Charlotte Dubourg de Henri Fantin-Latour

Charlotte Dubourg

Charlotte Dubourg de Henri Fantin-Latour – Musée d’Orsay

Exaltation de la femme

« Quelle paix et quelle honnêteté dans ces figures de femmes ! Comme elles expriment bien la vie acceptée telle que le veut l’organisation sociale bourgeoise ». Verhaeren n’apprécie pas vraiment Fantin Latour qui, à sa manière, porte les femmes aux nues…

Immobile en apparence, le feu glacé d’une impatience maîtrisée envahit son regard. Mouvement freiné que viennent rehausser les gris chatoyants de la robe, le bruissement nacré des dentelles, le léger désordre des boucles blondes. Une ardeur contenue qu’un coup d’éventail peut rompre. Pour comprendre les tensions qui composent ce portrait, lancez-vous dans l’analyse du sujet.

Charlotte Dubourg de Henri Fantin-Latour, 1882

Dimensions: 1,18 x 0,925 m

Sujet

Charlotte Dubourg était la belle sœur du peintre. En 1882, elle a 32 ans. On sait que Fantin était très attaché à la famille de sa femme ; le portrait qu’il en fit (également au musée d’Orsay) témoigne de l’estime qu’il portait à ces gens. Il a donné à ce portrait de groupe en deuil une dimension étonnante. Il en est de même pour le portrait de Charlotte.

C’est un grand tableau pour un portrait assis, presque 1m 20 de haut et comme nous allons le voir il rend un hommage à cette jeune femme comme peu de peintres l’on fait, c’est sans nul doute un des plus fascinants portraits de femme du XIX e siècle. On peut ici juger de l’exceptionnel talent de cet artiste qui n’a pourtant jamais voulu s’écarter d’un métier sûr, issu de la tradition classique en cela il est parent de Bonnat et de Fromentin. Mais Fantin qui dut son succès à ses portraits et à ses extraordinaires tableaux de fleurs, dépasse ces deux peintres par sa liberté et la sobre élégance de sa peinture.

La beauté de cette femme et les liens qui unissait Fantin à la famille de Charlotte Dubourg ont sans doute joué un rôle inspirateur. Mais au delà des circonstances qui ont produit ce tableau, Fantin nous donne ici une illustration de ce que la réflexion sur la peinture et l’exigence face à un passé qui paraissait écrasant peut produire comme chef d’œuvre. Après Courbet, après Manet les jeunes peintres se sont totalement débarrassés des prétextes, la réalité devait porter tout ce qu’on accordait auparavant à l’appareil culturel. Le portrait de Charlotte est de ce point de vue une sorte de démonstration magistrale que Fantin nous fait du possible glissement d’un sujet vers une signification poétique beaucoup plus large que le sujet lui-même.

Bien sûr le peintre nous donne là le portrait d’une jeune femme de la fin du XIXe  ; on peut aussi le prendre ainsi.

Composition

Une composition classique triangulaire soutenue de l’arc d’une courbe faite par le dossier du canapé où est assise la jeune femme. Aucun ornement si ce n’est les quelques fleurs du chapeau, ce tableau est en apparence sévère, il ne donne pourtant nullement cette impression. Quelque chose frappe au premier regard, c’est la présence de la jeune femme et l’étrange mouvement qu’elle contient dans son apparente immobilité. Ce mouvement discrètement glissé dans la composition et qui accompagne la tension qui habite le personnage est donné par la courbe du dossier du canapé sur lequel elle est assise et qui se termine par ce mouvement de retrait dessiné par la forme de l’accoudoir du canapé. A sa gauche un moutonnement noir, châle de laine sans doute, dont le début est sur le bras gauche ; le peintre en a rendu l’effet ambigu. La position des bras allongés sur le giron accompagne le mouvement des plis gris de la robe,  tourbillon noir donc, allongement gris des plis, et avant les mains, une écume de dentelle blanche.

Une autre chose étonnante dans ce tableau, le regard de cette femme, regard lointain, profond et comme hypnotisé qui ne nous regarde pas mais regarde vers un endroit de la pièce où elle pose, et semble attendre. Dans la portrait de famille où elle figure aussi et qui fut peint quatre ans auparavant, Charlotte est debout sur le point de partir elle a mis sa pèlerine noire son chapeau de cette même couleur, la famille est en deuil ; dans son portrait elle est immobile et semble captée par l’attente ceci donne au tableau une tension intérieure, le corps de cette femme est dans un calme profond mais son visage énergique et tendu est comme saisi du mouvement intérieur de flux et de reflux de l’attente.

L’espace est défini par l’angle que fait le corps, la diagonale des jambes renforcée par celle des avants bras accentue cette impression de tension dans l’attente, les plis de la robe entraînant le mouvement horizontal légèrement vers le bas. Tout bouge dans ce tableau et tout est immobile, cette nature contradictoire se retrouve dans le regard de cette femme. Un seul détail rompt cet ensemble circulaire et répétitif, la tache rectangulaire et rouge corail de l’éventail replié, seule marque d’une impatience repliée sur elle-même mais qu’on sait pouvoir se déplier brusquement comme un coup de vent subit.

 

Couleur, lumière

La lumière qui semble naturelle vient de la droite et éclaire largement le modèle de trois-quarts.

Fantin a 46 ans lorsqu’il peint ce portrait qui est un de ses chef d’œuvres, La maîtrise de son style est totale, sa technique est si parfaite qu’on l’oublie au profit de ce miroitement secret qui habite ce tableau et qui est le fruit de cette touche complexe, « belle comme une caresse » qui fait le gris vibré de la robe de cette femme, le bruissement des dentelles blanches et l’agitation légère des boucles blondes. Fantin sait l’harmonie qu’il veut faire vivre dans ce tableau, elle est basée sur le jeu principal du gris du rouge et du jaune, c’est cela le contenu de cette magnifique lumière qu’on voit parfois à Paris.

 

Forme et matière

Toute « la forme » de ce tableau est concentrée autour de ce regard gris, profond, passionnel, énigmatique ; la forme arrondie du canapé, le mouvement du tissus de la robe, le petit chapeau noir et ses fleurs, la césure visuelle que fait l’éventail et au plus profond le moutonnement noir du châle. Cette volonté de tout transmettre à travers l’instant réel, on la retrouve sous différentes formes dans toute la génération de Fantin, contemporain de Manet et des impressionnistes, mais chez lui comme chez Degas il n’y a pas cette rupture stylistique à laquelle céda Manet dans le milieu de son œuvre sous peut-être l’influence de Monet et de ses amis impressionnistes.

Fantin reste fidèle à la technique traditionnelle héritée des maîtres et à une vision réaliste de son modèle.

Extrait de Secrets d’Orsay

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