Le texte ci-dessous est extrait du CD-Rom L’aspirine, un comprimé de chimie, que j’ai réalisé avec le Palais de la Découverte il y a vingt ans. Il est intéressant de noter que la molécule du Taxotère, anticancéreux très utilisé aujourd’hui, existait il y a vingt ans. Quand on parle de rapides progrès dans les molécules pour le traitement des cancers, de quelle échelle de temps parle-t-on? Les étapes de la mise sur le marché d’un médicament sont longues.
Par ailleurs, en ce qui concerne l’utilisation des plantes en thérapeutique, les autorités de la santé disent qu’elles ne peuvent pas les préconiser car il n’y a pas assez d’études sérieuses. Nous sommes donc loin d’avoir épuisé les ressources des plantes mais peu nombreux sont les laboratoires qui analysent la composition chimique des plantes. J’ai travaillé pour Alban Müller International qui vend des extraits de plantes et analyse leur composition chimique: chaque plante contient tant de molécules qui lui sont propres qu’il est difficile d’en faire un inventaire exhaustif.
Rechercher, dans les plantes, de futurs médicaments
Aujourd’hui, le règne végétal et le règne animal demeurent des sources prometteuses de futurs médicaments. Les ensembles écologiques qui offrent une riche diversité biologique sont des terrains privilégiés d’enquête : forêts primitives tropicales, récifs coralliens tropicaux. Mais comment, par exemple, reconnaître de nouvelles plantes médicinales et percer leur secret ? Sur le terrain on procède selon trois approches :
La chimiotaxonomie
on collecte les plantes selon des critères de sélection botaniques. Si une espèce végétale a déjà fourni une molécule intéressante en thérapeutique, on sélectionne les plantes de cette espèce ou d’espèces apparentées. Des tests chimiques précisent la classe chimique des constituants présents dans ces plantes.
Ethnopharmacologie
Des enquêtes sont menées avec l’aide d’ethnologues sur les pratiques médicales empiriques de populations vivant près de la nature (Amérique du Sud, îles du Pacifique, Sud-Est asiatique). Pour être fructueuses, un dialogue de confiance doit s’engager avec les guérisseurs.
De la botanique à la pharmacie
Dans la recherche de médicaments, les botanistes sont des prospecteurs de nouvelles plantes médicinales. Auprès des populations rencontrées, ils acquièrent de nouvelles connaissances sur l’utilisation des plantes dans les médecines traditionnelles. Tremplin pour de futures recherches pharmaceutiques, ce matériel végétal reste une des façons d’élargir notre pharmacopée.
Nombre de médicaments sont extraits de plantes médicinales. Rapportées par les botanistes, les plantes sauvages sont ensuite étudiées par les chimistes et les pharmaciens. Si une molécule active est repérée et qu’un médicament peut être développé, des recherches agronomiques sont mises en œuvre. En général, la concentration et la production de la molécule intéressante sont faibles dans la plante sauvage. L’agronome cherche alors à augmenter le taux de la molécule dans la plante. Il utilise les techniques de sélection pour obtenir les souches les plus productives. Il s’aide également des biotechnologies pour modifier le code génétique des plantes et commander ainsi une production accrue de molécules intéressantes par les plantes hybrides.

échantillons de plantes médicinales chinoises préparés pour être testés © Aspirine, un comprimé de chimie
La pharmacologie
On recherche une activité biologique potentielle de la plante au moyen de tests simples in vitro. Par exemple, on observe l’action d’un extrait de la plante sur des germes en culture pour déceler une activité antibiotique, ou sur des cellules tumorales pour détecter une activité anti-tumorale.
La recherche de nouvelles molécules actives à partir des matières végétales continue de porter ses fruits dans des domaines thérapeutiques majeurs tels que les cancers, les maladies parasitaires dont le paludisme, le SIDA.
La molécule naturelle primitive est parfois modifiée chimiquement afin de la rendre plus active et/ou moins toxique. Citons pour exemple :
– les médicaments anticancéreux, avec la vinorelbine (dérivée de la vinblastine extraite de la Pervenche de Madagascar), le paclitaxel (extrait des écorces d’if), le docétaxel (dérivé de la molécule 10-désacétylbaccatine III extraite des feuilles d’if), la camptothécine (extraite de la plante chinoise Camptotheca acuminata)
– les antiparasitaires, tels que l’antipaludéen artémether (dérivé de l’artémisinine extraite de la plante chinoise Artemisia annua).
– le célèbre et très ancien anti-douleur et fébrifuge, l’Aspirine.
Microbiologie
Du remède de bonne femme, c’est à dire de la constatation de l’effet thérapeutique d’une plante à l’identification de la molécule responsable de cet effet, puis à l’extraction de cette molécule, puis enfin à la chimie qui va améliorer et transformer la molécule en médicament, la découverte de l’aspirine constitue un parcours exemplaire avec ses méandres, ses parenthèses, ses erreurs et ses anecdotes.
Tisanes de feuilles de saule d’Hippocrate
Poudre d’écorce de saule du révérend Stone
Décoction de reine des prés de Madame Fouquet
Le thé du Canada
Tous ces remèdes contre les douleurs et la fièvre ont un point commun : ils contiennent des dérivés salicylés, mais personne alors ne le sait.
Le premier grand pas vers le médicament est franchi par le pharmacien Leroux qui extrait d’un kilo et demi d’écorce de saule, une trentaine de grammes d’une substance pure qu’il baptise salicine.
En effet, jusque là, on attribue les vertus à la plante entière ou à une partie de la plante mais non à une substance active.
A partir du milieu du XIXe siècle, la théorie atomique et le positivisme qui donnent le coup de grâce au vitalisme vont permettre l’essor de la chimie de synthèse.
A partir de ce moment, il est difficile de dire qui a synthétisé le premier l’acide salicylique, tous les travaux chimiques rapportés étant quasi concomitants : le chimiste italien Piria en 1838 à partir de la salicine extraite du saule (il travaille alors dans le laboratoire de Dumas à Paris), le chimiste français Cahours par hydrolyse en 1843 du salicylate de méthyle extrait des gaulthéries, le chimiste Löwig en 1835 à partir de l’aldéhyde salicylique extrait de la reine des prés …
L’intérêt thérapeutique de l’acide salicylique est certain, et les chimistes cherchent à s’affranchir des aléas et des mauvais rendements des sources naturelles. Kolbe y parvient en 1860.
Curieusement, entre les années 1850 et 1895, de nombreux chimistes synthétisent l’acide acétylsalicylique, nouveau produit chimique comme un autre sans imaginer d’étudier ses propriétés thérapeutiques alors que les articles sur les vertus de l’acide salicylique se multiplient.
Le terrain est bien préparé lorsque la société Bayer décide de s’intéresser aux produits pharmaceutiques en 1895 et embauche pharmacologues et chimistes.
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