Le ballon de Félix Valloton

Le Ballon de Felix Vallotton - Musée d'Orsay

Le Ballon de Felix Vallotton - Musée d'Orsay

Composition savante pour un sujet familier

« Ces larges taches d’ombre ou de lumière reproduisent des silhouettes réelles arrangées en vue d’un effet d’ensemble. IL possède une observation directe doublée d’humour. » André Mellerio juge fort bien Félix Vallotton, « le nabi suisse »…

Il court, il court à perdre haleine. Il court, il court à perte de vue. Ultra-plongeante sur cet arc de cercle qui divise la scène d’un bout à l’autre. Sur ce clair-obscur qui la découpe de bas en haut. Est-ce le soleil qui envahit l’espace ou l’ombre qui gagne du terrain, la balle est dans le camp de la lumière. L’enfant a choisi le sien. Comment la composition approche-t-elle le réel ?

1899 – 48cm x 61 cm

Sujet

Ce tableau de taille modeste est comme le « dîner » vu de haut mais aussi de loin. La scène se passe au « Relais », la propriété de Thadée Natanson, rédacteur en chef de la Revue blanche, et de Misia Godebsta, son épouse, à Villeneuve sur Yonne. Cette scène de parc est un sujet cher aux Nabis. C’est une des plus belles réussites picturales de Vallotton, sa simplicité, son audace de peintre, l’intimité du sujet et son apparente insignifiance en font un modèle de la peinture nabis dans la mesure où Vallotton par son style limpide sans aucune afféterie, sert parfaitement cet équilibre du sujet et du traitement dont le but était l’accès à une nouvelle sensibilité au réel.

Un enfant court vers une balle rouge passant de l’ombre au soleil, il a abandonné un ballon couleur de sable pour cet objet rouge qui est dans la lumière ; attirance pour cette couleur lumineuse dans le soleil ? Comme toujours avec Vallotton l’évidence se mêle au mystère.

Composition

La composition est étonnante car elle est conditionnée par un point de vue dont la signification composite est fort intéressante : nous sommes, nous qui regardons loin de l’enfant très au dessus de lui, cette vue est donc forcément celle de quelqu’un qui regarde par une fenêtre vers ce jardin. Cette vue plongeante est héritée des estampes japonaises à moins que Vallotton ne se soit servi d’une photographie comme il le faisait souvent. Il a à proximité la masse d’un feuillage d’arbre qui lui cache une partie du parc, en haut à droite. Cette situation conditionne la composition du tableau qui est organisée à partir d’un arc de cercle traversant presque totalement le tableau du coin gauche au tiers de la largeur droite, marquant la courbe de l’allée.

Cette ligne fait toute la dynamique du tableau, le reste s’accroche à elle, mais c’est elle qui leur donne le mouvement. Vallotton crée ainsi à partir d’une seule ligne tout un univers d’une puissance stupéfiante.

La ligne d’horizon est elle dissimulée dans la pelouse et les frondaisons elle est une immobilité contradictoire ponctuée, d’ailleurs, par les deux silhouettes minuscules d’adultes dans le fond du parc, qui font une sorte de borne blanche et bleue au mouvement général. Les contrastes de valeurs, sombres et claires, déterminent la composition.

Couleur, lumière

Deux couleurs dominent cette peinture : le vert et l’ocre jaune, en deux tonalités, une sombre (bleuie à l’outremer) et une claire, de même pour le sable : une dans l’ocre, et une autre assombrie avec sans doute avec la terre d’ombre naturelle et un peu de bleu. Ombre et soleil coupent le tableau en deux parties verticales, avec un léger avantage au soleil ce qui donne l’impression d’abord qu’on va vers lui et ensuite qu’il envahit l’espace décrit.

La lumière est celle d’une matinée d’été, Vallotton fait sentir le moment exact avec un très grande économie de moyen. Très peu de couleurs mais les teintes fort bien étudiées dans leur exactitude par rapport à la lumière.

Le bleu de la lumière vient bien sur de la couleur du ciel dégagé, Vallotton l’introduit bien sur en mettant le bleu dans l’ombre mais aussi en sertissant les feuillages illuminés par le soleil de touches de bleu. Mais cela ne lui a pas suffit il a voulu matérialiser ce que l’on ne voit pas dans cette « vue du parc » d’une manière charmante comme nous allons le voir.

Matière, forme

La pointe du mouvement et du clair-obscur dans le tableau est rendu par la figure de l’enfant en mouvement, sa course fait apparaître dans le tableau deux éléments importants : l’ombre de l’enfant est très précisément peinte, elle est un peu plus intense que celle des feuillages, son tablier presque blanc dont les pans volent accuse d’une part la présence du vent qu’on ne sentirait pas sans cette « attaque » (comme l’on dit d’une note de musique jouée sur un instrument), mais ce n’est pas tout car le centre du tableau, le point culminant si on peut dire est donné par la note jaune stridente du canotier de l’enfant orné d’un ruban rouge, il est la représentation du soleil dans le tableau et donne la tonalité de la lumière en indiquant le contraste maximum, l’enfant court en réalité dans le ciel, vivant la lumière même du soleil. Mais il manquait pourtant quelque chose au peintre dans ce tableau ; l’immensité céleste, il le donnera par le lointain, l’immense distance qui sépare l’enfant des deux femmes au fond du parc, grande distance donc, grand espace, mais rendu par de tout petits personnages, très grands d’autre part pour l’enfant puisqu’ils sont adultes ; deux femmes, l’une en bleu ciel l’autre dont la robe est d’une blancheur de nuage. Il s’agit d’une peinture sur carton comme les aimaient les Nabis. L’allée ensoleillée et la silhouette de l’enfant sont traités en aplats de couleur qui donnent des formes sans relief, procédé également typique des Nabis.

Extrait de l’analyse plastique réalisée pour le CD-Rom Secrets d’Orsay (en vente dans les boutiques RMN)

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