Des blessures jamais pansées
J’ai connu tant de personnes, françaises et algériennes qui ont vécu cette histoire d’amour ratée et tragique, qui en ont souffert, qui en ont été les protagonistes, les acteurs, les victimes, qui ne s’en sont pas remises que je ne me hasarderai pas à faire une analyse du gâchis. Jamais je n’ai ressenti autant de passion dans les témoignages que j’ai entendus.
Les blessures n’ont jamais été pansées, ni d’un côté, ni de l’autre.
Ce n’est pas un hasard si les bons films et les bons livres sont rares sur cette tragique histoire d’amour, ce n’est pas un hasard si dans les hôpitaux français, ce sont avec les Algériens que les relations sont les plus dures : des relations d’amants blessés au plus profond d’eux-même.
Ces trois départements français que la France n’a jamais traité comme des départements!
Ces départements français, ont un point commun avec la Nouvelle Calédonie, ils ont été peuplés de Français « transportés » comme on disait au lieu de dire déportés, en 1848 et en 1870 parce qu’ils défendaient la république contre le despotisme
En vendant ma collection de revues anciennes, j’ai gardé celles qui concernaient l’Algérie, en particulier celles de 1930 et j’ai décidé de faire juste une « revue de presse », sans commentaire…à mourir de rire ou à pleurer.
Sommes-nous aujourd’hui aussi aveugles sur les problèmes actuels? Sommes-nous obligés de croire ce dont on nous abreuve? Je vous laisse découvrir toute la perversité de ces articles qui analysent les faits et les décisions prises à la lumière de l’idéologie. Aujourd’hui, la réciproque est tout aussi vraie.
Comment voyait-on les relations franco-algériennes en 1930, cent ans après la « conquête« ?
Le Monde Illustré 1929:
L’Algérie, magnifique incunable, qui apparaît aujourd’hui comme le prolongement de la France de l’autre côté de la Méditerranée, a conservé, au coeur de ses provinces, des coutumes qui ajoutent à ses beautés naturelles un attrait fait de curiosité et de mystère….
Ne semble-t-il pas à tous ceux qui vivent dans ce paradis d’outre-mer qu’ils ont toujours connu la France? Des colonies, notre pays en a-t-il? Colonie, mot rude du vieux droit romain, peut-on l’appliquer à l’action bienfaisante et civilisatrice de notre pays? Les Romains eurent des esclaves et des colons, la France elle, eut d’autres Frances par-delà les mers…Les Français ne sont pas des colonisateurs!
Les affinités électives sont irrésistibles, il y a entre les peuples comme entre les individus ces attirances secrètes, dont ils ne se doutent point et qui se font jour, lorsque la tourmente passée, les armes laissent la place à l’économique, les corps aux coeurs, la pensée à l’action….
Lorsque Hussein, en 1830 remis la la Kasbah, la ville est les forts aux Français qui venaient de débarquer, ne songeant qu’à pouvoir se retirer en gardant sa fortune personnelle et sa famille, les Français garantirent aux habitants « l’exercice de la religion musulmane, le respect de leur liberté, de leurs propriétés, de leur commerce, de leur industrie…et de leurs femmes (sic!). »
…Lors de la première guerre mondiale, on sait de quelle façon magnifique 400 000 musulmans d’Algérie et du Maroc ont offert leur sang pour la défense de la puissance française….Quelle preuve plus péremptoire que, pour les Arabes et les Musulmans du Maghreb, la France est devenue la mère patrie.
…C’est grâce à la saine compréhension de la mentalité musulmane et à l’esprit d’adaptation des grands chefs militaires (qui furent aussi administrateurs et psychologues) que le mot de conquête a pu disparaître du vocabulaire algérien. S’il y a eu conquête, il s’agit bien et dans toute la force du terme, de celle des coeurs. La pénétration réciproque des deux âmes, l’évolution lente mais certaine de la population indigène, dont l’élite occupe déjà une place importante dans tous les domaines de l’activité, ont permis de sceller un résultat définitif: il n ‘y a plus, désormais, ni métropole, ni colonie algérienne, mais une France dont l’empire nord-africain fait partie intégrante. Seule l’autonomie financière de l’Algérie la différencie de l’ensemble des départements français.
Un clin d’oeil publicitaire
Voici la publicité parue dans je journal l’Illustration de 1930 qui commémore « le centenaire de l’Algérie », comme si l’Algérie n’avait que 100 ans en 1930!
« Blanchi sur le pré », à mourir de rire.
Sans commentaire
L’Algérie politique et administrative en 1929
(Le Monde Illustré – voir aussi l’Algérie en 1929)
Placée sous la tutelle directe du ministre de l’Intérieur, l’Algérie est administrée par un gouverneur général nommé par décret. Tous les services civils sont placés sous sa direction, à l’exception des services civils non musulmans de la justice, de l’instruction publique, de la trésorerie et de douanes qui demeurent sous l’autorité des ministères compétents.
Créées par le décrit du 23 août 1896, les Délégations financières constituent une assemblée unique divisée en trois sections: la Délégation des colons, la Délégation des non colons, et la Délégation des indigènes musulmans divisée elle-même en deux sections, la délégation arabe et la délégation kabyle….
