Le pont de Maincy de Paul Cézanne

Le pont de Maincy de Paul Cézanne - Musée d'Orsay

Le pont de Maincy de Paul Cézanne - Musée d'Orsay

Rythme et art de la teinte

Zola ne s’y trompe pas : « La coloration, un peu sourde, a une harmonie presque douce, tandis que la justesse des tons et l’ampleur du métier établissent les plans et font que chaque détail a un relief étrange »…

Le reflet du paysage y est, mais la construction coupe les ponts avec l’impression. Puissance des lignes, eau, arbres et ponceau s’opposent, seules les arches apaisent ; nature en profondeur, gris, vert, beige s’échelonnent ; rythme des touches, verticales pour la végétation, arquées pour les voûtes, horizontales pour la rivière. Tout vibre et se réfléchit. Pour en saisir l’amplitude poétique, commencez par observer la couleur.

1879-1880 – Dimensions: 60 cm x 73 cm

Sujet

Ce paysage, ou si l’on veut ce morceau de paysage est exemplaire de la manière de Paul Cézanne choisit son sujet et le construit sur la toile, Il lui faut d’abord des lignes de force très solides pour composer puis une sorte d’ascétisme du sujet ; peu de couleurs, une grande force d’expression, un rythme qui s’étend à tout le tableau, pour le cas du pont de Maincy il habite tout jusqu’au traitement du feuillage, des troncs d’arbre et des pierres du pont. Il s’agit en apparence d’un banal petit pont de bois gris sur une rivière très française, l’Almont, à Maincy près de Melun en Ile de France et c’est peut-être la modestie ou bien même la banalité du sujet qui donne à la peinture une nouvelle dimension en agrandissant son rôle par rapport à un sujet gracieux certes mais sans plus d’intérêt que des milliers d’autres. Il y a toujours dans la peinture des impressionnistes un équilibre entre le sujet et la peinture, ici il semble rompu, on s’en rend peu compte de prime abord car on peut y voir, bien sûr un paysage comme tous les paysages impressionnistes, mais si on s’imprègne du sujet on finit par remarquer que la peinture n’intervient pas de la même manière que dans un tableau de Pissarro, de Sisley ou de Monet. L’avantage va à la charpente qui reste apparente dans la finition du tableau, cette aspect de la composition est servi par une touche ferme et longue dont la simplicité soutient le rythme et donne à l’ensemble du sujet une vibration qui évoque ici particulièrement l’aspect du miroir.

Composition

Aux verticales des troncs nettement affirmées à gauche et à droite s’opposent les horizontales centrales du tablier du pont et de sa rambarde. La liaison entre ces lignes de force de la composition s’établit par de très nombreuses diagonales, celles des soutènements des arches et des branches dominées par la grande branche cassée. Les arrondis des arches adoucissent cette géométrie anguleuse. La profondeur et l’espace sont créés par la touche et la couleur.

Le léger « décalé » sur la gauche de l’ensemble du pont crée le sentiment  de passage, celui d’un marcheur sur la rive ou celui de quelqu’un passant sur une barque très lente ; ce mouvement donne la possibilité à celui qui contemple le tableau d’entrer par le regard dans le mouvement lui-même. Mais Cézanne retient ce mouvement de glissement du regard par un autre mouvement arrondi, organisée par les feuillages des arbres et qui insiste sur cet espèce de regard vide de l’eau que font les deux arches du pont, c’est sans doute ce double mouvement qui provoque l’étonnant sentiment de nostalgie que soutient la lumière comme nous allons le voir plus loin.

Couleur, lumière

A travers cette œuvre, on peut juger de la place et de l’équilibre donnés par Cézanne aux différents éléments qui font la peinture dans un tableau. Le rôle de la lumière est par exemple ce qui le différencie des impressionnistes car il ne met pas la lumière au centre même si il lui accorde une importance considérable, elle est un des buts, elle n’est pas le but final du tableau, même si la lumière de ce tableau est en elle-même inoubliable.

Dans ce tableau, Cézanne se différencie des impressionnistes tout en traitant un de leurs motifs de prédilection : le reflet d’un élément de paysage dans l’eau.

Rien de chatoyant dans ses coloris non plus, car le colorisme n’est pas plus au centre de son art de peindre. Au premier regard on est saisi par son aspect fascinant, on a vu comment et pourquoi la composition est déterminante dans ce processus ; mais rien dans le tableau ne peut s’isoler et faire un « en-soi », les pièces de cette construction tiennent parfaitement ensemble et la lumière vient couronner l’ensemble.

Il n’y a que trois couleurs principales dans cette toile, : le gris , le vert et le beige variant du jaune au rose. C’est avec une grande économie que Cézanne traite ce moment et cet endroit étouffé sous les feuillages ; il crée d’abord une structure qui s’appuie sur les troncs d’arbres, il désigne par les arbres la verticalité, et par la surface de l’eau l’horizontalité que le pont souligne  avec force puisqu’il est le sujet du tableau. Mais est-ce bien vrai, n’y a-t-il pas déjà dans ce tableau un déplacement de l’idée de sujet, car dans cette œuvre, comme nous l’avons vu précédemment, la forme étrange des arches suscite à travers la banalité du sujet l’idée du regard lui-même, on pourrait dire l’idée du regard de l’eau elle-même. Mais ceci surgit à travers les formes et par analogie poétique ; ce n’est donc pas une idée issue d’une spéculation mais bien un sens que porte le tableau en lui-même.

Bien sur cette lumière admirable faite par l’enchantement des feuillages est très savante, car Cézanne n’a pas choisi un temps lumineux de soleil mais bien au contraire un temps couvert et orageux où une pluie molle pourrait survenir, il la fait pressentir dans cette lumière faite de gris et de vert.

Matière, forme

Contrairement à ce qu’il est convenu de dire Cézanne a abandonné très vite les empâtements ; à cette époque il a depuis longtemps allégé sa peinture. Sur un fond gris clair, il commence à la brosse en touches larges et puissantes mais avec un peinture relativement diluée. Ce n’est qu’à la fin dans les dernières couches qu’il procède à des empâtement mais jamais contradictoires avec son travail précédent . Ici il a donné de la force au miroitement des feuilles du premier plan qu’il sépare ainsi de la masse de feuillage du fond, créant une profondeur dans la partie haute du tableau.

Il est donc évident que Cézanne accordait une importance centrale à la construction du tableau, ce n’est pas seulement la composition sur le plat qui l’intéressait mais bien cette construction en profondeur évitant l’illusion optique. C’est à dire que la manière de peindre, le style si l’on peut dire, change de rôle, il est au service d’une construction esthétique où le volume joue un rôle central qui définit l’espace et même le mouvement ; là Cézanne est en complète opposition avec les impressionnistes dont certains dans leur volonté de dépassement de l’esthétique impressionniste iront vers le pointillisme qui est à l’opposé de la recherche de Cézanne.

Cézanne pose ses couleurs en touches parallèles et juxtaposées qui crient la forme. Touche, matière, couleur, forme et volume sont ici indissociables et c’est l’originalité de Cézanne par rapport aux Impressionnistes dans un sujet caractéristique de l’Impressionnisme. Son rendu des reflets dans l’eau est à l’opposé de ce que fait par exemple Monet avec ses Nymphéas où les formes se dissolvent dans la lumière.

Extrait des analyses plastiques réalisées pour le CD-Rom de jeu « Secrets d’Orsay »

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