Réunion de famille de Frédéric Bazille

 

Réunion de famille de Frédéric Bazille - Musée d'Orsay

Secret de famille

 

« Portraits de famille qui témoigne d’un amour vif de la vérité. Les personnages sont groupés sur une terrasse, dans l’ombre d’un arbre. Chaque physionomie est étudiée avec un soin extrême, chaque figure a l’allure qui lui est propre », Zola estime Bazille pour sa tendance actualiste…

La famille est au complet. Sous cette lumière tamisée qui fixe ses variations colorées, les portraits sont tirés. Trois groupes s’amincissant en triangle dévoilent leurs lignes de parentés. Attitudes isolées où un subtil jeu de mains dénonce la personnalité de chacun. À vous de découvrir tous les sujets de cet instantané.

1867 – 152 cm x 230 cm

Sujet

Originaire de Montpellier dans le sud de la France (Hérault), Bazille est lié, dès le début de sa carrière de peintre, au mouvement impressionniste. A 21 ans, en 1862, il monte à Paris pour y poursuivre des études de médecine qu’il abandonne bientôt pour se consacrer à la peinture. Élève de Charles Gleyre, comme Monet, il se lie rapidement avec celui-ci ainsi qu’avec Renoir, Sisley et Pissarro pour partager leur lutte contre l’académisme. Cette grande toile est un portrait de groupe en plein air où Bazille s’est représenté lui-même à l’extrême gauche dans l’ombre d’un marronnier séculaire en compagnie de sa famille sur la terrasse de Méric, la propriété de ses parents entre Montpellier et Castelnau-le Lez. Dans cette toile, Bazille poursuit les recherches de Monet sur la représentation d’un groupe de figures en plein air. Monet avait peint son Déjeuner sur l’herbe (où Bazille a posé pour son ami) et ses Femmes au jardin (qui appartenait à Bazille) peu auparavant.

Bazille est mort à 29 ans sur le champ de bataille de Beaune-la-Rolande pendant la guerre franco-prussienne de 1870, nous n’avons donc qu’une œuvre écourtée, restreinte. On peut regretter la disparition prématurée de cet artiste qui fit partie dès l’origine du mouvement impressionniste, car son originalité évidente comme celles de ses amis Monet et  Renoir, aurait certainement produit une facette de l’impressionnisme des plus intéressante.

Bazille a 25 ans lorsqu’il rend cet hommage à sa famille, il figure derrière ses parents assis sur le banc, la scène se passe dans la maison de la famille, sans doute cette même terrasse où il a peint sa cousine Thérèse des Hours en 1864. C’est un retour de promenade, le bouquet posé par terre témoigne d’un passage au Jardin d’où on a rapporté quelques fleurs ; une ombrelle et un canotier fleuri font l’emblème du moment.

Il y a 11 personnages, 6 femmes et 5 hommes, c’est l’été, tous ce monde est sous le châtaignier  et pose pour cette réunion de famille.

 

Composition

Ce tableau est composé de trois triangles rectangles formés par les trois groupes de personnages parallèles qui vont en décroissant de la gauche vers la droite. Trois diagonales parallèles rythment la construction coupée par les verticales des personnages debout et du tronc du marronnier.

Nous pouvons donc lire ce tableau comme un livre d’image familial ; à gauche assis sur un banc et formant l’élément stable et donnant un sentiment d’immobilité, le père et la mère de Bazille ; décalés dans le tableau ils n’en sont pas moins désignés comme le centre du groupe, la mère regarde vers nous comme si nous étions non pas le peintre mais un photographe. Le père regarde au loin, il donne le sentiment d’être physiquement présent mais d’avoir l’esprit ailleurs. Son regard est tourné vers le paysage comme le jeune couple debout à sa gauche ils semblent d’ailleurs regarder tous les trois la même chose. Derrière le couple des parents qui semblent soudés l’un à l’autre, peut-être aussi par les habitudes communes, deux hommes dont un au fond très grand, Bazille lui-même et son oncle qui semble se cacher derrière son compagnon. Assises à table deux femmes, une d’un certain âge, la tante de l’artiste, l’autre, sa fille; c’est aux pieds de cette jeune fille que se trouvent le bouquet de fleurs, l’ombrelle et le chapeau qui doivent lui appartenir. Elle se détache du groupe par l’intensité que le peintre lui a accordée. Enfin à droite un groupe de trois personnes, Marc Bazille, frère de l’artiste et sa femme, plus Camille des Hours, la plus jeune des cousines de Bazille.

Couleur, lumière

Bazille poursuit dans cette grande toile les recherches déjà menées par Monet dans son Déjeuner sur l’herbe et ses Femmes au jardin sur les variations du rendu des figures en plein air selon la lumière et l’ombre. Dans ce tableau, la lumière et son incidence sur les couleurs a autant d’importance que les figures représentées. On peut lire cette toile de gauche à droite, de l’ombre à la lumière, des valeurs sombres vers les valeurs claires. Contrairement aux toiles de Monet peintes en Île-de-France où la lumière est constamment changeante, le tableau de Bazille fixe la lumière écrasante du Midi comme sur une photographie.

La réunion de famille a lieu sur la terrasse de la propriété de la famille Bazille, un châtaignier la couvre de son feuillage, un autre dont on voit qu’un peu du feuillage ombre la partie droite du tableau. L’espace entre les deux arbres laisse passer les rayons du soleil qui fait quelques taches claires, d’un beau jaune de Naples, sur le sol sableux de cette terrasse. L’arbre étale son feuillage très largement et toute la scène est dans son ombre, ne laissant passer aucune tache de soleil sur les personnages. L’ensemble baigne donc dans cette très légère pénombre qui donne une grande force aux bleus et aux mauves. La couleur dominante s’accompagne des noirs des vêtements des hommes qu’approfondit la lueur verte que fait le feuillage très sombre du châtaignier. La lumière si spécifique de cette région que Bazille connaît bien pour y être né, lui importe beaucoup et son double aspect dans ce tableau est bien fait pour passionner un peintre. Cette scène lui donne en effet l’occasion de mélanger deux choses comme cela se faisait dans les scènes mythologiques de la peinture des siècles précédents : un paysage très travaillé, au delà d’un groupe de personnages important ici, puisqu’il comporte 11 personnes.

Il y a donc deux éclairages dans le tableau mais Bazille donne l’importance première à l’ombre, nous sommes en été dans le midi, les robes légères et les pantalons blancs désignent un assez forte chaleur. La couleur bleue sombre de la robe de la mère sur laquelle elle porte un châle noir lui donne un aspect nocturne en contraste avec la robe blanche de la jeune fille dont la partie bleue répond au ciel, avec à sa droite l’autre jeune fille, assise sur la margelle de la terrasse qui porte elle une robe blanche à pois, elle est là bas posée comme un nuage, à la limite de l’ombre et de la lumière qui éclate sur la campagne derrière elle.

 

Matière, forme

Contrairement aux toiles contemporaines de Monet sensible aux variations de la lumière qui dissout les formes, ce tableau semble éterniser une chaude après-midi d’été. Les paysages statiques qui semblent regarder un objectif photographique sont comme sculptés par la lumière et l’ombre. Les quatre femmes assises s’inscrivent dans des formes triangulaires solides. Cette impression est nuancée par la richesse de la matière et la virtuosité du pinceau de ce tout jeune artiste qui excelle à rendre les variations colorées des étoffes dans la lumière tamisée.

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