Le Talisman, de Paul Sérusier

Le Talisman

Le Talisman, Paul Sérusier – Musée d’Orsay

Abandon d’une conception mimétique

Le Talisman de Paul Sérusier, ce tableau peint d’après une leçon de peinture, donnée à distance (aujourd’hui Sérusier l’aurait peint en chattant avec Gauguin), est la plus belle histoire de mémoire émotionnelle dans l’art plastique: l’émotion naît de l’imagination et de la transposition.

« Comment voyez-vous cet arbre ? Il est vert. Mettez du vert, le plus beau vert de votre palette ; et cette ombre, plutôt bleue ? Ne craignez pas de la peindre aussi bleue que possible », c’est ce que  Paul Gauguin proposa à Paul Sérusier. Quelle en est la conséquence directe ?

S’agit-il d’un lieu réel ? Rouge vermillon, bleu ciel, ocre jaune s’intensifient. La rive, les troncs d’arbres et le feuillage se dissipent. C’est une palette pure qui se délivre du motif et célèbre encore des reflets. Ceux de la rivière de Pont-Aven. En explorant cette nouvelle approche de la couleur, c’est la toile fétiche des nabis que vous allez vénérer.

Le Talisman : 1888 – 27 cm x 21,5 cm

Sujet

Il s’agit d’un lieu réel, Le Bois d’Amour, le long de la rivière l’Aven à Pont-Aven en Bretagne où se trouvaient Sérusier et Gauguin durant l’été 1888.

Paul Sérusier avait 24 ans à l’époque du talisman, cette œuvre originellement simple petit paysage est le fruit d’une leçon de peinture que le jeune homme avait demandé à Gauguin par l’intermédiaire d’Emile Bernard. Le leçon fut sans doute bouleversante pour le jeune peintre de l’académie Julian car il revint de son équipée Bretonne avec ce petit tableau peint sur bois, et le montra comme un « talisman » à ses camarades de l’école qui devaient devenir les Nabis.

Gauguin l’avait en fait poussé à insister sur le travail de couleur, jusqu’à rejoindre la couleur pure à partir des indications de lumière. Sérusier avait été formé à l’académie Julian donc au métier traditionnel de la peinture, cette œuvre est d’ailleurs faite sur bois donc de la manière la plus classique qui soit. Mais l’intervention très désirée de Gauguin fait évoluer Sérusier en une seule séance de travail.

Il s’agit donc d’un banal bord de rivière, avec quelques arbres, des peupliers d’Italie ou des trembles, une petite ferme semble-t-il car le travail de peinture tend là a dissimuler les formes au profit des taches de couleurs pures.

 

Composition

Ce tableau est intéressant par rapport aux compositions impressionnistes dont il garde le goût des reflets dans l’eau, thème qui fera pratiquement toute la dernière partie de l’œuvre de Claude Monet. Une grande diagonale coupe le tableau en deux parties donnant la part du lion au reflet du paysage dans l’eau étale et semble-t-il très calme de cette rivière Bretonne. Les formes perdent de leur lisibilité car il n’y a pas de valeurs affirmée, tout le travail est un travail de disposition dans la composition des taches de couleurs. Pourtant les lignes de force apparaissent néanmoins ; la ligne du bord de l’eau se distingue ainsi que la ligne courbe de la rive opposée, dans l’ombre celle-la. Les deux grandes masses verticales des arbres qui traversent le tableau produisent un sentiment de glissement qui indique au regard la présence de la rivière ; celle-ci occupant une surface très importante pouvait en effet annuler ce qu’elle reflétait.

 

Couleur, lumière

La couleur était le but de cette expérience de peinture, elle apparaît dès le premier regard comme essentielle dans ce petit tableau, il faut d’ailleurs quelques seconde pour lire le sujet du tableau tellement la couleur occupe les formes et les éloigne de la lisibilité. Sérusier ne cherche plus ici l’exactitude de la couleur locale mais une sorte de mécanique visuelle, il veut atteindre « l’ossature » de la perception visuelle pour renouveler sa peinture en déplaçant les éléments composant une lumière, dans des zones de couleurs pures. Ainsi la lumière qui inonde la rive opposée est traitée en rouge vermillon, les troncs des arbres sont bleus ciel, les feuillages, tout au moins la partie centrale, ocre jaune. De même pour la zone d’ombre

De l’autre rive, à droite du tableau, le feuillage est travaillé en grande partie à la terre d’ombre brûlée.

Au centre une tache blanche qui se reflète dans la rivière et qui est la mesure originelle de la lumière, il s’agit sans doute de la façade d’une ferme qui se continue par une grange en pierre grise comme on en voit beaucoup en Bretagne, on retrouve son gris bleu dans le reflet aussi, mais atténué

Et rejoignant un peu la part de ciel reflété qu’on voit en bas à droite du tableau. Les deux grandes masses des feuillages, jaune et vert clair et ces deux zones de couleurs verte et gris bleue entre elles se reflètent dans cette eau d’un calme qu’on ne voit qu’à la tombée du jour . Elles sont reflétées d’une manière inégale la part centrale est mélangée avec le feuillage vert clair, ce détail donne le sentiment d’un déplacement des formes que renforce la fixité des petites « îles » de terre et les deux cailloux au milieu de l’eau.

« Comment voyez-vous cet arbre avait dit Gauguin devant un coin du Bois d’Amour ; il est vert. Mettez du vert, le plus beau vert de votre palette ; et cette ombre, plutôt bleue ? Ne craignez pas de la peindre aussi bleue que possible » rapportera plus tard Maurice Denis.

Matière, forme

Mais ce qui a surtout intéressé Sérusier dans cette vue c’est bien sur le reflet dans l’eau où tout s’organise en masses de couleurs presque informelles qui confondent les formes en une vibration de pure transparence et reflet.

Les formes de ce tableau sont fort bien agencées car elle permettent une lecture du tableau même si quelques détails prêtent à confusion.

Ce petit tableau peint sur bois est presque abstrait par son synthétisme. Les formes sont très distanciées par rapport à La réalité observée. Le message de Gauguin est celui d’une libération de l’artiste par rapport au motif. Ce petit panneau qui devait devenir le tableau fétiche des Nabis préfigure bien des audaces ultérieures comme le fauvisme et l’abstraction mais il devait rester confidentiel jusqu’à son acquisition par le musée d’Orsay en 1985.

Mais Sérusier n’est pas allé au bout de l’expérience, ce seront par la suite les fauves et certains expressionnistes, particulièrement Rotluf et Kandinski qui reprendront cette leçon de Gauguin car Sérusier ira un tout autre chemin avec les Nabis, celui d’une peinture ésotérique peut être trop profondément marquée de l’empreinte de Gauguin.

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