Ce survol des vicissitudes de la liberté de la presse au XIXe siècle montre comment les libertés dépendent du pouvoir politique qui se sert des peurs de la société et des scandales pour restreindre la liberté d’expression. Aujourd’hui ces restrictions existent dans de nombreux pays et prennent des formes plus sournoises que des décrets pour faire croire au peuple que la presse est toujours libre. Mais entre les pressions et l’autocensure, l’est-elle vraiment?
6 mars 1848 La presse est libre, vive la presse !
« La liberté de la presse, c’est la raison de tous cherchant à guider le pouvoir dans les voies de la justice et de la vérité. »
Depuis le rétablissement de la censure en 1835, tout ce qui est écrit, vendu, distribué, crié sur la voie publique est soumis à autorisation préalable ; amendes, détentions, cautions pleuvent sur les responsables des publications (républicains de préférence) et entravent la liberté de s’exprimer.
Le décret du 6 mars 1848 libère la presse de toutes ces contraintes financières et juridiques ; on assiste alors au « printemps de la presse » à une floraison jamais vue de gazettes, feuilles et journaux nouveaux ; mais… moins de deux ans plus tard, une « simple disposition fiscale(sic) » va » faire obstacle de toutes parts à la pensée » -Victor Hugo-.
Une fois de plus la presse sera la première victime du raidissement du pouvoir.
Irréversible.
Quelle floraison de titres dans la presse de 1848* ! Tandis que les anciens journaux se maintiennent tout en déclinant, victimes de leur conservatisme, ou de leur appartenance trop directe au Gouvernement provisoire des journaux nouveaux, parisiens et provinciaux : feuilles éphémères, imprimées rapidement en noir et blanc ou sur papier de couleur rose ou rouge, peu illustrées, sont vendues à la criée (alors que les anciens journaux le sont par abonnements), aux titres significatifs, reflets des temps. Les derniers titres révèlent bien les illusions et les contradiction de la période.
En juin, cette presse subit ses premières atteintes. En vertu de l’état de siège, une douzaine de journaux sont interdits, dont La Presse d’Emile de Girardin, qui défend avec courage les libertés menacées. Le décret du 11 août 1848 précise les délits de presse passibles d’amendes ou d’emprisonnement : ataques contre les droits de l’Assemblée nationale, contre les institutions républicaines, contre la liberté des cultes, le principe de la propriété et les droits de la famille. De nouveaux journaux voient cependant le jour : Le Journal, Le Jour, Le Pays qui soutiendra les intérêts de l’Empire, L’Ordre, très conservateur et surtout L’Evénement, journal de la famille Hugo, qui tout en soutenant d’abord Louis Napoléon Bonaparte, défend les principes chers au poète : abolition de la peine de mort, liberté de la presse, liberté de l’enseignement (contre la loi Falloux).
Le 13 juin 1849, Paris, menacé par l’émeute, est de nouveau en état de siège. De nouveaux journaux sont interdits. La loi du 27 juillet 1849 étend les dispositions du décret du 11 août 1848 aux attaques contre l’autorité du président de la République et aux offenses envers sa personne. Dès lors, les persécutions s’abattent sur les journaux démocratiques.
L’histoire de la presse de 48 s’achève par disparitions successives, mais définitives. Elle a suivi de près l’histoire du régime : de la foi et de l’espérance à la répression.
* Le Siècle, Le Constitutionnel, Le Journal des débats, Le National, La Réforme, La Concorde, La Fraternité, L’émancipation.
Le Journal des ouvriers, La Sentinelle des clubs, Le Journal de l’atelier, La Voix des femmes, Le Peuple constituant, L’Ère nouvelle.
Le Petit Caporal, Le Napoléon, La République napoléonienne.
1852 Les libertés bafouées
« La liberté n’a jamais aidé à fonder d’édifice durable : elle le couronne quand le temps l’a consolidé. Des restrictions ont été apportées à la liberté de la presse et à la liberté individuelle parce que l’une avait dégénéré en licence et l’autre avait par d’odieux excès menacé le droit de tous. » – Louis Napoléon Bonaparte –
Le régime autoritaire se met en place après le coup d’État. Louis Napoléon Bonaparte exhume ou prolonge la vie d’anciennes lois sur la liberté d’association, sur l’état de siège, sur les grèves ; il les complète aussi, toujours dans le sens de la restriction.
Le décret du 3 février établit les commissions mixtes (préfet, général d’armée, magistrat) qui permettent de juger sans instruction les personnes arrêtées depuis le coup d’Etat.
Le décret du 17 février rétablit pour la presse, l’autorisation préalable ; les charges sont accrues : cautionnement, droit de timbre, droit de poste ; enfin, le système de contrôle est redoutable, c’est le système des avertissements donnés par le gouvernement ou les préfets : au deuxième on risque la suspension, au 3e l’interdiction. Une autocensure se développe, car les délits de presse relèvent de la correctionnelle.
30 décembre 1852 : la censure dramatique est rétablie. L’administration est contrôlée de très près (épuration, serment, les préfets nomment les maires). La circulaire du 11 février 1852 institutionnalise « la candidature officielle » qui permet d’orienter les élections, même si elles se font au suffrage universel. L’empire n’est pas loin.
29 juillet 1881
La liberté de la presse ; la nouvelle loi supprime l’autorisation préalable et la censure ; seules quelques formalités administratives subsistent pour créer un journal : déclaration et dépôt.
Le gérant de presse est libre, est seul responsable et ne peut être poursuivi. Seuls, la diffamation des corps constitués et des souverains étrangers, l’offense au président de la République, la provocation au meurtre et au délit, à la désobéissance militaire, l’outrage aux bonnes mœurs, relèvent de la cour d’assises. Ce régime libéral sera encore plus libéral dans les faits car les poursuites seront très rares.
Le développement de la presse favorisé par le progrès technique (nouvelles rotatives) fait naître un contre-pouvoir essentiel qui jouera un grand rôle à l’occasion de l’affaire Dreyfus et du scandale de Panama.
1894 Les lois scélérates
Les scandales économiques et financiers, la crise économique qui s’installe depuis plusieurs années, l’agitation nationaliste et les troubles sociaux favorisent la montée de l’action directe de certains anarchistes.
On chante la Ravachol :
« Dans la gran’ ville de Paris
Il y a des bourgeois bien nourris
Il y a les magistrats vendus
Il y a les financiers ventrus
Il y a les argousins
Mais pour tous ces coquins
Il y a la dynamite », sur l’air de ça ira
Les « coquins » exploitent la dégradation des relations sociales et font voter des lois sur la répression de l’anarchie qui sous couvert de protéger les citoyens, restreignent en fait la liberté de la presse, la liberté de réunion et d’association.
« Les lois scélérates » provoquent des réactions très vives de la part des socialistes « Il y a longtemps que les hommes de Panama ont juré de détruire la liberté de la presse et la liberté de réunion » – Jaurès –