Régates à Argenteuil de Claude Monet

Régates à Argenteuil de Claude Monet - Musée d'Orsay

Régates à Argenteuil de Claude Monet - Musée d'Orsay

Fugacité d’un instant lumineux

« Monet a pris pour règle de peindre des paysages directement en plein air. Cette pratique l’amène à saisir, dans chaque scène naturelle, l’aspect particulier, la notation fugitive de lumière ou de coloris », je suis sûr que cette critique de Théodore Duret va vous aider à distinguer la bonne proposition…

Peindre de lumière et d’eau fraîche. Vaste miroir où les reflets se confondent avec la réalité, où l’image réfléchie supplante celle perçue. Touche épaisse et fragmentée, de chaudes vibrations frissonnent dans les voiles ; peu de détails, l’écho est instantané ; illumination colorée, ocre, bleu, vert résonnent sur la Seine. A vous d’être ébloui, plongez dans cette matière aquatique…

1872 – 48 cm x 76 cm

Sujet

Des régates sur le Seine à Argenteuil, en banlieue parisienne, vues de la rive du Petit-Gennevilliers, sujet mis à la mode par les impressionnistes. C’est en s’approchant du réel au plus près que Monet s’éloigne de la représentation du monde, ce sont les choses tel qu’il les vit qui sont la matière première de sa peinture, son regarde ne veut aucun intermédiaire à sa peinture que la peinture elle-même. « les régates d’Argenteuil » en sont un exemple, car jamais un peintre n’aurait pu donner au regard cette fusion dans la lumière sans une adhésion profonde à la  beauté du réel. Mais l’étrange de la chose et cela en son temps étonna plus d’un, c’est en s’éloignant de la mimétique traditionnelle de la peinture que Monet atteint son but. Bien sûr il y  eut Courbet et son couteau à peindre, mais cette adhésion à la peinture, cette merveilleuse liberté dans l’art de peindre ne pouvait exister que si le peintre lâchait prise  et laisser la peinture aller seule sans garde-fou.

Monet a trente deux ans, il est au bord de la Seine, à Argenteuil, berceau de l’impressionnisme, en juillet sans doute ; il lui faut saisir cet instant de lumière où le ciel et l’eau se confondent, ce qui sera l’obsession de toute sa vie.

Composition

Le paysage c’est toujours un ciel et une terre, une ligne qui coupe en deux l’espace, celle de l’horizon, mais voilà que la chose se complique si la terre est prise entre le ciel et l’eau, et que cette terre navigue comme une grande barque entre les deux.

Tout le secret de cette toile est dans ce reflet, le réel est là devant nous deux fois comme fugué, sont double est une musique pur de lumière puisque le réel en lui n’est plus lisible, ce qui est visible là c’est un double, la musique puisque ce n’est plus l’image ; car le problème est là, ce tableau contient une véritable illumination par la simple lumière d’été. D’où vient cette sensation : du double aspect du visible, image et reflet. Le reflet donne là son statut de réalité à l’image, la boucle se referme sur la peinture qui résout la dualité, le tableau peut envisager sans raconter d’histoire, de restituer le réel et la perception que nous en avons confondus, Monet fonde là une des bases de la peinture moderne, après Manet.

La raison de cette composition est donc dans le dialogue du réel avec son reflet, au delà de cette découverte c’est le problème de la lumière pure qui commence mais ça Monet le savait depuis le début de sa peinture, et peut-être le savait-il enfant quand il regardait les choses .

Couleur, lumière

Une dominante de bleus ponctués de blanc (lumières), de verts et de rouges orangés. L’ivoire des voiles de ces barques sont l’éblouissement de la lumière de ce tableau, leur mouvement lent et doux sépare visuellement l’eau et le ciel et les réunit par l’éclat de leur blancheur, voguer sur l’eau unit ciel et eau, au début du XXe siècle Monet embarquera sa peinture  pour une étonnante expérience flottante, mais déjà le thème est là :l’eau et les rêves.

La lumière est ici éblouissement, le soleil devient extase, mais à la manière d’une enfance retrouvée, c’est un bonheur sans ombre, un absolu de la lumière. A droite du tableau une maison rouge qu’on peut imaginer comme un de ces lieux de bord de Seine où on allait boire et manger, canoter et danser la nuit tombée.

Les impressionnistes ont chéri ces endroits de plaisir, Renoir les a peint, ils étaient sans doute plus innocents que ces lieux de Paris montrés par Lautrec. Une autre maison prise aussi dans cette lumière qui fait éclater les rouges éloigne l’espace ; un peu de vert jeté très vite sur les bords de ce fleuve miroitant. Et le ciel exquis qui s’achève en rose dans le lointain où on distingue que des traînées de rose et de jaune de Naples.

L’autre moitié de ce mariage lumineux, l’eau, est un double des choses, un miroir déformant, musique des choses solides inversées dans le liquide.

Matière, forme

Monet donne au coup de pinceau toute sa force d’évocation, et l’affirme ici comme la matière même de la peinture, cette toile fut certainement peinte très rapidement. La facture en est très libre et les touches larges traduisent la dissolution des formes dans l’eau. Le peintre voulait que la lumière vue entre en lui comme l’air dans les poumons et fasse que l’œil et le corps en soient tout à fait pénétrés et que la station devant le motif, comme disait Cézanne, donne à la peinture cette qualité d’union momentanée qu’elle ne pourrait avoir sans cela. Son style magnifique est ici déjà réalisé ; et sa qualité : chaleur puissance mesurée et fluidité trouve dans cette scène un sujet parfaitement adapté, c’est aussi une des raisons de la réussite étonnante de ce tableau. la couleur est posée presque naturellement, elle file comme de l’eau, la maîtrise est totale.

Extrait de l’analyse plastique réalisée pour le CD-Rom Secrets d’Orsay

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