Coexistence paisible de l’homme et de la nature
Pour Baudelaire, Dupré n’est pas « un artiste qui veut exprimer la nature, moins les sentiments qu’elle inspire », mais le peintre qui joue avec les « mirages magiques du soir ».
C’est un coin de forêt où chante une rivière. Envoûtant reflet où les touches se juxtaposent dans un savant dégradé, le réel en est transfiguré. La magie ouvre ses vannes. Barrière en bois, cours d’eau, feuillaison, bleu du ciel, luisent dans une lumière enchanteresse. Comment la composition ordonne-t-elle cette campagne verdoyante, si chère à l’Ecole de Barbizon ?
1855 – 1860 / 51 cm x 69 cm
Sujet
Membre de l’Ecole de Barbizon, Dupré avait fait ses débuts comme peintre sur porcelaine (comme Renoir). Très vite il se passionne pour la peinture de paysage (forêt de Fontainebleau, L’Isle-Adam, ou de la Haute-Vienne). Son sens inné de la composition marquera Théodore Rousseau qui dira « C’est Dupré qui m’a appris à peindre la synthèse ». Une « vanne » est un panneau retenant l’eau et destiné à réguler l’écoulement d’une rivière. Sur cette toile on distingue très nettement des pieux qui forment barrage et une tranquille étendue d’eau où évoluent des canards au premier plan.
Jules Dupré est un excellent peintre, peut-être un peu occulté par la personnalité de son ami Théodore Rousseau. Il fit parti de ce groupe de peintres qui choisirent le village de Barbizon comme base de départ pour rayonner dans la forêt de Fontainebleau à la recherche de paysages.
« La vanne « est un bijou de peinture, Dupré était intéressé par les endroits d’où émanait du merveilleux. Ce merveilleux si largement distribué dans la campagne française à cette époque et qui est presque totalement disparu maintenant. Rousseau et lui sont très proches dans leurs recherches respectives, leurs manières de peindre se ressemblent, ils sont allés tous les deux dans cette même direction, cherchant dans le monde de la campagne plus la beauté magique et profonde de la nature que comme Troyon ou Charles Jacque le monde agricole de l’époque ; ce sera Millet qui fera cette synthèse avec un bonheur exceptionnel.
Composition
Paysage resserré sur un petit coin de forêt au bord d’une rivière, près d’une vanne d’irrigation, cette peinture sans ostentation est une composition presque cachée dans les feuillages, on voit un peu la rivière refléter la construction basse de la vanne, mais aucune ligne de composition, exceptée celle diagonale de la vanne au milieu du tableau, ne donne de solidité à cette construction ; c’est ce que voulait Dupré qui cherchait à créer le sentiment d’un nid caché dans les frondaisons des arbres. La profondeur est purement de sensation, mélange d’une diagonale et de plan successifs ; la barrière de bois, puis la rivière, la vanne et les frondaisons des chênes, enfin les nuages de pluie et leur trouée de ciel bleu qui sont une des parties les plus belles du tableau.
Couleur, lumière
Les peintres de Barbizon avait gardé le goût issu du XVIIIe siècle de la nature qui évoluera par la suite en description du monde paysan. Cette génération regarde le monde rural dans son ensemble, plaçant l’homme et sa présence à l’intérieur du monde naturel, ce ne sera que plus tard que cette disposition changera et que le travail humain sera placé au centre. La vanne est typique de cette situation de pensée, où l’homme est « présent « dans la nature, et sa dimension est donnée telle qu’on la voit et non telle qu’on la veut. Le petit personnage en veste blanche et chapeau de paille presque dissimulé dans les frondaisons, reçoit ce rayon de soleil inattendu donné par une trouée dans les nuages, trouée qui parsème l’endroit de taches de lumière relevant les éléments en courtes zones brillantes et humides. La tache de ciel bleue très intense rehaussée sur la partie basse de nuages d’une blancheur de nacre concentre toute la lumière et donne aux feuillages un double d’une légèreté exaltante et fraîche, vivante et habitée de pluie et de lumière. Dupré joue habilement sur le contraste ombre et lumière, paysage et ciel, vert foncé, bleu vif et blanc.
Matière, forme
Ce qui frappe chez Dupré, Rousseau et même Corot qui est né une quinzaine d’années avant eux, c’est leur intention plastique que l’on retrouve dans le courant romantique ; Baudelaire ne s’y est pas trompé qui défendit ces deux peintres.
Ils avaient appris de Michallon (peut-être par Corot qui fut son élève) à faire « le beau feuillé » que Michallon tenait de son Maître Valenciennes, ce fut un de leur plaisir dans la peinture et cette technique de feuillage ils l’a firent évoluer pour en faire une beauté qui leur appartienne, et qui porte cette magie et cette profondeur de la végétation à une force d’expression tout à fait exceptionnelle, et ceci par une technique du pinceau et de la couleur. Dans La Vanne, l’équilibre entre les masses sombres et denses des feuillages si délicatement développés et le ciel de nuages au teintes grises nuancées de mauve, de bleu et de rose sont d’un effet émouvant qui fait penser que ce peintre cherchait aussi son inspiration dans la musique. Comme chez Rousseau, le rendu minutieux des feuillages dans la lumière et celui des reflets des pieux et des canards dans l’eau tranquille témoigne d’une maîtrise technique exceptionnelle. Dupré obtient ces savants effets de miroitement par la juxtaposition et la superposition de touches de couleurs dégradées qui transfigurent le réel et traduisent un instant magique.