Saint Sébastien martyr de Théodule Ribot

Ribot

Saint-Sébastien martyr de Théodule Ribot – Musée d’Orsay

Réalisme mystique

« Il peint d’une façon magistrale et certaine qui est faite pour plaire, son modelé est excellent et l’on peut reconnaître en lui les qualités d’un coloriste de premier ordre », quel dithyrambe réaliste du critique et journaliste Maxime Du Camp.

Qui est ce martyr ? Un râle d’agonie aux commissures des lèvres, la chair salie de souffrance, un poignet ligoté, une flèche brisée… Deux moines aux traits rudes et grossiers en tirent quelques reliques. Le corps du supplicié éclaire leurs gestes. Pour saisir la signification des éléments de cette scène, il faut analyser son sujet.

1865, dimensions : 97 cm x 130 cm

Sujet

Théodule Ribot, peintre réaliste, ne représente pas à proprement parler le martyre de Saint Sébastien mais la nuit suivant sa mort, durant laquelle deux moines (qui remplacent ici Ste Irène) ôtent les flèches qui l’ont transpercé. Ils ont tous deux des traits frustes et des mains grossières. C’est un sujet traditionnel de la peinture religieuse depuis le XVIe siècle traité ici de manière réaliste. Théodule Ribot est un grand admirateur de Courbet et de la peinture espagnole du XVIIe siècle (Ribera) et son œuvre se voulait audacieuse.

Théodule Ribot est de la même génération que Courbet et donc hanté par les mêmes courants de pensée, même si il reste un croyant. Dans le Saint Sébastien martyr, il se mesure à Ribera que les réalistes de son temps tenaient pour un précurseur. On peut aisément le comprendre car en effet Ribera dans son traitement est un des plus attaché à reproduire la puissance d’évocation de la matière et surtout celle de la chair.

Ce tableau exposé au salon de 1865 remporta un succès immense, la facture très puissante de l’œuvre, le poids de ce corps mort illuminé d’une lumière somptueuse frappa le public, et cette flèche cassée dans le bras du saint est si réelle qu’elle dut en émouvoir plus d’un, elle est sans doute un des centres nerveux du tableau car elle donne à elle seule (le corps de Sébastien n’est pas, contrairement à l’habitude, criblé de flèches) le sentiment de ce que fut le martyre de ce saint exécuté par les hommes qu’il commandait. Cette flèche fait mal et le lien qui serre encore le poignet dit assez la vérité terrible d’une exécution.

Le visage de cet homme, Ribot l’a traité d’une manière on ne peut plus humaine, il porte encore la trace du râle de l’agonie. C’est d’autre part un homme puissant, le corps est plutôt celui d’un homme au travail que celui d’un guerrier ; c’est aussi le corps d’un homme jeune, on voit là que certains événements hantaient toujours les esprits et que certains mêmes chrétiens, n’arrivaient pas à oublier les massacres de 48.

Deux moines viennent recueillir sur le cadavre ce qui deviendra des reliques, l’un le visage à moitié dans l’ombre trop près du mort pour ne pas en être affecté, éponge le sang mort qui coule de la blessure dont semble-t-il il tire une flèche, cette scène est entièrement mangée par l’ombre et on ne distingue que le jeu des mains. Le visage de ce moine est celui d’une désolation mortelle il revit le martyre de Sébastien mais ce qui l’agite, et là nous voyons que la pensée du XIXe  siècle est présente dans cette œuvre, au travers de la désolation c’est une profonde réprobation, une colère même, que ce poing fermé qui à l’air d’être dirigé vers celui qui contemple le tableau désigne.

L’autre moine regarde ailleurs, il tient le reliquaire, et semble surveiller les alentours, cet acte est dangereux, le combat continue et ce personnage incarne son avenir, un léger sourire dans son expression dit son rôle dans le tableau, il est celui qui transmet l’histoire de la construction de la religion. De l’autre côté du cadavre traîne un objet dont la présence est ambiguë, un morceau de cette flèche cassée fichée dans le bras droit du mort, mais elle n’a pas l’air d’être réellement un morceau de flèche mais bien plutôt une plume pour écrire, écrire le grand livre des martyrs qui sera l’instrument de la pérennité de ce que la religion a construit et dont on aperçoit au loin l’effigie : L’église.

Composition

Cette composition est très intéressante à plus d’un titre car elle structure l’image par la signification et comme il s’agit du langage de l’image, en mettant en relation les  éléments du tableau les uns avec les autres pour leur sens et non pour des raisons esthétiques. La lumière et l’espace sont ici confondus dans ce qui fait le sujet, comme une sorte de précipité mortel : Le cadavre de Sébastien est la lumière et sa position en diagonale construit totalement l’espace du tableau. C’est la mort qui est dans ce tableau l’élément spatial et ceci fait de Ribot un peintre étonnant même si on, peut lui reprocher son attachement, que certains ont trouvé excessif, au valeurs picturales du XVIIe siècle.

Les deux diagonales sur lesquelles se tiennent les moines sont des lignes de composition si parfaitement penchées sur le cadavre qu’elles ne sont plus perceptibles qu’à travers cet étonnant jeu de mains vivant qui se conclue dans un triangle la pointe en bas, dont le bas est la main morte de Sébastien très près de cette plume taillée.

Écrire l’histoire pour ne pas oublier les morts, c’est aussi ce que dit cette main de la désolation.

 

Couleur, lumière

Le jeu de couleurs inspiré par les espagnols du XVIIe est entièrement fait à partir des couleurs de terre : ocre , sienne, ombre, un gris bleuté fait le ciel très sombre du fond du tableau, le point culminant de la lumière est situé en haut de la poitrine de Sébastien, mais la zone la plus claire est dans le linge qui entoure la taille du mort, ces deux lumières cernent la douloureuse extraction de la flèche.

Cette forte lumière  semble être celle d’un troisième personnage tenant une lampe, ou bien une torche et qui serait hors de notre champ de vision. L’élimination par le peintre de ce personnage favorise une ambiguïté concernant la lumière, car l’absence de la source de cette lumière dans le tableau donne le sentiment que c’est le corps lui-même qui la produit, l’indication très discrète d’une auréole renforce ce sentiment, Mais Ribot sait fort bien qu’on sait qu’il y a une troisième personne et c’est lui-même qui entretient cette ambiguïté. Ribot met ici en œuvre avec une grande maîtrise le clair-obscur cher aux Espagnols du siècle d’or et dont le but est de mettre les formes en relief.

Matière, forme

Les réalistes du XIX e siècle n’avaient nullement l’intention de sortir des canons fondamentaux de la peinture, ils voulaient d’abord changer de sujet si l’on peut dire et ensuite travailler la représentation dans le sens d’une évocation de plus en plus matérielle des êtres et des choses.

C’est donc l’expressivité et la représentation qui compte ici alors que chez Manet l’évolution ira jusqu’à désigner le peinture elle-même comme matière. Ribot reste dans la tradition issue de la renaissance Italienne, fidèle au formes et à la dramaturgie de la peinture d’histoire.

Le jeu des formes et de la matière est donc ici dans la représentation. Ribot représente un cadavre, tout son travail très impressionnant tend non pas au pathos mais à ce que nous ayons sur la toile devant nous rien d’autre qu’un corps humain mort, vraiment mort.

Mais ce travail il l’a complexifié en faisant apparaître dans le corps mort les traces du supplice auquel avec intelligence et détermination, il donne le caractère très contemporain de l’exécution. Sébastien est aussi un fusillé.

La forme est étroitement déterminée par le clair-obscur érigé en principe de composition.

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