En soumettant les gaz à une effluve électrique pour les étudier, dans les années 1860, Berthelot ne fait pas preuve d’originalité, l’idée n’est pas nouvelle ; mais lorsqu’il parvient à synthétiser l’acétylène en faisant éclater une étincelle électrique entre deux charbons dans une atmosphère d’hydrogène, puis qu’il se sert de cet acétylène pour fabriquer de nombreux corps gras et des substances de base de l’industrie des teintures comme la benzine et la naphtaline, il fait tomber le mur de la force vitale qui cloisonnait le monde en deux entités distinctes : le monde organique et le monde minéral ; il prouve que les substances organiques peuvent être obtenues artificiellement sans le concours d’une mystérieuse force vitale !
« Il faut bien l’avouer, vous n’avez pas encore fait un brin d’herbe. Mais vous pouvez reproduire les substances dont l’herbe est faite. Votre chimie rationnelle a égalé sur quelques points les miracles rêvés par la chimérique alchimie. » (discours de Jules Lemaître recevant Marcelin Berthelot à l’Académie française)
La réalité des atomes
La publication en 1808 du New system of chemical philosophy de l’anglais John Dalton est un fait capital de l’histoire de la chimie.
La notion d’atome passe de concept métaphysique à réalité scientifique dès qu’on admet que les combinaisons se font d’atome à atome de la manière la plus simple.
L’idée que les corps simples ne peuvent s’unir que dans des proportions définies pour former d’autres composés chimiques connus est généralement admise.
On du mal à imaginer les difficultés rencontrées par les chimistes atomistes du XIXe siècle pour évaluer les masses atomiques sans avoir établi de distinction entre atomes et molécules composées de plusieurs atomes.
Lorsque des gaz se combinent en se contractant à des degrés variables selon les réactions étudiées, les atomistes se trouvaient devant des problèmes de combinatoire insolubles et leurs arguments devenaient insuffisants pour faire désarmer les équivalentistes qui s’accommodaient fort bien de notions de poids atomiques sans atomes basés sur les proportions de chaque corps entrant dans la réaction.
Pour les équivalentistes, seuls les rapports entre phénomènes sont connaissables. la formule chimique ne recouvre aucune réalité.
Notions assez floues et surtout inhomogènes que des chimistes comme Berthelot et Sainte-Claire Deville soutiendront et imposeront dans une lutte passionnée qui, malgré leurs talents et leurs résultats personnels, nuira à la chimie française en retardant le triomphe de la théorie atomiste, retard amplifié par la confusion des méthodes de J.B. Dumas dans la détermination des poids atomiques.
Apôtres de la synthèse organique, ils se privaient du seul outil nécessaire: l’atomisme.
A l’appui de la théorie atomiste, l’identification, grâce à la spectroscopie, des éléments chimiques, invariants engagés dans une combinatoire. La collection s’enrichit : en1870, on connaît 64 éléments, en 1818, on en connaissait la moitié.
Un classement s’impose, Mendéléev, raisonnant en terme de poids atomiques, propose une systématique qui s’avère féconde.
Et surtout l’objet n’existe pas sans le symbole. Berzelius effectue patiemment le travail de formalisation si nécessaire dans ce jeu de construction à base d’atomes qu’est la chimie.
La nécessité de voir les atomes et de représenter la structure des molécules vient plus tard.
Kékulé aboutit, en 1866, à l’établissement de la structure du benzène, le célèbre hexagone.
On ne peut pas réellement faire progresser la synthèse chimique organique sans la conception atomiste, dont le champion en France fut Charles-Adolphe Wurtz (1817-1884).
C’est sans doute pour cela que la chimie des métaux est la première à bénéficier des progrès conjugués de la chimie et de la mécanisation : aciéries, acide sulfurique dont la production devient l’indice du degré de civilisation d’une nation.
