L’effroyable complexité du cerveau
On m’avait demandé d’écrire une pièce de théâtre sur le cerveau. L’expérience a débouché sur une pièce de politique fiction “les aiguilles de l’horloge n’indiquent pas la même heure”…Pour en arriver là, un neurophysiologiste, un psychiatre, un auteur et moi-même sommes partis pour un voyage dans le cerveau et dans nos cerveaux qui a duré un an. Les mots nous piégeaient; il faut nommer pour faire participer les autres, mais le mot est imparfait. Chacun de nos cerveaux, comme tout cerveau, laissait des traces à l’extérieur et apprenait en modifiant ses circuits, en se créant des référents en fonction des situations que nous imaginions. Jamais je n’avais ressenti à ce point le fait que le cerveau est immature, entre la cire vierge et le bourgeon.
Voici quelques notes sur le cerveau …mais peuvent-elles être utiles? le cerveau peut-il s’introspecter lui-même? N’est-on pas dans le cas du serpent qui se mord la queue?
Le cerveau, environ 1500 g de matière molle dans laquelle officient 100 milliards de neurones, chaque neurone recevant les informations provenant d’environ 100 à 1000 milliers de neurones et les transmettant à autant d’autres. Cette propagation de l’influx nerveux n’est pas aléatoire, elle dépend du passé culturel de chacun. Ce que je suis est une résultante de ce que j’ai été.
Comment le monde, indifférencié pour le cerveau du nouveau-né, devient-il perceptible au sens de la connaissance?
Lors du développement de l’embryon, le cerveau résulte d’un enroulement qui ramène la partie la plus développée près de la partie la plus ancienne, c’est le rhinencéphale qui module la pensée!
Nous sommes aussi le produit de notre futur grâce à l’anticipation. Le langage qui permet de structurer la pensée, permet de recréer une situation passée pour anticiper une situation à venir.
Et pour que cette activité incessante n’aboutissent pas au chaos, des synapses inhibitrices interviennent en permanence pour maintenir une activité cohérente du cerveau.
Le cerveau est le parasite le plus important du corps, si le corps vient à manquer de quelque chose, c’est le cerveau qui en souffre le premier et le plus vite.
La barrière hémato-méningée le protège, sauf pour les molécules qui miment les molécules naturelles. C’est une des causes de la grande misère des drogués qui prennent des endorphines synthétiques qui font baisser le taux des endorphines naturelles entraînant un rétrocontrôle péjoratif.
Ceux qui demandent qu’on leur prescrive des psychotropes en disant: “donnez-moi quelque chose qui n’altère pas mon intégrité psychique” n’ont rien compris aux mécanisme des psychotropes!
Images du cerveau
Le développement de l’imagerie IRM a fait faire d’énormes progrès en 20 ans dans la compréhension du fonctionnement du cerveau. Il existe de très bons livres sur le sujet comme Le cerveau de cristal de Denis Le Bihan.
Je ne parlerai donc que du plaisir de découvrir les infinies ressources de notre cerveau.
Notre cerveau reçoit à chaque instant des informations sur le monde extérieur par l’intermédiaire des sens qui lui envoient ces signaux d’entrée. Le cerveau les traite : ceux-ci deviennent perception, émotions, mémoire, pensées, etc. Après traitement le cerveau génère un signal de sortie qui va activer nos muscles, nos glandes, etc, et nous permettre d’agir sur le monde extérieur.
Lorsque ces signaux affectent les circuits réflexes, ils activent peu de synapses, mais lorsque ce n’est pas le cas, de nombreux étages de synapses entrent en jeu qui vont devoir intégrer des milliers d’ordres simultanés et parfois contraires.
Les récepteurs qui vont envoyer les signaux au cerveau sont surtout sensibles aux changements: notre cerveau ne nous rappelle pas mille fois par jour que nous avons des chaussures…sauf si elles nous font mal au pieds.
Il n’y a pas véritablement de centre de la mémoire, c’est la complexité des aiguillages qui font la mémoire. De plus, qu’est-ce qui est “rappelé” lorsqu’on se souvient? Nous n’avons même pas conscience de la complexité de ce qui se passe dans notre cerveau lorsqu’on “se souvient”.
