Vague violette de Georges Lacombe

Vague violette de George Lacombe

Vague violette de George Lacombe

Ressac infernal entre japonisme et art nouveau

« Les fantaisies de monsieur Lacombe dépassent les limites de la chinoiserie permise », il est vrai que les marines du « nabi sculpteur » ne sont pas toujours appréciées des critiques.

D’où vient cette vague qui meurt sous nos yeux, se jette sur la roche dans un ultime bouillon d’écume ? De Camaret ou du Soleil levant ? Force du mouvement, contraste entre la clarté du moutonnement et l’obscurité de la grotte, profondeur marine, trait fort et tranché, de cette ambiance violette émerge un Dieu. En vous plongeant dans l’étude de la forme, vous en percevrez les siennes…

1896-1897 – 71 cm x 92 cm

Sujet

Surnommé le « nabi sculpteur », Lacombe était aussi peintre. Profondément marqué dans sa sculpture par le primitivisme de Gauguin, il doit beaucoup aux Maîtres japonais dans ses marines comme « Vagues violettes ». Loin d’un traitement naturaliste, cette toile bascule dans le fantastique.

«  Les fantaisies de Monsieur Lacombe dépassent les limites de chinoiserie permises », voilà ce qu’un critique de « La Plume »  dit de la peinture de Georges Lacombe en 1895. On lui reproche en fait un excès de japonisme. La « vague violette » date de cette période dans l’œuvre de Lacombe. Lacombe fait parti du groupe des Nabis mais à la différence de Vuillard et Bonnard il s’intéresse profondément à l’ésotérisme (particulièrement au Sar Péladan). Ses recherches ésotériques auront une incidence esthétique dans sa peinture aussi importante certainement que le japonisme.

Il s’agit ici d’une vague marine entrant avec force dans une grotte rocheuse. On pourrait penser que ce thème habituel dans la peinture du passé, (avec ou sans nymphe) serait le prétexte pour le peintre à un travail de lumière et de reflet, ce n’est pas le cas ici ; Lacombe traite son sujet en graphiste et en symboliste ; sa modernité curieusement, rejoint à la fois l’art oriental, l’art primitif dont il s’inspirera pour sa sculpture et le décoratif et les tendances de l’Art Nouveau.

Composition

Elle est basée sur le contraste de valeurs sombres des parvis de la grotte et claires de l’écume des vagues.

C’est une curieuse composition construite en cercle et tournante sur elle même. Tout en haut du tableau une ligne d’horizon marine donc parfaitement rectiligne marque autant la limite de l’eau et du ciel que celle entre deux couleurs. Tout dans cette composition se veut évocateur, la forme creuse comme les orbites oculaires, ou comme une bouche immense et sa luette, les flots comme une barbe blanche d’un Dieu qui ferait bien penser à ceux de William Blake premier peintre ésotérique de ce qu‘on peut appeler la modernité et que Lacombe connaissait certainement, puis qu’il avait été remis en lumière devant le public par certains peintres anglais de la fin du siècle.

Couleur, lumière

Il est possible que l’endroit peint ne soit pas le moins du monde un endroit imaginaire et que Lacombe se soit inspiré d’un lieu réel, en l’occurrence les grottes obscures de Camaret en Bretagne. Dans ce cas c’est la transformation qu’il lui fait subir et le but recherché par ce traitement qui est ici intéressant. Lacombe cherche certainement la couleur symbolique, mais cet artiste intelligent sait que l’expression d’une vérité transcendante est beaucoup plus convaincante lorsqu’elle s’appuie sur une chose réelle ; c’est cela qui permet de penser que Lacombe s’est inspiré d’un endroit réel et d’une lumière réelle, moment du crépuscule où le ciel devient ainsi jaune d’or et où le bleu de la mer tire au violet. Mais il le traite d’une certaine manière faisant des flots non plus quelque cataracte vertigineuse mais une chose mousseuse à la fois étrange et intime. Et de la roche une matière brune animale et chaude qu’on attend pas de paroies rocheuse battues par la mer.

Matière, forme

Il s’agit d’une peinture à l’œuf sur toile non vernie et mate.

La leçon du japonisme Lacombe l’a fort bien comprise, il s’agit de trouver des équivalences graphiques à ce que l’on veut représenter, il ne s’agit donc plus de rapprocher au plus près la peinture de ce que l’on voit mais de s’approcher de notre sensibilité et des résonances que les choses vues provoquent dans notre perception.

On peut voir ici le chemin d’un des Nabis, si différent de celui que d’autres suivirent, car Lacombe choisit dans l’art du japon le trait, la découpe forte et tranchante, le jeu des couleurs plutôt que le miroitement de la touche. Il ne s’agit pourtant pas d’aplats de couleur car la ligne qui domine et structure l’œuvre, agit fortement comme élément de style et élément plastique, cette ligne est d’ailleurs colorée, elle participe de la lumière donc et de la musicalité de l’œuvre. L’ambiance violette est soutenue par le moutonnement blanc de la vague que Lacombe a rehaussé d’une teinte plus claire. Les formes de la vague ne sont pas des formes réalistes, elles sont décoratives, inspirées manifestement par la manière japonaise de symboliser les vagues. Lacombe illumine légèrement son tableau dans le dégagement marin créant ainsi un sentiment de profondeur pourtant non-illusionniste. La contemplation qui est sans doute la bonne manière de regarder ce tableau met peu à peu en avant cette forme rocheuse centrale, sorte de personnage à mitre dont la tête s’appuierait sur la main ou pince de homard géant, il y a dans cette œuvre une volonté de « faire apparaître » (sans toutefois aller vers la symbolique mythologique) qui annonce évidemment les mouvements d’avant garde du siècle suivant ( Grand jeu, surréalisme).

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