A l’époque de la guerre de Crimée, en 1854, Sir Henry Bessemer vient proposer à Napoléon III un système tout nouveau de projectiles à palettes. On lui objecte qu’il faut un canon spécial pour l’utiliser. Bessemer se met à l’œuvre et cherche à améliorer la fonte en lui insufflant un courant d’air.
Son exposé à la British Association, au sujet d’un procédé facile pour transformer la fonte en acier, reçoit un accueil si enthousiaste que le Times en reproduit le texte dès le 14 août 1856.
On sait produire 900 tonnes de fonte par jour, mais pas encore l’affiner en grandes quantités pour obtenir de l’acier. Or, le progrès, et surtout la vitesse des chemins de fer, passe par l’acier. Aussitôt, Bessemer se lance dans la production en grand dans dix usines. Mais les fontes anglaises qu’il utilise sont phosphoreuses et c’est l’échec. Les essais qu’il avait réussis avaient été réalisés avec des fontes non phosphoreuses.
En France, le procédé Bessemer est directement applicable dans les forges du Centre dont le minerai de fer non phosphoreux vient d’Algérie et d’Espagne. La Lorraine, avec ses fontes phosphoreuses, devra attendre le procédé Thomas pour produire de l’acier de qualité à des prix corrects.
Le Comité des Forges
« L’acier est tantôt roi, tantôt mendiant » (Carnegie)
A cette époque, l’acier français est plutôt mendiant, il a des complexes ; il est plus cher, il craint la libre concurrence ; l’importation des minerais et du coke crée un état de crise. L’adversité encourage la solidarité : les maîtres des forges se réunissent le 15 février 1864, sous la bannière d’Eugène Schneider, pour former le Comité des forges.
Organiser, régulariser, exporter : les ambitions sont grandes, mais aucun accord concret n’interviendra, ni sur la réglementation de la production, ni sur les conditions de vente, ni sur la création d’un comptoir d’exportation. Aussi, l’omnipotence du comité des forges est-elle un peu surfaite.
Comment valoriser les ferrailles ? Le Four Martin
Il est urgent de trouver une solution pour réduire nos importations de minerais de fer : le procédé Bessemer est inapplicable à la plupart de nos gisements français, trop pauvres ou trop phosphoreux mais les rebuts de ferrailles commencent à être importants, pourquoi ne pas les utiliser ?
Cette idée court déjà depuis Réaumur ; les frères Siemens ont même déposé des brevets en 1856 et 1863 mais ils n’arrivent pas à trouver un revêtement de four capable de résister à la haute température entretenue par la réaction.
Emile et Pierre Martin trouvent la solution : ils revêtent, de briques siliceuses, parois et sole du four. Ce four à réverbère est immédiatement adopté par les aciéries de la Loire et gagne très vite toutes les régions de forges. Il faudra attendre 1878 et la nouvelle technique de Sidney Thomas et Gilchrist pour pouvoir utiliser la minette pauvre de Lorraine. Le centre de gravité de la sidérurgie française s’en trouvera déplacé.
1864-1878 : les importations annuelles de minerai de fer passent de 150 000 à 610 000 tonnes
Licence Siemens : l’affinage direct
de la fonte supprime le terrible travail manuel et se révèle très économe en combustible
8 avril 1864 : premier essai du four
28 juillet 1865 : brevet des frères Martin (à l’usine de Sireuil en Charente, mise en pratique du « four à réverbère »)
1878 : procédé Thomas, élimine le phosphore de l’acier
L’acier Thomas, un procédé anglais qui fait la fortune de la Lorraine et des Wendel
Le clerc de notaire anglais, nommé Sidney Thomas, qui suit des cours du soir à Londres, va b
ouleverser la métallurgie française. Il prend conscience que le procédé Bessemer ne permet pas de traiter les fontes phosphoreuses et fait part de son idée à son cousin chimiste, du nom de Gilchrist.
Deux ans de recherche et d’essais en laboratoire conduisent à un brevet pris en novembre 1877. L’accueil ironique de l’Iron and Steel Company, à qui les deux cousins présentent leur découverte, ne les décourage pas malgré les sourires.
Un essai concluant en avril 1879 fait vite monter les enchères : le Belge M. Taskin achète la licence pour 1 250 francs ; le lendemain de cet achat, Schneider paie le droit pour les usines de sa région : 25 000 francs. Ce dernier construit un convertisseur Thomas au Creusot dès la fin de l’année, puis s’associe avec les Wendel pour racheter le droit d’exploitation au Belge : 800 000 francs. Les Français paient cher le brevet de l’acier Thomas, mais le procédé lance la métallurgie lorraine et fait la fortune de la région d’Hayange et des Wendel pour 800 000 francs.
Le fer : « Le Père des Arts et l’Auteur de l’Abondance »
La sidérurgie consacre l’apothéose de la trilogie vapeur, charbon et fer, incarnant, avec les chemins de fer, la révolution industrielle. Elle défend encore aujourd’hui son empire quasi féodal face aux nouveaux matériaux plastiques, grâce à ses aciers spéciaux, chromés et inoxydables, apparus dès 1880 et possédant de grandes qualités spécifiques. Les étapes de cette révolution dans le domaine des matériaux conditionne un grand nombre de techniques et de savoir-faire et transforme le paysage industriel.
Dès 1784, on produit le fer en grande quantité par la technique du puddlage qui consiste à brasser à la main, à l’aide de longs crochets, une masse aveuglante de métal pâteux pour en éliminer le carbone et les impuretés. Le puddleur est certes le mieux payé des employés de la sidérurgie, mais il travaille douze heures par jour et meurt jeune. Peu d’ouvriers atteignent cinquante ans.
En 1856, le convertisseur Bessemer permet le passage direct de la fonte à l’acier, mais il ne s’applique ni aux ferrailles, ni aux minerais pauvres.
En 1864, on produit en France 1 213 000 tonnes de fonte, 792 000 tonnes de fer et 41 000 tonnes d’acier. Peu à peu, les petites forges disparaissent au profit de grands établissements métallurgiques qui installent des hauts fourneaux et des fours à puddler. Le four Martin augmente le rendement et la qualité de l’acier et permet de récupérer les ferrailles.
En 1878, le procédé Gilchrist et Thomas permet de déphosphorer les fontes produites à partir de minerais pauvres comme la « minette » de Lorraine.
L’architecture de fer et la construction ou la transformation de 17 000 kilomètres de voies ferrées prévues par le plan Freycinet en 1879 consomment du profilé de fer à profusion.
Jusqu’au milieu du XIXe siècle, l’acier est considéré comme un métal de luxe, sa fabrication est difficile et onéreuse; il ne sert guère qu’à usiner armes, couteaux, scies et outils tranchants divers. Mais le fer a ses limites et la demande industrielle entraîne de plus en plus la sidérurgie vers la voie de l’acier.
En 1880, apparaissent les premiers aciers spéciaux, chromés et inoxydables.