Exécuté à blanc
Ce témoignage a été écrit à trois mains : celle de mon père, mort, celle de mon frère, mort et la mienne.
Ce livre sur la délicieuse absurdité de la guerre et sur la quête d’identité n’a laissé indifférents aucuns de ceux qui l’ont lu.
« Un livre brûlant et contrasté, très dur et qui remue. En tous cas, une sacrée page d’histoire et un parcours incroyable, dur, sans pitié et désespéré. »
« Bravo ! Très intéressant, très sensible, assez bouleversant. »
« Ce roman qui relate la vie peu ordinaire d’un jeune homme engagé dans l’armée et hanté par la figure héroïque d’un père absent nous a interpellés. En mêlant habilement confessions d’un fils torturé et rebondissements des opérations militaires, ce récit touchant sur la quête identitaire, aux accents de témoignage ne peut pas laisser indifférent. »
La photo de couverture est de la grande photographe Alice Springs.
L’enfer du Liban, Beyrouth, juin 1982
C’était l’époque où le Liban n’était pas un paradis!
Extrait de Exécuté à blanc
Il est 14 heures environ lorsqu’ils me remettent le bandeau, selon le désormais train-train journalier, la voiture, Fakahani, la cave, le noir, la douleur et l’attente de la mort. La mort ne fait pas mal et ne dit jamais son nom, ce qui n’est pas le cas de l’ensevelissement vivant. Je me tasse dans mon coin, épuisé, tremblant de peur et de fièvre. J’ai une soif à dessécher le Litani. À noter, la gégène, ça donne soif. Je passe en revue tout ce qu’ils peuvent me faire de pire. La suite prouvera que je suis loin du compte. Je chiale longuement, bêtement, ça soulage. Je prie pour maman qui doit être morte d’inquiétude, je ne lui ai pas téléphoné depuis plus d’une semaine.
Je prie même pour Pierre dont je n’ai aucune nouvelle, et je prie pour ma misérable personne qui n’a pas l’air de valoir seulement les douze balles qui peuvent mettre fin à ma souffrance. Pourquoi ne me fusillent-ils pas? Que veulent-ils savoir de plus. Je ne suis qu’un simple touriste égaré.
Je tire la leçon de ces deux interrogatoires : pour mentir, il faut dire la vérité, mais pas toute. En rajouter, c’est une opération plus délicate, on risque de trop saler le potage et la soupe devient immangeable. Si on omet trop de choses, il n’y a plus rien à manger. Un bon menteur se doit d’être un véritable cordon bleu.
Je n’arrive pas à dormir, mes pieds m’élancent, j’ai soif et faim ! Elle est loin, ma grève de la faim bidon à la Santé. Je voudrais vous y voir, messieurs les ouvriers pas contents, qui faites la grève de la faim dans une chaise longue, avec tout le corps médical à vos côtés. La grève de la faim imposée n’a pas la même saveur, elle perd sa fonction d’arme psychologique. Dès que je sombre dans le sommeil, la litanie des « si » me réveille. Si…si…si… je ne serais pas là. Je préfère entendre les vrombissements des avions de combat et le sifflement des bombes, ça occupe plus agréablement l’imagination.
À l’aube de ce troisième jour de détention, j’essaie d’élaborer une stratégie de réponses, mais ma tête est confuse et ils ne me poseront pas les questions que j’attends, ils me diront tu mens avant même que j’aie parlé. Les avions ont repris leur noria. Tactique habituelle des Israéliens : cessez-le feu, d’accord, mais petit coup de pouce pour savoir si les Palestiniens vont le respecter. Ils font passer un avion au-dessus de la capitale assiégée ce qui peut vouloir dire qu’ils vont bombarder. En prévision, un petit nerveux-syro-palestino-progressiste dégaine son canon de 37 et en envoie plein la gueule du pilote, bien sûr innocent. Le calendrier du cessez-le-feu est comme une éphéméride dont on arrache les pages, une à une, jour après jour.
Lundi, Saint Cessez-le feu 1er, mardi, Saint Cessez-le feu Second, etc. Dans la presse en délire, le barème est le suivant :
Pas de violation notable du cessez-le-feu, au-dessous de dix mille obus ou roquettes échangés,
Violation légère, de dix mille jusqu’à trente mille,
Grave violation entraînant le réveil téléphonique de Habib, à partir de trente mille et au dessus.
La violation du huitième dernier cessez-le-feu en cette fin de nuit semble juste un baptême. J’ai la chance de me trouver au-dessous et au centre de la parcelle visée, c’est une distraction inespérée. L’immeuble danse la java et les gardes sont obligés de se tenir au robinet des chiottes pour pisser, c’est assez drôle. Pendant ce temps, il ne viennent pas nous tourmenter. On entend parfaitement les craaaac, crâââââmmm des roquettes au phosphore, suivi des crank plus secs des bombes au napalm, entrecoupés des bzzzzzz…paf des roquettes Crotale, don du ciel vendu par la France un lendemain de 14 juillet, puis les pôôô^, pôôôô^ des dernières katiouchkas, vestiges des stocks palestiniens et les poum, poum, poum des 37 anti-aériens, suivis des toum, toum, toum des mitrailleuses de 14,5 venues du Nord et un grand crââââc annonçant, sans rémission, la disparition de deux étages de l’immeuble sous lequel nous villégiaturons ! Puis c’est le silence. On n’en parlera même pas demain dans les journaux, d’abord parce seulement neuf mille neuf cents roquettes ont été échangées et parce que l’épisode n’a duré qu’un quart d’heure, soit trop peu de temps pour troubler sérieusement le sommeil de monsieur Habib.
– Tetla !
Déjà le petit déjeuner ? Faux espoir, ce n’est que la cellule d’à côté. Par le judas entrouvert, je vois six gardes, ahuris par le bombardement, vacillants sur leurs cannes, faire sortir de leur réduit, à coups de pioche, deux Libanais maronites. Les gardes évacuent leur peur sur les pauvres bougres qui prennent des coups sur et entre les jambes, sur le dos, sur la tête. Ces gardes qui se parent du titre ronflant de commandos palestiniens, les avaient à zéro pendant l’alerte. J’apprends au fil des jours qu’ils ne sont là que parce qu’ils ont été jugés inaptes au combat.
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