Petit retour sur les rituels.
Un rituel, ça s’apprend, ça se respecte, ça se transgresse, ça se répète, ça se pratique ensemble, ça se refuse.
Le rituel nous donne l’aptitude à nous déplacer sur l’échiquier de la vie sociale, il marque notre appartenance à un groupe, il remplace la peur en faisant naître l’émotion, il nous donne une réponse obsessionnelle à la peur du vide, à la peur du sexe, il donne un sens à ce qui n’en n’a pas, il nous permet de ne pas être seul avec notre angoisse dans les étapes clefs de la vie.
Le corps est le support et l’acteur principal des rituels.
Les rituels du corps
Le corps signé, marqué, mutilé, le corps souffrant, éclatant, séduisant, le corps gesticulant, officiant, communiquant.
Dans toutes les sociétés, toutes les cultures, les corps relève de soucis et de modèles sociaux, religieux, moraux, hygiéniques et esthétiques. Les usages du corps, sa tenue, sa représentation et sa figuration sont liés à son statut et à un système de valeurs et de conduites, donc aux rituels.
Le corps est impliqué dans tous les rituels connus avec différents degrés d’extension et d’intensité:
– soit comme lieu disponible pour y tracer des marques et des signes (tatouage définitif ou peintures passagères, scarifications), ou y pratiquer des interventions (circoncision, excision, blessures rituelles);
– soit comme sujet de la souffrance, de la santé, de la beauté (rites liés à la maladie, l’hygiène, la guérison, l’esthétique;
– soit comme source d’énergie pour effectuer tel geste, tel signe, tel cérémonial.
Le corps est présent dans tous les systèmes religieux, même les plus spiritualistes. Dans le christianisme, il est présent non seulement de façon négative, par l’ascèse, mais aussi de façon positive pour le salut de l’homme: incarnation de Jésus, communion réelle et symbolique à travers le corps et le sang du Christ, dogme de la résurrection qui garantit le triomphe sur la mort, venant réparer toutes les souffrances physiques, maux et sacrifices.
L’attitude envers le corps a changé. Alors qu’il était l’objet d’une mise à distance et d’un souci de maîtrise, il devient une valeur comme moyen d’expression, de communication et de jubilation. Ce corporéisme émerge partout mais le rite n’a pas disparu dans cette inflation du corps.
Les inscriptions corporelles: le tatouage
« un vrai dur, un tatoué », « l’amour, pas la guerre »…
Tatouage vient de « tatau », terme polynésien importé par les officiers de marine au XVIIIe siècle; il désigne le marquage (dessins figuratifs ou non, écrits) gravés volontairement sous la peau. Il se distingue des marques involontaires (brûlures, blessures) et, par son caractère durable, des modifications de surface comme la peinture du corps, le maquillage et le grimage.
Dans les sociétés archaïques le tatouage accompagne souvent les rites d’initiation et l’accession au statut d’adulte; il est en rapport étroit avec une sexualité qu’il faut affirmer chez l’homme et contrôler chez les femmes. Il réalise une transmission d’une génération à l’autre; il témoigne aussi de l’appartenance à un groupe ou à un sous-groupe spécifique, privilégie ou stigmatisé.
Le tatouage fut interdit par les religions occidentales et disparut presque en Europe sauf chez quelques corporations d’artisans; il réapparaît au XVIIIe siècle sous une forme décorative polyvalente, mais en se localisant dans des secteurs marginaux, notamment dans les lieux de regroupement mono-sexuel (armée, marine, internat, chantier, prison).
Aujourd’hui le regain du tatouage témoigne symboliquement de l’affiliation à un groupe à travers une épreuve, parfois un exploit; il se pose par opposition à d’autres groupes, voire au reste de la société. Souvenir et défi, sorte de pièce d’identité rudimentaire, il exprime souvent l’érotisme, la violence, parfois la dérision. Lorsqu’il évoque un lien privé, il proclame un attachement exclusif, exalte une rencontre fusionnelle avec l’autre.
On distingue les modes de tatouage quasi traditionnels des milieux marginaux non intellectuels, des nouvelles formes de peinture corporelle. Celles-ci apparaissent dans les années 65-70 dans les milieux hippies ou underground composés de jeunes étudiants ou artistes rebelles à la société de consommation. (voir J.J Mertaens, Le dessin sur la peau).
Les hippies recourent à un style pictural unisexe, comme pour le vêtement, dans un souci égalitaire et fusionnel (l’amour, pas la guerre) et en substituant la communauté à la famille. la peinture corporelle prépare ou prolonge un corps à corps sexuel avec une symbolique sommaire surtout florale; son impression reste ludique et passagère comme si ces jeunes craignaient toute marque comme tout engagement irréversible.