—L’organisation communale est sensiblement différente de l’organisation métropolitaine. Les communes sont de deux catégories:
– les communes de plein exercice, soumises à la loi française de 1884
– le communes mixtes, dont l’administration est confiée à un fonctionnaire administrateur, assisté d’une commission municipale composée de représentant élus, citoyens français, et de représentants désignés par les indigènes..
Les territoires sud ont leur personnalité civile et leur budget autonome. Ils sont placés sous l’autorité directe du Gouverneur général qui les administre avec le concours d’officiers des affaires indigènes, mis à sa disposition par le ministre de la Guerre.
Les indigènes musulmans, non naturalisés, ne jouissent pas de la plénitude des droits politiques (alors pas la peine de clamer la compréhension et la parfaite osmose!); ils ne peuvent faire partie des assemblées législatives, ni participer à l’élection des sénateurs et députés. Au contraire (quel contraire?), l’élément indigène a des représentants spéciaux dans toutes les assemblées de la colonie et siègent avec les même droits que les membres français; désignés par un collège électoral restreint, ils participent, depuis 1919, à l’élection des maires et des adjoints.
…Depuis 1928, la loi conférant aux administrateurs la répression par voie disciplinaire des infractions spéciales à l’indigénat n’a pas été renouvelée: de ce fait, les indigènes sont soumis au droit commun et cette mesure produit le meilleur effet sur les populations musulmanes.
L’enseignement primaire est obligatoire et les jeunes musulmans qui ont acquis les connaissances suffisantes peuvent se présenter au certificat d’études primaires et entrer à la medersa ou dans les lycées et facultés.
…La plus parfaite intimité ne cesse de régner entre les indigènes et cette admirable phalange de colons que les difficultés de toutes sortes n’ont jamais rebutés…la plaine de la Mitidja en témoigne. 3 millions d’hectares ensemencés en céréales, 12 millions d’hectolitres de vin, 10 millions d’oliviers, exportation d’agrumes 30 millions (on ne sait pas de quoi!).
L’illustration 1930 N° spécial du centenaire 1830-1930
Le premier service que l’Algérie ait rendu à la France, ça a été d’entretenir dans son armée l’esprit militaire à une des époques les plus bourgeoises et les plus pacifiques de son histoire (!!!) Dès le lendemain de la prise d’Alger, l’Algérie a été le refuge ou le déversoir (jolie expression pour désigner tous ceux qui ont été transportés, voir plus bas!) des éléments belliqueux et même dangereux de la population française, de toutes les têtes chaudes, de tous les cerveaux brûlés qui trouvaient, en ce pays à demi barbare (on oublie le rôle du monde musulman au moyen-âge lorsque la France était en plein obscurantisme religieux), un emploi presque bienfaisant de leurs talents, d’aptitudes et d’instincts qui eussent été sans doute moins inoffensifs dans la métropole. L’Algérie a su merveilleusement absorber ces facteurs de troubles (1830, 1848, 1871) , de violence et d’anarchie, et, en moins d’une génération, elle a fait de ces Français suspects ou de caractère inquiétant, des colons pourvus, en général, des qualités qui font les bons soldats et les bons citoyens.
…. Pendant des siècles, on peut dire que le fanatisme musulman a élevé une barrière infranchissable entre l’Islam et la chrétienté, entre l’Afrique du Nord et l’Europe occidentale. un des principaux effets de la conquête française, ça a été de renverser cette barrière et d’affaiblir le fanatisme musulman.
J’arrête là…Il ne faut pas oublier que l’Illustration a été quelques années plus tard le journal de la Collaboration! Les descriptions de la Kasbah ont un parfum de soufre, comme si l’auteur s’émoustillait de pénétrer dans une contrée interdite dont il n’a pas compris les règles du jeu.
La répression organise la transportation
(extrait du CD-Rom 1848-1914- Toute une histoire réalisé pour le Musée d’Orsay)
La grande différence entre l’Algérie et les autres colonies françaises du XIXe siècle c’est que cette terre a accueilli ceux que la France avait bannis, ceux qui avaient renversé la royauté. Se sont retrouvés sur le sol algérien, les soldats et les révolutionnaires français.
Le 26 juin 1848, 11 heures, tout est fini : 15 000 hommes sont entassés dans des prisons improvisées, attendant la « transportation en Algérie » ; ce sont les insurgés, victimes de la répression des journées de juin.
Cette Algérie, conquise sous le régime précédent, va devenir un camp d’entraînement pour les militaires (école de rudesse et de discipline) et un lieu d’éloignement pour les rebelles.
L’examen de la situation est confiée à une commission d’enquête ; le tiers des personnes arrêtées est relâché et un décret du 27 juin fixe la répartition entre « chefs et meneurs, déférés au conseil de guerre » et les « combattants, transportés aux colonies ».
Sur rapport de la commission d’enquête, l’Assemblée autorise les poursuites par 504 suffrages contre 252. Quelques jours après Victor Hugo demande la préparation d’une réunion « qui se préoccuperait de tout ce qui peut, sans désarmer, bien entendu, ni énerver l’action de la loi, adoucir la situation des prisonniers et le sort de leurs familles » et » qui rechercherait les moyens d’assurer l’exécution du décret qui leur réserve le droit de suivre les transportés. »
« La fraternité est le premier mot de l’Évangile et le dernier mot de la démocratie », a-t-il conclu. »