Le printemps de Jean-François Millet

Le Printemps de Jean-françois Millet - Musée d'Orsay

Le Printemps de Jean-françois Millet - Musée d'Orsay

Intimité

« Nous voudrions aller voir ce champ que Millet nous montre, ce qui nous le paraît autre et plus beau que le reste du monde, c’est qu’il porte sur lui comme un reflet insaisissable, l’impression qu’il a donnée au génie », Marcel Proust est sous le charme de cette toile.

Où est passé l’orage ? Il menace, gronde et la lumière éclate. Vivante, elle s’enracine dans le sol fécond, saturé d’humidité. Printanière, elle enroule son écharpe d’Iris, autour de la terre et des cieux dans un ondoiement vert lilas, magique et merveilleux. À la croisée du sentier et de l’horizon, elle réunit toute la création. Quel est le rôle de la composition dans cette agitation saisonnière ?

1868-1873 / 86 cm x 111 cm

Sujet

Ce tableau fait partie d’une commande d’un certain Jacques Hartmann collectionneur de Théodore Rousseau qui deviendra par la suite un des mécènes principaux de Jean François Millet. Hartmann voulait un ensemble de quatre toiles, une par saison, ce n’est qu’en 1873 que Millet termina « le printemps », on sait que « les batteurs de sarrasin » et « les meules » représentaient l’été et l’automne et l’hiver, « les bûcheronnes » constituaient le dernier volet inachevé.

Millet ne choisit pas un paysage où la beauté de la nature apparaisse dans sa grandeur et sa sauvagerie il évite aussi contrairement à Rousseau ou Diaz  le pittoresque. Il choisit pour « le printemps » un potager,  pas un de ces potagers intimes, petit coin de jardin attenant à la maison, non, un potager professionnel, véritable exploitation agricole, vaste et organisée selon les saisons pour y recevoir divers culture. Un potager de paysan dont le fruit aboutit sur les marchés des grandes villes. Il y en a des milliers autour de paris dans la seconde partie du XIXe siècle, époque où la ville s’est considérable agrandie.

Millet reprend à ses prédécesseurs l’idée de l’allée et donc l’impression du promeneur, mais on ne va pas en promenade dans un tel endroit, on y va pour acheter légumes et fleurs ; le chemin d’ailleurs est large spacieux on peut y faire passer de grandes carrioles.

Millet attire l’attention sur ce lieu par un ciel extraordinaire, un ciel d’orage de printemps

Barré à gauche d’un double arc en ciel.

Composition

La composition est dans la plus pure tradition de la perspective, les deux lignes parallèles de la bordure du chemin s’enfoncent en s’amenuisant, créant l’espace du tableau ; le chemin est légèrement décalé sur la droite du tableau et il tourne doucement vers cette même droite. Une ligne d’horizon coupe le tableau presque à la moitié de sa hauteur au dessus, un splendide lointain : un coteau boisé, et à gauche, tapis dans la verdure les toits d’une ferme blanche. Les lignes géométriques des arcs en ciel font une sorte de lien entre le ciel et la terre, elles les conjuguent  par  l’immatérialité miraculeuse de leurs lumière.

Deux arbres fruitiers, comme deux mains s’écartant de part et d’autre du chemin ont l’air de s’ouvrir au soleil, ces deux diagonales donnent le mouvement au tableau, ce sont elles qui agitent l’air humide de la scène, et qui font le mouvement d’étalement de la tache de soleil.

Couleur, lumière

Ce tableau qui représente l’instant le plus éphémère qui soit, une tache de soleil pendant une pluie d’orage, Millet le travailla plusieurs années. Il fut peint probablement en grande partie de mémoire même si le peintre prit des notes rapides sur le motif. Mais l’exactitude des détail est extraordinaire car c’est elle qui permet à la lumière de circuler dans ce tableau exceptionnel. Cette tache de soleil occupe le centre du tableau elle est de formes circulaire forme que reprend l’arc en ciel, elle clôt ce monde sur lui-même dans une sorte d’absolu achèvement de soi, où le temps, la nature et le regard de l’homme se réunissent en une stase miraculeuse.

Cette lumière sur la terre, lumière mouvante bien sûr, donc lumière vivante donne une vie instantanée à tout ce sur quoi elle tombe. Elle est soutenu par un passé de ciel bleu à droite du tableau, autre tache de lumière où quelques branches fleuries se dressent, ce petit coin de lumière suffit par lui-même à évoquer un autre moment sur ce paysage. Là on peut apprécier la virtuosité toujours nourrie de sens et d’émotion de Millet ; mais on peut aussi s’étonner d’autres choses par exemple de la manière dont il a enchâssée sa tache de soleil entre les gris menaçants et agités du ciel d’orage et l’ombre bleue du bas du tableau. C’est une des trouvailles de Millet que cette ombre au premier plan, cette sorte de nuit qui monte du sol et qu’on retrouve dans « les glaneuses », dans « le parc à moutons » dans « l’angélus ». La présence de l’homme habite pourtant cet endroit et Millet a voulu faire aboutir notre regard qui cherche dans le tableau l’image de cette présence, suivant la leçon de Nicolas Poussin, il fait errer le regard dans la toile jusqu’à cet arbre au fond où un homme, un paysan s’est abrité de l’averse.

Millet a semé son chemin de fleurs blanches, ses arbres fruitiers de fleurs roses et aussi blanches et son ciel sombre d’oiseaux blancs, ces myriades de taches font miroiter la terre et restituent cette impression qu’un orage de printemps peut parfois donner : celle d’un jour-nuit, moment fabuleux où les étoiles se mêleraient au soleil.

Matière, forme

La facture de ce tableau est des plus savantes, Millet connaît encore le métier ancien, celui du XVIIe, celui des hollandais, celui de Poussin dont il s’est beaucoup inspiré. Il est pourtant parfaitement moderne quant à sa conception du sujet et du tableau ; la réalité prime dans tout ses sujets, il est d’autre part conscient de la recherche nécessaire d’une matière poétique dans la peinture dont l’art est essentiellement matériel. Son style, très subtil dans la mesure où son réalisme le dissimule en partie, ne vise pas à l’exercice mais à l’expression, et celle-ci n’est conçue que comme une orchestration du tout du tableau. « Le printemps » en est un exemple frappant car on est saisi au premier regard par la côté magique et merveilleux du tableau, sans qu’il y ait aucune allusion de ce type dans l’œuvre, on peut en prendre comme exemple l’admirable lointain du coteau et sa muraille d’arbres dressés dans la lueur solaire. Millet fait apparaître la permanence du paysage français et sa spécificité en plantant devant nous un potager, il fait de deux fruitiers des personnages oniriques, d’un chemin vicinal une voie sacrée.

La science de la matière des choses dans la lumière ; on pourrait même dire ici, la science de la matière même de la lumière, dont il donne  l’exemple en peignant ce double arc en ciel, font de Millet un des artistes les plus complets de ce siècle si fertile en génies. Millet dans chaque tableau cherchait une perspective temporelle où s’entasse si l’on peut dire toute la richesse de l’expérience humaine, tous âges confondus.

Extrait des analyses plastiques réalisées pour le CD-Rom de jeu « Secrets d’Orsay »

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