Essayez un tatouage
Affirmez votre affiliation à un groupe, magnifiez un de vos exploits, proclamez un attachement, laissez libre cours à votre érotisme, votre violence ou votre dérision. En créant le modèle de votre tatouage, en choisissant l’endroit de votre corps où vous allez l’appliquer, dans ce geste de souvenir et de défi, vous vous créez une pièce d’identité rudimentaire.
Si vous êtes douillet, conformiste, si vous avez un sens aigu de votre intégrité corporelle, vous n’êtes pas obligé de vous faire réellement tatouer, vous pouvez vous faire faire ou faire un faux tatouage temporaire. L’expérience en vaut la peine, surtout si le tatouage est visible: vous constaterez à quel point le regard des autres sur vous va changer.
Les inscriptions corporelles: le maquillage
Nature régénératrice, corps à corps avec soi-même, symbole sexuel, ensorcelant, magique, « prête à être sortie ».
Réservé autrefois à quelques élites sociales, le maquillage s’est développé et vulgarisé. Malgré son caractère relativement superficiel et éphémère, il relève cependant de la ritualité:
– symbole d’une sexualité distinctive, attestation par un visage maquillé de sa féminité et de sa présence érogène;
– pratique répétitive, parfois obsessionnelle, d’un rituel privé au cours duquel la femme se maquille dans un corps à corps avec elle-même et avec le miroir dans un dialogue avec son image qui change. Par cette pratique, elle suspend dans un premier temps son rapport à autrui et elle fourbit ses armes (offensives et défensives) pour affronter le rapport avec un inconnu, un partenaire ou le public…Parce qu’elle le vaut bien!
Autrefois, les produits de beauté étaient confiés à des sorciers et les ingrédients étaient secrètement recueillis à partir de substances vivantes (ex: la recette de la Pompadour à base de pigeons hachés vivants, de lait de nourrice, de plumes d’hirondelles, etc.), aujourd’hui les formules actuelles, pourtant scientifiquement élaborées, restent volontairement sibyllines et ostensiblement liées à l’alchimie dans le discours publicitaire pour garder au maquillage ses vertus ensorcelantes.
Le démaquillage et lui aussi un rituel au cours duquel le corps féminin reprend sa nature en renonçant à la parade sociale et sexuelle. Ce rite s’accomplit soit dans la solitude, soit juste au moment de l’amour (dont le démaquillage face au partenaire est souvent le signe).
Ce rôle démystifiant se retrouve dans l’attitude des jeunes femmes qui refusent délibérément un rituel ambigu.
Rituels vestimentaires
Le vêtement est le champ privilégié de la ritualité, dans tous les secteurs.
– Chez les religieux, le vêtements varient selon les ordres, les rangs, les liturgies. Même si les fastes religieux se sont réduits et si les prêtres ne portent plus de soutane, il est aisé de reconnaître dans la rue un prêtre, un rabbin, un imam.
– Chez le militaires, la distinction des armes , des grades et bien sûr des nationalités est bien marquée.
– Pendant longtemps, les corporations et professions avaient un « uniforme » dans l’exercice de leur fonction, c’est encore le cas des magistrats ou des policiers.
– Dans la vie civile, le vêtement varie selon les statuts, les classes sociales, le métier, et les circonstances de la vie : tenue de semaine ou tenue du dimanche, tenue de travail ou de fête, tenue libre ou tenue de rigueur, etc. Même si le temps de l’uniformisation est venu, où les différences sociales s’estompent, une société sans rituels n’existent pas et si vous regardez attentivement autour de vous, vous pourrez décoder les nouveau codes vestimentaires.
Les fêtes et mondanités continuent de requérir un certain rituel. Si on ne s’habille plus guère pour aller au théâtre et à l’Opéra, on s’habille encore pour certaines réceptions, mariages et enterrements.
ll ne faut pas confondre les rites vestimentaires qui se réfèrent à une certaine sacralité de la personne, du statut ou de la situation, avec la mode. Malgré la contrainte qu’elle exerce, la mode se distingue par son caractère éphémère et ses variations plus ou moins rapides, parfois cycliques. L’accélération des changements de mode a des enjeux commerciaux mais reflète aussi l’usure des usages traditionnels.
