Lumière d’orage
Baudelaire voit des « papillotages de lumière, tracassée à travers des ombrages énormes ». A votre tour d’être illuminé par Diaz de la Pena, ce peintre du groupe de Barbizon !
Elle descend du haut des airs. L’orage a déjà rafraîchi l’atmosphère. Légère, elle perce les nuages, douce, elle berce les arbres. Chatoiement de couleurs, ocre, gris, sépia, sont couverts de sa somptueuse lueur ; brièveté de l’éclat, feuillages et rochers sont illuminés par sa mystérieuse fugacité. Comment la lumière met-elle en scène un des plus hauts sites de Fontainebleau ?
1867 – 84 cm x 106 cm
Sujet
Diaz savait frapper par des effets forts, ce qui lui valu un succès certain en son temps, Diaz fait preuve de fougue et d’une grande originalité dans ses paysages. Les hauteurs de Jean de Paris est une fort belle toile de lumière. Diaz a choisi de traiter un moment de l’orage où le soleil perce les nuages et jette une lueur somptueuse sur les feuillages roux de jeunes arbres sur les hauteurs du Jean de Paris, site célèbre de la forêt de Fontainebleau.
Diaz fut un peintre double, peignant la nature et des sujets allégoriques (nymphes…).
Evoquant la toile de Diaz, Baudelaire parle de « papillotages de lumière tracassée à travers des ombrages énormes » (Curiosités esthétiques). Diaz est un des premiers admirateurs et soutiens de Théodore Rousseau, maître de l’Ecole de Barbizon. Au sein du groupe, Diaz joue un peu le rôle de Caillebotte pour les Impressionnistes, poussant ses amis à exposer et les recommandant aux critiques qu’il connaît. Diaz s’est fait une spécialité de la représentation somptueuse des sites pittoresques de la forêt de Fontainebleau qui attiraient au même moment les photographes. Cette toile est une des plus célèbres de l’artiste et a appartenu à Alfred Chauchard, grand collectionneur et donateur au Louvre.
Composition
Celle-ci est déterminée par la couleur et la lumière : un 1er plan très sombre, les arbres illuminés, un ciel d’orage constituent les 3 zones de la toile.
Diaz a donné beaucoup d’air à cette peinture, même si l’importance du ciel n’est pas égale à celle de la terre ; l’air circule dans ce tableau. Trois courbes définissent cette composition : une ligne d’ombre en bas du tableau qui donne le mouvement, elle décrit le déplacement de gauche à droite d’un marcheur et fait glisser le regard sur les arbres illuminés par la lumière de cet orage d’automne.
Une séries successives de lignes de force diagonales strient le sol de ce groupe d’arbres, créant un autre mouvement qui descend de droite à gauche, cette composition très efficace et contradictoire donne toute latitude à la lumière pour s’affirmer dans l’instant fugitif et violent, chose que Diaz aimait par tempérament.
Couleur, lumière
Elles jouent un rôle essentiel dans cette toile en en déterminant la composition. Diaz use de très forts contrastes de lumière et d’ombre pour saisir instant fugitif, l’orage.
Ce tableau saisit tout de suite l’attention de celui qui le regarde, il est chatoyant de couleur, sa lumière est étonnante, on sent une volonté d’effet fort dans le choix de ce moment là de la lumière d’un orage. L’impression colorée qu’il donne est puissante et subtile, on sent dans le travail du peintre, une adhésion au moment de même nature que chez Rousseau, la démarche et la volonté de montrer la nature relèvent d’un même esprit qui marquera tout le siècle, cette œuvre montre d’une manière détournée sans faux semblant et par la peinture elle-même ce que Cézanne appelait un tempérament. Il reste dans cette toile beaucoup de l’atmosphère romantique du « sturm und drang » mais ce « pathos par la nature » recouvre une véritable sensibilité et un grand sens de la beauté.
Matière, forme
Dès 1851, le critique Théophile Silvestre louait la manière de peindre de Diaz, il emploie les couleurs à l’état vierge. Il exagère les empâtements et les frottis, mélange très peu les tons de peur de les affaiblir, les subdivise à l’infini et les pose de proche en proche sur la toile. En dépit d’un moment critique ici décrit par l’artiste, les formes harmonieuses traduisent une fusion entre l’homme et la nature principalement due à l’équilibre de la composition.
Les peintres de cette génération connaissaient encore le métier du siècle précédent, et Diaz comme Descamps ,Rousseau, Dupré, ou Corot ; (mais aussi comme l’ultime génération qui s’est par le fait réclamée de l’héritage du XVIIIe : Millet , Ingres) connaissait parfaitement l’art du paysage. Sa composition où l’on sent l’arrêt dans la marche pour contempler ce miracle de lumière, image si exacte de certains sentiments, (ces gens lisaient la nature aussi comme un miroir de l’âme) a toutes les vertus de matière, les petits empâtements des feuillages très bien menés donnent une présence magique aux arbres. Les rochers et tous les détails du sol travaillés dans une gamme de bruns, de sépia et d’ocre créent une harmonie que le ciel sombre et bleuté met magnifiquement en valeur, il y a de la passion dans cette peinture, mais cette passion qui regarde et cherche sa résonance dans la nature ne déforme rien, l’équilibre issu du XVIIIe siècle est encore présent dans cette peinture ; la nature et la culture sont en dialogue et le peintre y trouve une synthèse psychique dans la volonté de transmettre le sentiment de la beauté.
Extrait de l’analyse plastique réalisée pour le CD-Rom Secrets d’Orsay