Jeux de lumière, jeux de regard
« Chez lui domine une gamme des tonalités claires aux passages ménagés avec une harmonie merveilleuse. On dirait un Rubens éclairé du soleil brillant d’un Vélasquez. » Zola semble ébloui par l’œuvre de Renoir.
Elle s’en balance. Il parle dans le vide. L’homme caché fixe un inconnu. La fillette, émerveillée, les dévore des yeux. Le soleil transperce les feuillages. Des touches lumineuses scintillent sur le sol, papillotent sur les tissus. Vert, brun, bleu de Prusse poussent l’escarpolette en toute insouciance. Comment la lumière crée-t-elle cette atmosphère d’éternelle jouvence ?
1876 – 92 x 73 cm
Sujet
Contemporaine du Bal du Moulin de la Galette (musée d’Orsay), cette toile d’Auguste Renoir fut présentée à la troisième exposition impressionniste où elle rencontra certaines critiques hostiles. On lui reprochait sa bizarrerie dans la représentation des effets de soleil et ce bleu « féroce ». Mais d’autres critiques, sensibles à la modernité de ce tableau, y virent une image du bonheur dans cette campagne qu’était encore Montmartre à l’époque et évoquèrent le nom de Watteau pour en qualifier l’atmosphère.
Dans La Balançoire, le modelé passe derrière le travail sur la lumière et la recherche d’une matière expressive. Auguste Renoir suit un chemin pourtant très différent de celui de Monet, il cherche plus la sensation que l’illumination solaire ; ils étaient très proches au temps du cabaret de la mère Anthony, il y avait pourtant une manière différente de poser la couleur .
Le soleil de Renoir ce sont les gens, les femmes d’abord, les hommes, et les enfants et la dans La balançoire c’est la jeunesse, la jeunesse entre hommes et femmes.
Les jeux de regards dans cette toile sont à eux seuls, un vrai cours de théâtre sur la plastique.
La scène se passe dans le jardin de la maison rue Cortot à Montmartre où Auguste Renoir avait loué une chambre, la jeune femme c’est Jeanne une jeune Montmartroise, celui qui nous regarde c’est sans doute Goenette, le peintre ami de Renoir.
Renoir préparait la grande mise en scène du Moulin de la galette, il avait loué cette chambre pour le jardin attenant qui pouvait servir de décor à son grand tableau et qui permettait d’y faire poser les amis, cette lumière tachetée est dans les deux tableaux .
Composition
Auguste Renoir et il n’est pas le seul, cherche Watteau à la trace, son univers, celui qu’il veut développer n’est pas étranger à celui de ce peintre du XVIIIe siècle, mais la comédie de la vie ne sera pas « jouée » par Pierrot et Colombine, mais par Jeanne, Gabrielle, Norbert, et plein d’autres contemporains de l’artiste dont les noms se sont perdus dans la brume du temps, mais qui sont là dans les tableaux de Renoir de cette époque de la jeunesse.
A tableau vertical composition en hauteur, elle s’y prête bien en effet, puisque l’ossature du tableau est faite par cette balançoire au centre.
Le point de vue est celui de quelqu’un qui s’approche du groupe et que le personnage en partie caché par le tronc de l’arbre regarde venir, ce regard crée la dynamique du tableau car elle permet à celui qui s’approche non pas du groupe mais du tableau, de rentrer dans le jeu des regards, jeu simple certes, mais subtil. Auguste Renoir nous fait bien sentir que cet homme derrière ce tronc d’arbre vient de quitter des yeux l’homme qui nous tourne le dos, pour tourner les yeux vers celui ou ceux qui viennent vers eux. La jeune femme (on sait qu’elle s’appelait Jeanne) a les yeux obstinément tournés ailleurs que vers l’homme qui lui parle.
Mais elle a l’air rêveuse cette toute jeune femme, suspendue dans l’air par cette escarpolette, à gauche tout près du bord du tableau une enfant très petite regarde l’homme qui parle à cette jeune femme avec un regard émerveillée. Ces jeunes gens encore près du souvenir de l’enfance ne la regardent plus déjà, mais elle est toujours là en eux, on joue maintenant à d’autres jeux, mais l’enfance elle continue de les regarder.
Auguste Renoir a laissé l’air circuler sur la droite du tableau où il a aménagé une belle profondeur à sa manière, quelques personnages dont une femme en robe claire ferment cet espace.
La profondeur est créée par l’alignement des troncs verticaux qui vont du premier plan à gauche au fond au milieu jusqu’au groupe de personnages de l’arrière plan qui clôt l’espace du tableau. Mais cette impression de trouée lumineuse est aussi due à l’étagement des touches de lumière jaunes et blanches sur le sol du premier plan jusqu’au fond. Une harmonie de bleus de Prusse, de verts et de bruns violacés auxquels s’opposent des taches jaunes et blanches de lumière. Au fond du tableau une touche vermillon attire l’œil, la cravate du personnage que l’on distingue à peine. Dans cette toile la couleur est lumière et la lumière est couleur, c’est là tout le génie de Renoir.
Couleur, lumière
Cette lumière de mouchetures de soleil Renoir la reprendra dans son grand tableau du Moulin de la galette, il est possible que la balançoire ait été pour lui une sorte de premier essai pour son grand format car on y trouve cette même lumière miroitante en taches qui est une des raisons de la beauté de cette toile ; comme si ces taches de lumière étaient une sorte de symbole, si l’on peut dire, d’un moment de la jeunesse.
La lumière à travers les feuillages c’est à dire l’ombre et la lumière éclatée en myriades de points immatériels, une sorte de ciel étoilé au soleil, un mouvement scintillant et perpétuel.
C’est sans doute cette forme que cherchait Renoir, car ces deux tableaux sont comme des manifestes de sa peinture, il changera de manière encore une fois avec cette période aigre qui lui permettra de retrouver le vrai rôle de la lumière dans sa peinture qui est celui d’une créatrice de forme. Avec Renoir on a le sentiment que c’est la lumière qui assujettit la peinture.
Dans La Balançoire tout est déjà là, on voit précisément que le peintre cherche la nature elle-même de la lumière mais en vrai peintre il la cherche dans la matière même de sa pâte, on peut dire que dans ce moment de grâce de son oeuvre, la peinture elle-même se fait lumière.
C’est là un trait de génie de ces peintres impressionnistes car à chacun correspond une histoire personnelle avec la lumière.
Matière, forme
La manière de Renoir commence à se différencier de celle de Monet, ils ont travaillé ensemble les mêmes sujets confondant leur manière, et à partir de ces années 75, 76 ils se sont identifiés, leurs styles respectifs se séparent.
Auguste Renoir va aller vers cette recherche d’une matière duveteuse et douce. Il n’a jamais aimé les empâtements, il y en a ici sur la robe de la jeune fille qui pourtant semble très vaporeuse, il cherche une légèreté dense, une force vive et douce, il ne pourra jamais se séparer de la transparence car c’est le seul moyen d’atteindre cet état de la matière de la peinture, il lui faut de l’air et du vent, du feuillage et des plumes, de la soie et des étoiles tout cela est réuni dans la balançoire.
La matière chaude et sensible, due à un pinceau de virtuose crée des formes légères et fluides miroitant dans la lumière d’un instant de bonheur.
Pour aller plus loin dans l’analyse de cette oeuvre.
Extrait du travail préparatoire au CD-Rom de jeu Secrets d’Orsay
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