Quant à l’apprentissage, plus on a engrangé d’expérience et de données, mieux et plus rapidement on trouve des solutions, mais le danger est que l’utilisation répétée des mêmes circuits neuroniques finit par favoriser un chemin plutôt qu’un autre: on devient efficace dans les tâches répétitives, mais pas si on a à faire face rapidement à l’imprévu. Le danger, de l’apprentissage au formatage, est de vouloir “programmer” le cerveau comme si c’était un ordinateur. Mais nous ne connaissons pas de langage du cerveau donc nous posons peut-être les questions de façon incorrecte. La perception, la conceptualisation, l’imagination, la volonté, l’émotion mettent en jeu un si grand nombre de neurones en interactions si complexes qu’il est extrêmement dangereux d’essayer de comprendre le cerveau comme si c’était une boîte noire: on entre des signaux et on regarde ce qui sort (c’est la grande erreur des comportementalistes). La boite est trop complexe: les différentes régions du cerveau accomplissent certes des tâches différentes, mais certaines opérations similaires, comme reconnaître des chiffres et des lettres ou des lettres et des des idéogrammes, n’affectent pas les mêmes aires cérébrales. On ne peut donc pas comprendre le cerveau pas l’étude des parties car son fonctionnement ne s’explique pas par la somme de ses parties.
Chez les organismes supérieurs, la complexité du câblage du cerveau est telle qu’aucun codage inné ne pourrait atteindre la précision voulue (par exemple pour la vision stéréoscopique). Le câblage se fait donc avec (et par) les contacts avec le monde extérieur.
Mais comment croit-on voir le monde? Si on imagine qu’on a un récepteur télé dans le cerveau, qui le regarde? Même si le “moi” peut être identifié au mécanisme de commande de l’ensemble du cerveau, quelle est la nature de cette commande?
Le neurone savant n’existe pas.
Il ne faut pas surestimer le sens d’un signal capté sur un neurone. L’ensemble des neurones, câblés avec précision, fonctionnent comme un réseau associatif.
Nous sommes face à une tragédie: l’homme ne comprendra le monde que lorsqu’il aura saisi comment son instrument de compréhension (le cerveau) fonctionne, or il semble qu’il nous soit impossible d’accéder au langage de notre cerveau.
Mettre un homme en face de son cerveau le rendrait fou.
Exemples de cerveau en danger:
Lorsque quelqu’un ne trouve pas son JE, n’arrive pas à le construire par ce Jeu permanent entre son cerveau et le reste du monde, il n’arrive pas percevoir la réalité du monde extérieur.
– Cas de l’autiste qui ne peut pas construire son JE.
– Cas du goulag où l’homme doit essayer de s’en sortir pour conserver son JE. Pour se tirer de cette situation périlleuse, le cerveau va anticiper, se référer à une grille d’analyse qui résulte de quantités d’expériences engrangées. Il doit aussi résister à la stimulation continuelle sans respect des rythmes de vigilance.
– Cas du cerveau sous l’emprise de la drogue: le JE halluciné.
La conquête de l’éveil
L’aventure humaine est la conquête de l’éveil à travers le cycle éveil, sommeil, rêve qui nous fait quotidiennement re-parcourir l’aventure de l’évolution de notre cerveau.
L’éveil est capital pour la survie de l’espèce. C’est pendant l’éveil que nous produisons les facteurs responsables du sommeil.
Le rêve est le retour à la nature (éveil génétique) qui s’oppose (ou plutôt alimente) à l’éveil lié à l’environnement épigénétique culturel.
La civilisation moderne place le cerveau humain dans des conditions non prévues par l’évolution: il existe une désynchronisation entre l’horloge circadienne endogène et le temps réel, d’où un dérèglement du cycle éveil-sommeil. En l’absence de synchroniseur externe, le cycle de notre horloge interne est de 24 heures. Deux cycles de sommeil de 180 minutes semblent suffisants (quota nécessaire), au-delà, il s’agit d’un quota de luxe.
Un timer dans le cerveau
Vous avez un timer dans votre cerveau. L’avez vous déjà testé?
En vous endormant, vous décidez de vous réveiller à 6h35 le lendemain matin…et ça marche.
Vous pouvez aussi faire des oeufs à la coque et demander à votre cerveau de compter 3 minutes (sans compter 1,2,3? etc…ce serait de la triche).
Essayez, vous verrez que votre horloge interne peut être perturbée si votre cerveau réflexif ou votre cerveau sensitif viennent avancer ou retarder le balancier de votre horloge interne.
Mais vous verrez aussi que vous pouvez faire des oeufs coque sans chronomètre.