Tendresse et transparence
« Rien n’est plus vrai ni plus tendre à la fois que la jeune mère, assez mal fagotée il est vrai, qui se penche vers un berceau où s’endort un enfant rose, doucement visible à travers la nuée pâle des mousselines », mal fagotée, quel esprit critique ce Jean Prouvaire.
Elle lève les voiles un à un. Sans rien toucher, juste avec les yeux, pour ne pas le réveiller. Délicatesse des pastels, fraîcheur de l’instant, légèreté des voilages, intimité entre la mère et son enfant. Moment suspendu de contemplation sereine où ils semblent ne faire qu’un dans la continuité diaphane du berceau. Comment la composition met-elle en scène cette maternité ?
1872 – 56 cm x 46 cm
Sujet
Portrait d’Edma Pontillon, sœur de Berthe Morisot, et de sa deuxième fille Blanche née en 1871. Edma, comme sa sœur Berthe qui devait participer activement à la bataille impressionniste, avait été encouragée dans la voie de la peinture par sa mère. Son nom figure aux salons de 1863 à 1867. Elle abandonne alors la peinture pour se marier. En 1874, Berthe Morisot participe à la première exposition impressionniste chez Nadar où elle est la seule femme du groupe. Berthe Morisot qui fut élève de Chocarne et Oudinot , rencontre Manet en copiant Rubens, elle entre dans les vues de Manet sur la peinture. Manet fit d’elle des portraits inoubliables ; et par un juste retour des chose elle attira Manet vers les impressionnistes avec lesquels elle était liée. Elle fait partie de ce monde cultivé et élégant qui tourne autour de deux personnalités capitales de cette époque, Manet donc et Mallarmé.
Le berceau touche à un événement familial, la naissance de la fille de sa sœur Edma, prénommée Blanche.
C’est elle la mère penchée sur le berceau. Il y a peu de « maternités » dans la peinture du XIXe siècle comparé à la peinture de la renaissance Italienne, il est vrai que le prétexte religieux favorisait le sujet. L’intérêt de ce tableau vient aussi du fait que Berthe Morisot qui s’est attachée dans sa peinture à la vie quotidienne et beaucoup aux faits de la vie de famille, a traité le sujet sans autre connotation que l’événement dans une vie de femme qu’est la maternité.
Composition
La composition est ici particulièrement réussie, construite sur deux groupes de lignes différentes : trois grandes courbes en premier plan, et deux diagonales ; une en premier plan et l’autre en arrière plan. Le personnage de la mère est inscrit dans un triangle, il trouve son vis à vis dans la forme du berceau, dont le voilage rappelle par sa forme une aile d’oiseau.
Ce berceau est construit sur trois courbes, une horizontale qui fait toute la largeur du tableau, il est l’horizon de cette femme, une seconde celle du voilage, et une troisième faite par la tige qui tient le dit voilage. On peu y ajouter la contre courbe du berceau qui elle crée une profondeur, la seule qui ait un caractère optique. Et puis deux grandes diagonales celle du rideau du berceau, et celle du voilage de l’alcôve du lit au fond de la pièce, parallèle à cette dernière.
Couleur, lumière
Deux gammes de couleurs président au tableau : une gamme de blancs, et une gamme de bruns, noirs et gris. Quelques notes de couleurs vives sont introduites dans le rideau : orangé, rose et rouge.
Les voilages sont traités avec une très grande légèreté, tant ceux du berceau que ceux du lit à partir de blancs teintés ou même purs, pour le berceau sur l’ocre jaune clair, et pour le voilage du lit, sur les bleus clairs plus froids qui donc éloignent un peu plus et renvoient cette grande surface claire au fond du tableau. Le reste du tableau, le fauteuil d’ Edma, le mur du fond sont traités dans des teintes radicalement différentes, très sombres : le mur est brun foncé, avec une petite partie terre de sienne brûlée donc un brun rouge et le fauteuil de la mère est lui, complètement noir, justes quelques accents lui donnent forme (le bois du dossier et une note claire tout en bas à gauche).
La lumière de ce tableau est très douce, très féminine
en tout cas ; c’est un univers de voilages, diaphanes qu’elle traverse; elle ne vient pas du fond du tableau mais de notre côté, le grand voilage du fond qui sans doute entoure le lit désigne le lieu comme la chambre de la mère et, c’est donc le lieu le plus intime qui soit et c’est cette intimité que Berthe Morisot veut faire apparaître.
Matière, forme
Berthe Morisot avait un trait très particulier qui la différencie de tous les autres impressionnistes, il est léger et aigu, il accompagne parfaitement sa manière de peindre, on lui a reproché cette rapidité d’exécution qui pourtant était dans les ambitions de cette époque et que Manet défendait. Elle donna à son coup de pinceau une agilité et une liberté que peu de peintres de son temps ont atteintes. Elle poussera cette recherche de style jusqu’à rejoindre Claude Monet dans ce criblage de coups de pinceau, qui donnera à sa matière picturale une vibration et une légèreté transparente unique dans la peinture. Dans « le berceau » elle est encore à mi-chemin, mais ce miroitement soyeux qui la caractérise est déjà là dans le travail admirable des blancs, dont le geste de la main de la mère qui tient le bord du rideau du berceau exprime peut-être la qualité recherchée : celle du toucher, toucher par les yeux. Touches diaphanes et transparences confèrent à cette toile un très grand caractère intimiste.
Analyse plastique ayant servi à la réalisation des jeux du CD-Rom de jeu Secrets d’Orsay