Trois moments de la vie d’une femme
« On se demande de quels pays se trouvent ces chlorotiques personnes qui se repeignent devant une mer taillée dans du silex. On s’étonne, enfin, devant ce singulier assemblage de têtes de jeunes filles et de corps qui devraient être emprisonnées dans des robes noires de vieilles dévotes, au fond d’une province comme en peint Balzac ». Huysmans.
Trois moments de la vie d’une femme. Blonde, brune ou rousse, de dos, de face ou de côté, à moitié dévêtue, elle règne sur cet Eden aussi triste que langoureux. Sous une lumière diffuse, l’indolente verticale est soutenue par l’obliquité alanguie de ces pâles copies. Touche fantomatique pour un sujet intemporel, comment la couleur donne-t-elle le ton à ce panneau décoratif ?
Salon de 1879 – 205 x 154
Sujet
Trois jeunes filles aux longs cheveux et à moitié vêtues, dont l’une est vue de dos, au bord d’une mer calme au pied des dunes. Puvis avait déjà atteint la célébrité par ses peintures murales pour les musées d’Amiens, Marseille ou pour l’église Sainte Geneviève à Paris (actuel Panthéon) quand il reçut commande de décorations pour des hôtels particuliers comme celui de son ami le peintre Léon Bonnat.
Jeunes filles au bord de la mer exposé au Salon de 1879 avec le sous-titre de « panneau décoratif » était sans doute destiné à orner une demeure particulière. Ce tableau est avant tout une décoration, le sujet n’est ni anecdotique, ni mythologique, ce n’est pas non plus un morceau de nu. Il est intemporel.
Cette œuvre parle de la femme et de sa chevelure, le modèle du tableau fut sans doute le même pour les trois femmes ; Puvis changea un peu la nuance de la couleur des chevelures. Nous avons donc sous les yeux la même femme en trois positions différente et donc en trois moments différents et aussi en trois traits de caractère différents, prélude aux portraits d’un même personnage sous plusieurs aspects différents chers aux peintres symbolistes.
Composition
Une grande diagonale traverse la composition faite par la dune à gauche du tableau, la verticalité est donnée par le personnage principal du sujet, la jeune femme debout de dos ; les deux autres femmes, l’une allongée qui s’appuie sur le rocher et l’autre dont on ne voit que le torse font deux diagonales qui accompagnent le mouvement vertical qui donne au tableau sa structure et comme nous le verrons par la suite une perception de l’espace marin. L’horizontale est fait par la mer dont la ligne coupe la jeune femme à la hauteur des hanches.
Cette très grande toile précédée de nombreuses esquisses est remarquable par l’équilibre de sa composition harmonieuse.
On peut parler à son propos de composition rythmée ou musicale, caractéristique de l’art de Puvis décorateur.
Couleur, lumière
Une lumière diffuse et étale se répand sur toute la toile qui est très peu contrastée. On distingue très peu d’ombres. Ces figures sont intemporelles. La gamme colorée est restreinte à un camaïeu de blanc, ocre et bleu relevé d’un peu de vert grisâtre et de rose pâle à l’horizon. Si la plupart des critiques furent séduits par le tableau au Salon de 1879, l’un d’eux parla de « larve sans formes et sans couleurs ». Mais cette absence d’accents colorés s’accorde parfaitement à la muralité de l’œuvre.
Matière, forme
Cette peinture est mate, ce qui en accentue le caractère décoratif. C’est un aspect que rechercherons les Nabis, grands admirateurs de Puvis, dans les années 1890. La touche n’est pas apparente, c’est une peinture sans accents, sans heurts. Seules les taches blanches des fleurs d’ajoncs ponctuent le sable de la dune. Formes et poses des personnages restent héritières de la tradition classique. L’artiste recherche un effet planéité et donc de décor en ne modelant que très peu le corps des modèles. Toutes ces recherches caractéristiques du grand décor seront reprises dans les années 1890 par les peintres post-impressionnistes comme Seurat, Signac, les nabis et au XXe siècle par Pissarro.
L’impression qui se dégage de cette toile est celle d’un Eden paisible, harmonieux et poétique mais où règne une certaine tristesse.
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