Les grandes revues de chimie :
1849 : Journal of the chemical society of London
1864 : Bulletin de la société chimique de France
1868 : Berichte der deutschen chemischen Gesellschaft
1876 : Journal of the american chemical society
La classification des corps simples
Les chimistes avaient bien sûr remarqué l’existence de familles d’éléments comme les métaux possédant des propriétés chimiques semblables, mais il était impossible d’y retrouver la moindre régularité.
Mendéléev démontre que les propriétés chimiques des éléments sont des fonctions périodiques de leur poids atomique, et fait triompher la théorie atomiste après dix ans de discussion. Ainsi, d’une quête philosophique, naît un des instruments les plus précieux de la chimie moderne.
« La loi périodique possède les faits et tend à approfondir le principe philosophique qui régit la nature mystérieuse des éléments ; la loi a donné la première possibilité de prédire, non seulement l’existence d’éléments encore inconnus, mais aussi de déterminer les propriétés chimiques et physiques des corps simples à découvrir et celles de leurs combinaisons » -Mendéléev-.
Loi périodique : Mendéléev va à la ligne pour que les corps aux propriétés semblables se retrouvent les uns au dessous des autres.
Vingt neuf cases restent vides : la classification aide à la découverte d’éléments nouveaux et à la précision de certains poids atomiques.
Berthelot Marcelin, chimiste français
1827 (Paris) – 1907 (Paris)
Ce géant de la chimie, est paradoxalement équivalentiste, comme ses amis positivistes qui clament vouloir effacer le mot atome de la science. L’autorité scientifique de Berthelot pèse lourd et pendant longtemps contre la théorie atomiste qui seule pouvait réellement donner à la synthèse chimique toutes ses possibilités. Malgré ses erreurs, car il en fait d’autres, Berthelot reste « l’image » du chimiste, celui qui a tué l’idée des vitalistes selon laquelle l’art chimique est inapte à imiter les processus de la nature, celui qui a donné le départ au développement de la chimie de synthèse.
Une formidable capacité de travail -il publie plus de mille mémoires et trente cinq traités-, une imagination féconde, une soumission inconditionnelle aux leçons de l’expérience, une vue encyclopédique sur les connaissances de l’époque, un enseignement fondé sur la reconnaissance de l’autorité indiscutable du maître, une activité politique, tel est Berthelot.
« On ne jure que par lui rue de l’Ouest. Madame Michelet m’a dit qu’il irait à la postérité »! Il repose au Panthéon auprès de sa femme.
1851 : il entre au Collège de France comme préparateur de Balard
1850-60 : synthèse en chimie organique
1854 : il est reçu docteur ès sciences
1859 : chaire à l’Ecole supérieure de pharmacie
1861-69 : étude des composés du pétrole
1865 : chaire au Collège de France
1869-83 : thermochimie
1873 : il entre à l’Académie des sciences
après 1883 : chimie de l’agriculture et histoire de la chimie – Laboratoire de chimie végétale à Meudon
1881 : sénateur
1886 : ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts
1895-96 : ministre des Affaires étrangères.
1901 : Académie française
Mendéléev Dimitri Ivanovitch, chimiste russe
1834 (Tobolsk) – 1907 (Saint-Pétersbourg)
Une jeunesse triste, une malchance constante pendant 30 ans, mais à 35 ans, Mendéléev était marié, docteur ès sciences et professeur de chimie à l’université de Saint-Pétersbourg.
Lorsqu’il présente son fameux tableau de la classification périodique des éléments chimiques à la Société russe de chimie en 1869, il est accueilli assez froidement par Mayer qui publie une table presque analogue, l’année suivante, dans les Annales de Liebig.
Puis en 1875, 1879, 1887 et 1894*, on découvre les corps simples qui laissaient des trous dans sa classification ; alors, les honneurs pleuvent et toutes les académies lui font des propositions, enfin toutes, sauf la sienne.
Mendéléev est un grand libéral, féministe, qui ne se gêne pas pour
dire tout haut ce qu’il pense, aussi l’envoie-t-on souvent en mission à l’étranger !
*1875 : découverte du gallium
1879 : découverte du scandium
1887 : découverte du germanium
1894 : découverte de l’hélium, du néon, du krypton et du xénon