Marshall McLuhan, le surréaliste des mass media

dessin de Jean Schouman

dessin de Jean Schouman

Pensez-vous comme McLuhan que le message, c’est le medium? D’après la synthèse qui suit, quelle analyse feriez-vous d’Internet selon MacLuhan?

McLuhan se présente comme le prophète du déclin de l’épistémologie des relations causales.

L’ambigüité de la notion de mass media

Au lieu de penser spectacle à l’usage des masses (implicitement : la valeur d’une oeuvre diminue quand de nombreux esprits sont en mesure de l’apprécier…) il pense au fait que le mass media ne se réfère pas à l’importance du public mais au fait que tous les individus qui forment ce public s’y trouvent impliqués en même temps. Le livre n’est donc pas un mass media, la télévision oui.

Il ne faut pas oublier que le mass américain correspond plutôt à société et que media correspond plutôt à moyen.

MacLuhan, lui, franchit le pas entre medium-moyen et medium-milieu.

Il y a plus de cent ans naissait McLuhan. Il y a plus de 50 ans, ses écrits sur la communication sont une des premières réflexions sur la fin de la Galaxie Gutemberg…et les premiers écrits théoriques sur les moyens de communication de masse en évoquant trois âges de l’humanité : aire tribale, galaxie Gutemberg, constellation Marconi. Alors que  la sociologie américaine des mass média ne s’occupait que de quantification, McLuhan se pose en philosophe de l’histoire voire moraliste.

Pourquoi la pensée de McLuhan a-t-elle fait scandale et a été dénigrée en France?

La France a considéré l’oeuvre de MacLuhan comme un ressassage brouillon de généralités.

Il critique la logique alphabétique. Pourtant, il semble que sa pensée se retrouve aujourd’hui dans les méthodes d’apprentissage de la lecture par l’usage d’une boîte à outil de sons pour la construction des mots.

– Sa pensée s’oppose au moralisme au nom de la conscience: Il ne s’agit pas de déterminer ce qu’il y a de bon ou de mauvais dans l’imprimé, mais à montrer que l’inconscience de l’effet d’une force, quelle qu’elle soit, est une catastrophe, spécialement lorsque c’est une force que nous avons nous-même créée.

– elle s’oppose à la myopie scientifique au nom de l’histoire : Comme cet auteur n’avait pas étudié la nature particulière de l’image de télévision, ses recherches portaient sur des préférences de contenu, sur le vocabulaire utilisé et sur le temps passé devant l’appareil…Eut-on employé sa méthode autour de l’an 1500 pour déterminer les effets du livre imprimé dans la vie des enfants ou des adultes, on n’aurait rien perçu des changements provoqués par la typographie dans la psychologie des individus et des sociétés.

De plus dans La Galaxie Gutemberg, premier ouvrage de McLuhan de mass-médiologue,semblait un ensemble désordonné de citation hétéroclites entre lesquelles l’auteur tissait un réseau extrêmement complexe d’hypothèses oiseuses et invérifiables. C’était oublier ses relations avec le surréalisme…McLuhan essaie de nous faire trouver quelque point zéro de l’esprit comme le définissait André Breton:

Tout porte à croire qu’il existe un certain point de l’esprit d’où la vie et la mort, le passé et le futur, le communicable et l’incommunicable, le haut et le bas cessent d’être perçus contradictoirement. Or c’est en vain qu’on chercherait à l’activité surréaliste un autre mobile que l’espoir de détermination de ce point.

Média et société

Pour MacLuhan, les média c’est l’ensemble des prolongements techniques de l’homme. Aujourd’hui, il ajouterait Internet. Donc toute la vie sociale passe par les média et non la vie de quelques groupes sociaux privilégiés. Ce sont les média qui déterminent l’évolution de la société. Ils sont la cause fondamentale de tout changement social car ils sont les lieux-même de tout échange social. L’infrastructure médiatique constitue l’infrastructure sociale par excellence.

