L’enfant au pâté de sable de Pierre Bonnard

L'enfant au pâté de sable, Pierre Bonnard - Musée d'Orsay -

Vision d’enfant

« L’enfant a l’idéal de la solitude suffisamment rempli de ses rapports avec la nature », quel beau souvenir d’enfance de Pierre Bonnard.

Passer des heures à faire des pâtés de sable, créer un univers de rien, une pelle et un sceau, est-ce un jeu d’enfants. A la japonaise, tout en hauteur comme un kakemono, sans perspective ni modelé des carreaux, mais avec quelques coups de pinceaux pour la nuque et les joues. A l’occidentale, tout en volume, avec ce béret qui fait écho au feuillage de l’arbrisseau. Comment toutes ces formes nous font-elles retomber en enfance ?

1894

167 x 50 centimètres

 

Sujet

Cette peinture est un des quatre morceaux d’un paravent dont les trois autres parties ont longtemps été conservées au Moma à New York avant d’être vendues. Il se suffit parfaitement à lui-même pourtant, Bonnard a volontairement détaché de l’ensemble du paravent car il faisait « trop tableau ». On sait que les Nabis dont Bonnard faisait partie s’intéressaient beaucoup aux art décoratifs et les pratiquèrent abondamment. Bonnard et Vuillard jetèrent leur dévolu sur les paravents plus proches de leurs soucis de peinture et échappant relativement au décoratif pur, accès sur le développement de motifs.

Ce tableau est un véritable petit chef d’œuvre. Il s’agit d’un tout petit enfant d’environ deux ans, Jean Terasse, neveu de Bonnard, en train de faire des pâtés de sable devant la propriété familiale « Le Clos » au Grand Lemps dans l’Isère.

L’enfant qui nous tourne le dos est complètement absorbé par son jeu, le regard porté sur lui est à la hauteur d’un adulte, pourtant nous allons voir que cet adulte qui regarde est totalement absorbé par ce qu’il voit et entre dans un univers qu’il a quitté il y a bien longtemps.

Composition

Bonnard ne veut pas entendre parler de perspective, il cherche tout ce qui peut créer un espace sans ce recours ; ici l’univers de l’enfant qui effectivement ne connaît ni  perspective ni ce qui fait la vision d’un adulte. Il lui donne l’occasion d’expérimenter une composition étrangère aux lois usuelles de la peinture. Il y a trois éléments, l’enfant et son seau à sable (son jeu), l’arbre dans son bac et les marches. Deux lignes complètent la composition sous la forme d’une bande étroite qui désigne l’ouverture de la  porte qui suit les deux marches du seuil, et une ligne horizontale Bleue simple décoration, semble-t-il, sur le mur au dessus de l’arbre ; nous verrons par la suite l’importance de cette ligne bleue dans la conception de cette œuvre.

Même si le point de vue donne le sentiment de la taille adulte, la vision que le peintre nous donne n’est pas celle d’un adulte, Bonnard nous fait entrer dans celle d’un enfant.  La diagonale est la seule ligne qui crée l’espace sur une surface plane, elle est dans l’enfant lui même, une ligne oblique le traverse indiquant sa position ramassé sur le sol, cette ligne s’achève à la nuque de l’enfant, c’est donc dans ce petit corps que tout l’espace existe, c’est en lui et par lui qu’il est vécu.

Tout le reste de cette peinture fait partie de cet enfant , l’échelle des choses est construite sur l’idée d’une fusion des objets réels dans l’espace perceptif de l’enfant. Là réside sans doute une des raisons du charme étonnant de cette œuvre faite de ces objets de rien du tout avec lesquels un enfant peut créer un univers entier et jouer des heures entières si ce n’est des jours entiers.

Bonnard était surnommé le « Nabi japonard ». Format en hauteur dérivé des Kakêmonos japonais .

Espace plan : enfant réduit, à peine silhouette sans volume, jeu décoratif sur les carreaux de tablier chers aux nabis.

Dans la partie supérieure, jeu de construction géométrique entre horizontales et verticales.

Son tablier à carreaux, allusion aux vêtements Japonais est traitée à la manière des artistes de ce pays dans leurs estampes sans modelé, donc sans faire tourner les carreau du dessin de ce tissus. Par contre le béret lui est travaillé à l’occidentale et donne à la tête de l’enfant une valeur essentiel dans l’ensemble, dont le feuillage du petit arbre en caisse est une résonance.

Couleur, lumière

La couleur est dans cette œuvre réduite à presque rien, Bonnard japonise ici fort intelligemment ; toute la force expressive est dans le dessin de l’enfant, deux petites lignes, celle de la nuque et de la joue justes soutenues d’une légère forme d’ombre suffisent créer la présence de l’enfant. La lumière est aussi évanescente que la couleur,

Bonnard fait tout apparaître avec presque rien, un dernier élément, cette ligne bleue ciel au dessus de l’arbre, ligne du ciel réduit à une bande décorative au dessus du feuillage, par elle nous savons que ce jour là, il faisait beau. Elle est la limite céleste de l’univers de l’enfant, elle le clôt, laissant cette couleur de sable rehaussée de discrets coups de brosse blanchâtres jouer le rôle de l’infini.

Matière, forme

Bonnard utilise ici la détrempe pour donner un effet de matité recherché par les Nabis dans leurs peintures décoratives.

la matière du support, une toile fine rappelant sans doute volontairement les fonds de la peinture d’extrême orient. Cette toile a vieilli bien sûr mais elle n’était sans doute pas d’un autre nature à l’origine, un peu plus claire sans doute ; Bonnard s’en est servi comme  fond unificateur du tableau ; y faisant régner une sorte de matière absolue, celle du sable.

Le seul objet qui échappe à cette matière, l’arbre au feuillage complètement sphérique est le double de l’enfant, attaché comme lui à un espace très petit mais que l’on transporte où on le souhaite, il s’agit d’un oranger, mandarinier peut-être, qu’on rentre en hiver. Cet arbre est petit, sa caisse en proportion des marches n’excède pas un demi mètre de haut, mais il paraît très grand : « il est vu grand ».

Le talent de Bonnard est ici évident, d’autant qu’il fait cette petite mise en scène avec justement Trois fois rien.

Le bac en bois de l’arbre, les marches à peine marquées son travaillées à la manière de la peinture à l’encre cher aux peintres de Chine et du Japon ; la couche très délayée, presque vaporeuse éloigne les éléments du fond sans pour autant diminuer leurs tailles, ce qui les laisse dans l’intimité de l’univers de l’enfant.

Ces éléments qui sont pour ce tout petit, fort grands, Bonnard les a traité avec une grande douceur, ce sont deux personnages de la vie de cet enfant ; cette légèreté de la facture ne gène en rien l’impacte de leur présence car ils sont dans l’aura de l’enfant qui a fait sien cet espace de jeu, cet arbre est un double amical, une trace protectrice de la mère, toute une forêt. Les marches et cette longue ombre de l’entrée restituent la limite de l’intérieur, la grandeur de la porte, l’immense boite qu’est la maison, la protection.

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