Le yeux clos de Odilon Redon

Odilon Redon

Les yeux clos de Odilon Redon – Musée d’Orsay

Intériorité mélancolique

« J’ai su avec les yeux ouverts plus grandement sur les choses, que la vie que nous déployons peut aussi révéler de la joie. », cette pensée d’Odilon Redon n’est-elle pas une continuation d’un regard tourné vers l’intérieur ?

C’est une brune aux yeux clos. Tête inclinée, coupée à l’ossature de l’épaule, visage retranché, tourné à l’intérieur, cette dame diaphane rêve-t-elle face à la mer étale ? Parallèle étrange, qu’un jeu lumineux révèle dans la douce pâleur d’un brun et d’un bleu, posés en touches fines, presque transparentes. La composition met en lumière cette émergence du symbole.

1880 – 44 x 36 cm

Sujet

Ce visage émergeant de ce qui semble être de l’eau est peut-être celui de Mme Redon mais l’essentiel est dans la matérialisation de la figure inclinée, dans ces yeux clos du personnage replié sur sa vie intérieure, sur ses visions et ses rêves. Redon donne ici l’archétype même de l’image symboliste. Ce n’est pas le portrait physique qui importe, c’est le monde mental, celui des correspondances baudelairiennes et des poètes symbolistes.

C’est l’idée des yeux clos qui semble-t-il a dirigé la construction de cette toile ; on ne peut donc dire de cette œuvre qu’elle soit un portrait. Redon accordait un importance à cette idée d’yeux clos car il en fit plusieurs versions dans cette même disposition, dessins, pastels et estampes.

Est-ce la souffrance tue, le sommeil et le rêve, la mort, la vie intérieure ou tout cela ensemble que Redon a voulu faire apparaître, nous n’en savons rien, on sait seulement que Redon avait copié  la tête de L’Esclave mourant de Michel-Ange au Louvre à cette époque.

 

Composition

Le tableau est divisé en deux partie qui semblent complémentaires, le visage lui même et la partie basse du tableau limitée par une ligne qui coupe le personnage au dessous de l’épaule. Le personnages est légèrement de profil le visage tourné de notre côté, les yeux baisés et clos.

L’axe du visage est légèrement penché, mais la ligne de l’épaule est parallèle à cette ligne qui coupe la partie basse du tableau. Cette partie est d’une autre nature que le visage, on peut penser que le peintre a associer sans souci d’aucun réalisme deux éléments en apparence disparates pour les faire agir l’un sur l’autre et créer une émotion d’un type particulier.

Cette étendue plate qui ressemble à une étendue de sable mouillé au bord de la mer qu’on peut lire dans cette peinture comme une mer extrêmement étale et calme et dont la dernière vague s’avance sous la lumière du soleil qui la fait briller, cette courbe de lumière semble éclairer le visage mais compte tenu de la déréalisation des choses on peut aussi ressentir cette tache de lumière comme une projection ou une émanation de ce visage. Le vide immense qu’elle produit donne à ce visage une dimension  indéchiffrable, à la fois réelle et imaginée.

 

Couleur, lumière

Après une période essentiellement consacrée au travail du noir et du blanc à travers la pratique de la lithographie, Odilon Redon qui était aussi peintre découvre la couleur qui deviendra éclatante et primordiale dans ses pastels. Les yeux clos constituent une approche toute en nuances des pouvoirs suggestifs de la couleur. Coloris pâles, harmonieux, discrets.

Cette peinture est traitée en couches très fines et transparentes, à partir des couleurs de terre (ocre jaune, terre de sienne naturelle et terre d’ombre brûlée) auxquelles le peintre a ajouté un peu de blanc et bien sur le bleu qui entoure le visage. On ne sent la touche que dans l’éclat de lumière qui semble être reflétée par l’eau. Le jeu de la lumière comme cela a été dit plus haut est ambigu car c’est un jeu entre les deux éléments du tableau qui en fait l’expression, il ne s’agit pas ici de montrer une lumière réelle, mais d’exprimer un sentiment à caractère extatique par deux réalités associées ensemble : l’immensité plate et vide de l’océan et la sérénité d’un visage.

Odilon Redon utilise ici à la fois l’analogie, et pour la première fois une sorte d’assemblage qui n’est pas sans faire penser au collage ; ce symbolisme réduit à presque rien est d’une étonnante efficacité. Mais ceci est aussi du à la qualité magnifique de cette peinture dont l’harmonie de couleurs est d’une subtilité et d’une délicatesse qui doit beaucoup à un grand savoir quant à l’art de peindre du passé

 

Matière, forme

Odilon Redon était un grand pastelliste, cette matière très douce et lumineuse convenait sans doute à l’expression de sa lumière intérieure, et dans son travail à l’huile on sent l’influence de cette technique, car une partie importante de cette peinture est faite de très légers frottis qui laissent voir le grain de la toile en clair, irisant ainsi le sujet d’une trame qui éloigne visuellement le visage, l’estompant légèrement dématérialisant les ombres et faisant de la chevelure une matière douce, presque fumeuse à certains endroits.

Le visage décalé un peu sur la gauche du tableau donne à la partie droite du vide bleu une profondeur et un espace aérien que la lumière sur le visage renforce. L’impression de sommeil et de rêve que procure ce tableau donne le sentiment que le peintre a voulu nous communiquer une sorte de paysage intérieur, affirmant ainsi que chaque être humain est habité par un monde qui lui est propre.

Redon est un des principaux maîtres du symbolisme.

Extrait du travail préparatoire pour le CD-Rom Secrets d’Orsay

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