Prenons l’exemple de l’imprimerie: L’invention de l’imprimerie est à l’origine de l’apparition des langues nationales, des nationalismes, des armées de citoyens, du travail à la chaîne, de l’économie de marché, de l’individualisme bourgeois et du positivisme. L’ère du livre est l’époque du rationalisme alphabétique, linéaire et séquentiel

Le message c’est le médium – média chauds et média froids

Les média chauds découragent la participation ou l’achèvement alors que les media froids les favorisent: ces termes sont empruntés du langage musical nord-américain. MacLuhan applique cette classification au média et aux sociétés: La télévision est plus froide que la radio, une société alphabétisée est plus chaude qu’une société tribale, l’économie de marché est chaude par rapport à l’économie du troc, la ville est chaude et la campagne froide…

Les écrits de MacLuhan achevaient de dérouter lorsqu’il rajoutait: Qu’un film, médium chaud, porteur d’un contenu chaud, puisse rafraîchir des automobilistes qui ont le feu au derrière, cela est une idée discutable.

Les lecteurs, surpris par l’écriture en mosaïque des écrits de MacLuhan n’ont pas pris la peine d’approfondir ses notions de chaud et de froid.

Un medium est chaud lorsqu’il prolonge un seul sens et froid lorsqu’il prolonge plusieurs sens à la fois. Les formes chaudes excluent, les formes froides englobent. Ce n’est pas l’importance des risques de distorsion ou d’incompréhension qui différencie le chaud du froid mais l’étendue du champ qu’ils laissent à l’interprétation et à l’accomplissement imaginaire.

Internet n’existait pas à l’époque et pour MacLuhan la possibilité de répondre aux messages diffusés par un médium était moins importante que le fait de laisser au public une activité de participation créative impliquant chaque individu. Confondre le froid avec la possibilité de rétroaction est donc une erreur.

La vitesse de transmission

L’effet de tout médium étant d’accélérer la circulation de l’information, l’important est d’évaluer pour chaque médium ce degré d’accélération. Plus faible est l’accélération, plus froid est le médium.

Ces notions sont très déroutantes : Les media lourds et rigides comme la pierre retiennent le temps. Utilisés comme support d’écriture, ils sont extrêmement froids et servent à unir les époques. Le papier, par contre, est un médium chaud qui retient et unifie l’espace horizontalement au profit d’empires politiques ou de divertissements.

MacLuhan évoque aussi l’homogénéité du flux d’information: Dès qu’un nouveau moyen de transport de l’information est partout disponible en même temps, il reste possible que la structure soit transformée sans être désintégrée. Là où existent de grands écarts dans la vitesse du mouvement, comme dans le transport aérien et le transport routier, ou entre le téléphone et la machine à écrire, il se produit de graves conflits à l’intérieur des organisations.

Il faut donc rapprocher le froid de la notion de flux stable et homogène et les chaud de celles d’accélérations brutales et partielles du flux de l’information.

Les sociétés industrielles se refroidissent alors qu’elles se caractérisent par la diffusion instantanée d’une quantité d’information quasi sans limites. Passé un seuil de rupture, les phénomènes s’inversent. MacLuhan parle de la loi de réversibilité des média surchauffés. L’accélération de la circulation de l’information remet en place une participation intense de modèle tribal. Le cas des réseaux sociaux sur Internet en est un exemple.

La structure sociale de la réception joue un grand rôle: une forme d’écoute collective tend vers le froid (exemple de la lecture à haute voix ou du suivi d’un match de foot au café), individuelle, elle tend vers le chaud. La structure sociale tout court aussi : Il y a toute la différence du monde dans les effets d’un médium chaud, selon qu’on l’utilise dans une culture chaude ou dans une culture froide.

La critique de la rationalité

Alors qu’on s’était toujours posé sans succès la question de l’oeuf et de la poule, il apparut soudain qu’une poule était une invention d’oeufs désireux d’avoir d’autres oeufs.

