La complainte de Jean Quemeneur

Jean Quemeneur

aquarelle de Ricard Cordingley

Une histoire bretonne

Ansquer, c’est ma famille paternelle bretonne, le nom de jeune fille de ma grand mère.

J’ai hérité de mes ancêtres marins un penchant à m’arsouiller les soirs de grand vent et un questionnement sans fin sur la résilience : mais comment supporte-t-on autant de misères? Mais en en riant, voyons!

je ne résiste pas à vous faire redécouvrir la Complainte de Jean Quemeneur, écrite par Henri Ansquer vers 1900 et très connue des marins!

Il s’appelait Jean Quemeneur,
Il était l’fils d’une demi-sœur
A la fameuse Madame Larreur,
La grande Hortense,
Celle qui tenait un caboulot
«Aux gars de Dinard et de Saint-Malo»
En fac’ la caserne du dépôt
A Recouvrance!

Sa mère était une Kermarec,
Vous savez bien, d’Lambezellec,
Une grosse puant du bec
Qui n’eut pas de chance
Avec Yann, son premier mari,
Bon garçon, mais faible d’esprit
Qui dans son grenier se pendit
A Recouvrance!

C’était parents aux Kervella
Vous avez connu ces gens-là?
Qui faisaient tant de tralalas
Et d’manigances
Portant voilettes et grands chapeaux
Qu’on aurait dit, ou peu s’en faut,
Qu’ça fréquentait des amiraux
A Recouvrance!

Son père était pompier au port,
Travaillant peu mais buvant fort,
Et jamais content de son sort,
Comme bien on pense.
Avec sa pipe et son fanal
Il s’balladait dans l’arsenal
Du « Corps de Garde » au « Fer à Cheval »
 Recouvrance.

C’est par une nuit qu’il vit le jour,
Au treize de la rue de la Tour;
Il faisait noir comme en un four
Et, pas de chance,
Avec ça un vrai temps de canard:
D’la pluie, du vent et du brouillard,
Ce qui mit la sag’femme en retard
A Recouvrance.

Mais le malheur vint, qui l’eût cru?
Son père, un soir qu’il était bu,
Tomba sur sa tête et mourut
Sans connaissance
Et sa mère eut ce mot touchant:
« Gast ! Me voilà veuve à présent:
J’aurai plus d’père pour mon enfant »
A Recouvrance!

Puis sa mère mourut à son tour
Toujours au treize d’la rue de la Tour,
Mais sa tante Yvonne Marchadour
Qu’avait de l’aisance
Et du cœur autant que d’l’argent
Jura le jour de l’enterr’ment
De veiller sur le petit Jean
A Recouvrance

Comme tous les petits enfants
Il eut la cocotte à quatre ans
Et puis la toque pendant quequ’ temps
Bref, son enfance
Fut celle de tous les moutards
Que, légitimes ou bien bâtards,
On voit courir sur les remparts,
A Recouvrance!

Puis il grandit. Quand il fut grand,
Travailleur et intelligent,
Il voulut faire un vétéran
Ici commence
L’histoire de ses amours avec
Marie-Madeleine Poullaouec
La nièc’ de Jean-François Cusec
A Recouvrance!

Elle était jolie comme un
cœur
Il l’épousa , fou de bonheur,
Dans notre église Saint-Sauveur
Puis, quelle bombance!
Aussi, quell’gaieté, quel entrain,
Jusqu’à trois heures lendemain matin
Dans les salons du « Petit Jardin »
A Recouvrance!

Mais à cinq ou six jours de là,
Cette drôlesse le trompa
Avec un sigond-maîtr’ calfat
Plein de prestance,
Un sergent-major, un fourrier,
Un commis du port, un pompier,
L’agent Paugam et tout l’quartier
A Recouvrance!

Puis, v’là-t-y pas qu’à Kervallon,
Femme sans cœur et sans raison
Elle fit d’un quartier-maîtr’ clairon
La connaissance;
Ils s’en allèrent bras d’ssous, bras d’ssus
Au pardon d’la chapelle-Jésus;
Depuis, on n’les a plus revus
A Recouvrance!

Le pauv’mari, pour oublier,
Se mit alors à s’arsouiller
Dans tous les bistrots du quartier
A « l’Espérance »,
Au débit d’la mère Pouliquen
Et même au « Retour du Tonkin »:
On voyait qu’lui soir et matin
A Recouvrance!

Bref, un soir qu’il ventait très fort,
Roulant de bâbord sur tribord
Il finit dans le fond du port
Son existence
Pour avoir voulu, l’pauv’garçon
Aidé d’son ami Kerouanton
Larguer l’amarre du Petit Pont
A Recouvrance!

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