La mode n’en reste pas moins un rituel entre maintenance et rupture:
– maintenance approximative d’un style classique: complet-veston chez les hommes, tailleur jupe ou pantalon ou robe stricte chez les femmes. Ceci reste vrai dans le milieu des cadres, employés et dans la classe politique fort soucieuse de rigueur et de sobre élégance dans les prestations publiques, comme si toute transgression ou différence avérée pouvait être périlleuse (et elle l’est!). On retrouve une des fonctions du rituel : la réassurance;
– rupture, assez ambigüe, oscillant entre transgression, dérision et innovation en matière de vêtement, allure, chevelure. Les différents mouvement irruptifs chez les jeunes s’expriment par la théâtralité, la parodie, le défi. Même restreints et marginaux, ces comportements traduisent, sous le jeu, sous la provocation et au-delà de la mode, la quête de nouveaux rituels. Pour les membres d’une classe d’âge inquiète, il s’agit d’affirmer spectaculairement une certaine identité sociale qui la distingue et la rassemble (du punk, skinhead, rétro, new-wawes, au hip-hop, streatwear, etc.).
Soins du corps : hygiène et beauté
Les soins du corps, rituel quotidien, étroitement réglé, contribuent à construire une image valorisante et socialement représentative (on se soigne pour présenter une apparence favorable aux yeux d’autrui et pour répondre à une norme sociale de bienséance).
Chacun a pour sa toilette une heure préférentielle, un lieu attitré, un ordre, des habitudes fixes, autant de gestes répétitifs, chaque jours recommencés pratiquement dans le même ordre. Ce rituel s’entoure généralement de secret comme si tout ce travail préalable pour entretenir un corps présentable devait resté caché.
– Valeur hygiénique : la propreté protège des microbes, éloigne les parasites et l’eau est un symbole de vie et de santé. Ça n’a pas toujours été le cas : au XVIe siècle, le bain était considéré comme une action dangereuse qui affaiblissait le corps.
– Valeur morale : La toilette est associée à la pureté et permet de lutter contre les sentiments de souillure, de tache, voire de faute (impeccable signifie d’abord sans pêché). Comme Lady Macbeth lavant sans cesse ses mains pour en effacer les traces imaginaires de son crime, l’obsessionnel nettoie sans relâche, en un rituel immuable, avec un mélange de dégoût et de satisfaction, un corps qu’il sent menacé par l’impureté.
La propreté est souvent associée à la blancheur (lave plus blanc que blanc!).
– Valeur sociale : la propreté et la bienséance vont de pair: avant de sortir, on se lave les mains, le visage tout comme on se coiffe, s’habille ou se maquille. (relire la BD Bicot que sa soeur veut toujours poncer avant de le sortir). Au XVIIe siècle propre est synonyme de distingué. Être propre est un des impératifs de la présentation de soi.
La dimension sociale su rituel de propreté se trouve prolongée dans la beauté plastique. Pour améliorer son apparence, non seulement on se soigne et on se pare, mais on tente de modeler son corps selon le type idéal du moment.
La chirurgie esthétique est l’ultime recours dans ce travail de remodelage. Agir sur la forme de son nez, de sa poitrine, effacer les rides ou l’affaissement du visage, c’est vouloir se conformer à des modèles sociaux normatifs de beauté, d’élégance et de jeunesse.
En interrogeant des candidats à la chirurgie esthétique, on s’aperçoit que leur attente est autant d’ordre social et relationnel qu’esthétique : ils veulent accéder à tous les plaisirs qu’il supposent être ceux des gens beaux et retrouver les plaisirs qu’ils ont perdu en vieillissant. (un bel ouvrage sur le sujet : Psychologie et chirurgie esthétique d’Isabelle Faivre)
La chirurgie esthétique est une sorte de rite de passage vers une nouvelle identité idéalisée et un nouveau statut social. L’opération peut agir comme un exorcisme permettant à l’individu de se débarrasser sur le plan réel et symbolique de ce qu’il vit comme une tare, un stigmate et d’accéder à une sorte de corps glorieux, gage d’une re-naissance et d’une vie nouvelle. La réalité des lendemains ne tient malheureusement pas toute ses promesses.
Êtes-vous sensible à la beauté?
Êtes-vous sensible à la beauté, mais quelle beauté? Vous retournez-vous dans la rue sur une femme ou un homme?
Quels sont les critères qui font que vous vous êtes retourné(e)?
Pensez-vous, comme l’actrice Maë West, que la beauté n’est en grande partie qu’un truc?
Ou pensez-vous, comme Marguerite Duras qu’une femme est belle si elle décide d’être belle.
Elle croyait au relooking, et pensait qu’elle pouvait faire de n’importe quelle femme un être agréable à regarder en tirant parti des qualités et en gommant les défauts.
Vous arrive-t-il de dire: c’est vrai elle est moche, mais il faut regarder la beauté intérieure?
Pensez-vous que beauté et santé sont intimement liées?
Pensez-vous qu’à partir d’un certain âge on doit se foutre de son physique?