Luxe, calme et volupté de Henri Matisse

 

Luxe, calme et volupté de Henri Matisse - Musée d'Orsay

Luxe, calme et volupté de Henri Matisse – Musée d’Orsay

Ce n’est pas un tableau pointilliste

Luxe, calme et volupté, de Matisse, « C’est une toile faite avec les couleurs pures de l’arc-en-ciel. Toutes les toiles du divisionnisme produisaient le même effet : un peu de rose, un peu de bleu, un peu de vert, une palette très limitée. (…) Ceci m’amena à peindre par aplats. »

Là tout n’est que points et couleurs. Flamboyantes de vivacité : rose, jaune, rouge, orange, vert, violet ; primaires et complémentaires vibrent sous la lumière saturée de ce ciel d’été. Fin d’après-midi sans ombre, le thé est servi. Les formes alanguies se sèchent, se rapprochent, se mettent à danser, mais ne se mélangent pas. Serait-ce un adieu à Seurat ? Comment la couleur rythme-t-elle ce bonheur de vivre ?

1904 –  98 x 118 cm

Sujet

Il y a quelques études pour ce tableau, à l’huile, à l’aquarelle; si on les réunit on voit tout de suite le peu d’importance que Matisse accordait aux théories, et ceci pour une raison bien simple, c’est que pour lui tout est invention plastique et c’est cela qui le guide. Il y a d’abord plusieurs études du lieu dont une traitée à la manière impressionniste, deux aquarelles très Delacroix, puis dans l’été 1904 un petit tableau du sujet, lui même traité en grosses touches et qui a l’air à la fois fauve et pointilliste, enfin en automne Luxe calme et volupté, une toile qui reste d’allure pointilliste mais où pointe déjà quelque chose de fauve.

Matisse s’ est  converti au monde méditerranéen et à son bonheur de vivre mais c’est aussi un lecteur de Baudelaire comme on peut le remarquer au titre qu’il donne au tableau. La scène se passe dans la lumière de la fin de l’après-midi au bord de la mer le paysage est celui du golfe de Saint-Tropez où Matisse avait rejoint Signac. Un groupe de femmes la plupart nues, tout ce monde s’est baigné dans la mer, on se sèche, s’essuie, une nappe est à même le sol, sur laquelle, semble-t-il le thé est servi. La scène représente un instant de bonheur mi-vécu mi-rêvé. Avant La joie de vivre (1906), Matisse donne ici sa première version de « l’Age d’or », thème traité auparavant par Puvis de Chavanne, Cross et Signac.

 

Composition

Le tableau comprend trois zones, le ciel, la mer, la terre  disposés de part et d’autre de la ligne d’horizon et de la diagonale de la côte qui fait l’espace de ce tableau, la technique du point, ici assez forte, empêche tout modelé et toute circulation de la lumière d’une chose à une autre. Matisse oeuvre dans le sens du travail de décoration murale comme toute sa génération ou presque ; la profondeur optique, et tout illusionnisme est banni, la composition doit donc tenir « optiquement » par la répartition des formes dans le tableau,donc par le pur travail plastique. Une grande croix donnera la verticalité et l’horizontalité : l’arbre à la droite du tableau et la ligne d’horizon de la mer, une diagonale s’occupe de la profondeur : la ligne de la côte. Toute la scène est donc concentrée dans la partie gauche du tableau à l’intérieur d’un triangle où les trois groupes de femmes sont inscrits dans trois autres triangles, ceux-la inégaux.

Couleur, lumière

Matisse fait partie de cette mouvance post-impressionniste qui reste lié à l’idée centrale de la lumière. Celle-ci est essentielle dans le tableau, et fort bien rendue, avec pourtant une technique qui ne facilite pas les choses dans la mesure où elle éloigne la représentation du réalisme, et où le divisionnisme des touches a plus tendance à décomposer la lumière qu’à la composer. Matisse utilise les points comme des touches, les zones d’ombres sont en bleu, les lumières en orangé et en rouge, il n’utilise que des couleurs vives, en cela il est fidèle à Seurat, primaires : Rouge, jaune, bleu, et complémentaire : orangé, vert et violet ; mais finalement il les place à sa manière pour faire vivre sa lumière ; concentrant les jaunes dans le ciel à gauche, les roses à droite, le reste bleu clair et rouge. Matisse parvient pourtant à bien faire circuler sa lumière, elle a ce côté légèrement blanc, un peu métallique que prend la lumière de l’été avant de brunir et de s’éteindre.

Ici Matisse a travaillé en zones de couleur ce qui est totalement contraire à la théorie pointilliste, il fait une plage de rouge contiguë à une plage de bleu et de vert (à gauche du tableau, le sol et la robe de la femme habillée assise), il passe du carmin au vert et bleu foncé sur l’avancée du cap du golfe, mais il ne les mélange qu’à peine.

 

Matière, forme

Dans «Luxe, calme et volupté»; l’utilisation que Matisse fait des points est à la limite de deux choses qui se confondent : la vibration de couleur et la touche ; cette dernière est très présente, elle va lui servir de point de départ pour faire évoluer son idée de la couleur et de la peinture plate issue du muralisme de son temps. Matisse est d’abord un formaliste, il essaie les choses comme moyens plastiques et non comme idées, ces dernières ne l’ont jamais guidé sur le chemin de la peinture, le point de Seurat sera pour lui le moyen de vivre dans ses tableaux la couleur pure, ce qui l’amènera chez les fauves bien sûr; mais sa liberté, son goût de l’expérimentation lui feront prendre d’autres chemins aussi.

La beauté suspendue de cette toile vient peut-être de cela, que Matisse n’obéit à rien qu’à son désir de peindre et de faire apparaître sur la toile ce qui pour lui est l’essence même de l’art.

Les formes simplifiées des corps cernés de lignes plus foncées annoncent déjà les tableaux ultérieurs de l’artiste, tandis que l’application très libre du divisionnisme préfigure le Fauvisme.

Voir les compléments de cette analyse

Extrait du travail préparatoire au CD-Rom Secrets d’Orsay

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