Les média, modes de diffusion de l’information ne sont pas des moyens neutres. Ils induisent, sans que nous en soyons conscients, des méthodes de pensée que nous tenons pour objectives tant que nous n’en décelons pas l’origine. Aucune société n’a jamais compris suffisamment ses actions pour s’immuniser contre ses nouveaux prolongements ou ses nouvelles technologies… Un homme qui ne sait pas où il va n’est pas un homme libre, même s’il est armé d’un fusil pour s’y rendre.

Pour penser et comprendre les média, il faut remettre en cause la rationalité alphabétique et la causalité.

Dans la société occidentale alphabétique, nous trouvons normal et correct de dire, après avoir affirmé quelque chose, qu’il « s’ensuit… » comme s’il se trouvait quelque causalité dans cette succession. David Hume a montré au XVIIIe que les successions naturelles ou logiques n’indiquent aucune relation de causalité. La succession n’est au cumulative, pas causative. L’omniprésente technologie alphabétique est la cause cachée de ces confusions… Aujourd’hui nous nous sentons aussi libres d’inventer des logiques non linéaires que des géométries non-euclidiennes.

La méthode mosaïque

La pensée alphabétique se base sur une succession monolinéaire, procède de la cause vers l’effet et se fonde sur un détachement « objectif » à partir d’un point de vue. Pour sortir de ce schéma, il faudrait introduire une conception plurilinéaire, une structure temporelle contrapuntique.

Par ailleurs, la science et la méthode doivent s’efforcer de découvrir comment ne pas avoir de point de vue: ce n’est pas une méthode de bornage et de perspective, mais plutôt de champ ouvert et de jugement en suspens. Cette méthode est la seule valide dans les conditions de mouvement simultané de l’information et d’interdépendance humaine totale…

Pour combattre l’effet narcotique des media (qu’il ne faut plus considérer comme extérieurs à nous-même), il faut moins se préoccuper de la cause que de l’effet car l’effet touche la totalité d’une situation et non plus un seul plan du flux de l’information.

La méthode des mosaïques : On peut distinguer deux façons d’aborder un problème. La première que l’on peut appeler théorique consiste à formuler le problèmes en termes de ce qu’on connaît déjà, à y ajouter ou à le prolonger en fonction de principes déjà admis, et ensuite de vérifier expérimentalement ces hypothèses. L’autre démarche, la méthode des mosaïques, étudie chaque question en elle-même, sans référence au domaine dont elle fait partie, et cherche à découvrir les relations et les principes valables à l’intérieur du domaine choisi…Dans le domaine scientifique, on peut résoudre facilement un problème nouveau en tentant de l’encadrer dans un ensemble de données connues, à condition d’avoir déjà beaucoup progressé et découvert la plupart des variables qui s’y rapportent. Par contre, quand le nombre de variables est trop grand et que le cadre de référence est mal défini, la méthode des mosaïques est de beaucoup la plus facile.

La méthode des mosaïques est particulièrement opérante dans le domaine des sciences humaines. Dans le domaine artistique : Depuis Cézanne, cette démarche consiste à peindre les objets comme si on les tenait plutôt que comme si on les voyait.

La méthode des mosaïques de MacLuhan doit être confrontée au structuralisme, même si ses idées sur la question ne dépassent guère le  niveau des idées reçues.

Pour comprendre la portée de l’oeuvre de MacLuhan, il ne faut jamais perdre de vue que c’est une problématique artistique qui l’anime.

Avec humour MacLuhan écrit : au lieu de traduire la nature en art, le primitif analphabète tente de l’investir d’énergie spirituelle…Nous pourrions retrouver l’état de l’homme tribal pour qui les rites magiques sont des instruments de connaissance appliquée.

Oeuvres de MacLuhan:

La galaxie Gutemberg (1967)

Pour comprendre les media (1968)

Medium et massage (1968)

Mutations1990 (1969)

(synthèse d’une étude de Pierre Nicolas sur MacLuhan)

 

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