne allemande, habitant les Etats-Unis depuis l’âge de deux ans, il abandonne la marine pour les sciences ; étudiant en Allemagne et en France, Michelson s’installe au Physikalisches Institut de Berlin et réalise pratiquement un interféromètre* sur une idée de Maxwell, encore lui !
Il perfectionne et perfectionne son instrument dans le but de montrer que la lumière ne va pas à la même vitesse perpendiculairement et parallèlement au mouvement de la terre ; sans succès.
En 1894, il l’utilise pour évaluer la longueur du mètre en longueur d’ondes lumineuses, et en 1920, il arrive à mesurer le diamètre d’une étoile. Ainsi la poursuite d’une fausse piste a donné naissance à la relativité et à l’interféromètre, auxiliaire indispensable de la plupart des recherches en physique.
*L’interféromètre sert à séparer un rayon lumineux en deux, à faire suivre à chacun des deux rayons un trajet différent et analyser en les recombinant, l’histoire de ce qui leur est arrivé sur le parcours.
1869 : officier de marine
1880 : professeur à l’Ecole navale d’Annapolis
1892 : professeur à l’université de Chicago
1894 : évaluation du mètre en longueur d’onde lumineuse
1907 : prix Nobel de physique
Einstein Albert, physicien allemand naturalisé suisse en 1900 puis américain en 1940
14 mars 1879 (Ulm) – 1955 (Princeton, USA)
Albert n’aime pas les uniformes, les défilés militaires, l’école, la censure qui accable la littérature socialiste, le mot « antisémitisme » inventé l’année même de sa naissance ; il souffre des difficultés, puis de la faillite de la petite fabrique de dynamos montée par son père en 1881, écrasée par le monopole des grands comme Siemens. Il aime les livres :
« la conséquence a été une véritable orgie de libre pensée. Cette expérience m’a amené à me méfier de toute sorte d’autorité, à considérer avec scepticisme les convictions entretenues dans tout milieu social spécifique ». Cette attitude ne quittera jamais Einstein, surtout dans le domaine scientifique.
Il se fait apatride, n’assiste jamais aux cours, mène une vie agréable dans les milieux révolutionnaires et anarchistes des exilés réfugiés à Zurich, s’emballe pour les travaux récents en électromagnétisme, et se pose inlassablement la même question : « Que se passerait-il exactement si j’accompagnais une onde lumineuse à la vitesse de la lumière ? » Il répond à cette question par la publication de la théorie de la relativité. Il change la notion de temps, de distance et de masse, il dit qu’il n’y a pas d’action instantanée dans la nature, que la vitesse d’interaction est celle de la lumière et qu’on ne peut la dépasser. Il dit encore que la masse d’un corps est une mesure de son contenu d’énergie, mais il ne dit rien sur la façon dont on peut libérer cette énergie ; la physique nucléaire, c’est un autre chapitre. Mais après Hiroshima, Albert dit « si j’avais su qu’ils feraient ça, je serais devenu cordonnier ».
Il reçoit le prix Nobel en 1921, en envoie le montant à son ex-femme avec son affection. Il n’aime pas le maccarthysme, s’étonne des vérifications expérimentales de ses théories, n’arrive plus vraiment à suivre la jeune génération de physiciens sur la voie qu’il leur a tracée.
« Je ne peux pas croire que Dieu joue aux dés ».
1881 : fabrique Einstein (Munich)
1894 : faillite de l’entreprise du père
28 janvier 1896 : demande acceptée, Einstein n’est plus citoyen
allemand et il est admis à l’Institut polytechnique de Zurich
1901 : il travaille à l’Office fédéral des brevets de Berne
1905 : L’inertie d’un corps dépend-elle de son contenu d’énergie ? (article de 3 pages) E = mc2 – Théorie de la relativité –
1916 : Fondements de la Théorie de la relativité restreinte et généralisée
1921 : L’Ether et la Théorie de la relativité
1925 : Sur l’électrodynamique des corps en mouvement
1933 : il enseigne à l’université de Princeton
1933 : Pourquoi la guerre ?, en collaboration avec Freud
1934 : Comment je vois le monde
1938 : L’Evolution des idées en physique