Le suffrage universel, un grand acte tout ensemble politique et chrétien… » (Victor Hugo)
Première élection présidentielle au suffrage universel le 10 décembre 1848.
Pour cette « grande première », les candidats sont :
– le prince Louis Napoléon Bonaparte: « c’est un crétin qu’on mènera » dit Thiers;
– le général Cavaignac, « homme d’ordre, rempart contre la monarchie mais aussi contre le communisme »; le vainqueur des Parisiens est le grand vaincu de ces élections ;
– l’avocat Ledru-Rollin : en tant que Ministre de l’Intérieur du gouvernement provisoire, il a eu pour mission d’organiser la proclamation du suffrage universel, ce n’est pas cela qui lui fait gagner des voix aux élections présidentielles;
– Raspail, le « médecin des pauvres »;
– Lamartine: sa lyre cette fois n’a pas su charmer les foules. Le ridicule brise sa carrière.
Les résultats donnent une majorité écrasante à Louis Napoléon Bonaparte. Triomphe de la popularité liée au nom de Bonaparte, mais aussi résultat de l’analphabétisme politique des masses que dénoncera bientôt Karl Marx.
La première République n’a pas voulu avoir de président. La deuxième fait le sien trop puissant.
Votants : 7 449 471, suffrages exprimés : 7 426 252, Louis Napoléon Bonaparte 5 534 520 voix, Cavaignac 1 448 302, Ledru-Rollin 371 431, Raspail 36 364, Lamartine 17 914, divers 27 121.
« Messieurs, le grand acte tout ensemble politique et chrétien, par lequel la Révolution de février fit pénétrer son principe jusque dans les racines même de l’ordre social, fut l’établissement du suffrage universel. »
Dans son discours du 21 mai 1850, Victor Hugo use de tout son talent d’orateur pour dénoncer la loi (qui sera finalement votée le 31) parce qu’elle restreint le suffrage universel, instauré par le décret du 5 mars 1848, aux hommes de vingt et un ans, fixés dans leur commune depuis au moins trois ans !
Ainsi, l’universalité du suffrage universel est-elle loin d’être acquise sous la IIe République -les femmes ne voteront qu’un siècle plus tard, la décision est prise en 1944 et les premières élections ont lieu en 1945- mais tel quel, le suffrage universel instaure cependant l’égalité politique des citoyens, quel que soit le montant de leur fortune, et jamais plus il ne sera vraiment remis en question ; Napoléon III abolira même la loi du 31 mai 1850 : il est vrai que ce « suffrage » l’a particulièrement bien servi.
La seule question autour de laquelle les discussions reviendront sans cesse au cours de l’histoire de la République sera celle de la forme du scrutin pour l’élection des députés à la Chambre : scrutin majoritaire à deux tours ou scrutin « à la proportionnelle » ? On en discute encore.
Le suffrage universel ne sera jamais remis en cause juridiquement, malgré le coup d’Etat du 2 décembre -Louis Napoléon Bonaparte profite alors d’une popularité plébiscitée- ; il sera pratiqué pendant toute la IIIe République pour l’élection des députés à la Chambre, mais non pour l’élection du président.
Le souvenir des conséquences de l’élection de Napoléon Bonaparte (les Français avaient élu une “icône”) est tellement cuisant qu’il faudra attendre le changement de constitution en 1962 puis 1965 pour que le président de la république soit de nouveau élu au suffrage universel.
Les discussions se focalisent sur le mode de scrutin.
Moteur de l’action politique, reflet de l’évolution de la société, chaque type de scrutin représente l’expression d’une époque.
Le plus classique est uninominal majoritaire à deux tours. « Au premier tour on choisit, au second tour on élimine. »
Il est longtemps resté en vigueur, permettant les coalitions mais encourageant également la lutte des personnes au détriment de celles des idées, favorisant ainsi les « magouilles ».
On peut lui opposer la représentation proportionnelle, plus équitable, au risque de se trouver face à une assemblée ingouvernable, sans majorité.
extrait du CD-Rom « 1848-1914, Toute une histoire » réalisé par Maryvonne Pellay avec le Musée d’Orsay (conseillers : Madeleine Rebérioux, Chantal Georgel)