Libération de l’inconscient
« J’ai été impressionniste au début, mais à cause de mes brûlants conflits spirituels et existentiels, l’écriture impressionniste ne me suffisait plus. Il me fallait chercher une expression pour ce qui agitait mon esprit ». Quelle force pousse Munch à exprimer ce cri venu de l’intérieur ?
L’été scandinave ferme l’œil entre chien et loup. Crépuscule permanent où s’engouffrent les tourments. Coups de pinceau épais, clair-obscur du ciel, orange-rouge tranchés, c’est le temps des sentiments exacerbés. Qui oserait prendre un de ces deux sentiers ? En plein jour, ils mènent au bout de la nuit. Comment la couleur fait de ce tableau un paysage de l’âme ?
1904 – 99 cm x 103,5 cm
Sujet
Une nuit d’été à Aasgaardstrand, petit village côtier sur le fjord d’Oslo en Norvège où l’artiste se rendait fréquemment depuis 1888. Une de ces nuits sans obscurité où la lumière du Nord donne au paysage des allures fantomatiques. Munch aimait la nature, et aimait y vivre, il avait donc acquis une maison de bois dans une petite ville où il s’était installé un atelier. C’est une vue de cet endroit qui est ici représentée. Il s’agit sans doute du mur d’enceinte d’une grande propriété et c’est sans doute ce mur dont la partie supérieure est blanchi qui dut l’attirer car sa coloration dans la nuit sans nuit de l’été scandinave est particulière. Ce mur soutenu par une maçonnerie de grosses pierre est surmonté d’un groupe de grands arbres à la forme étrange.
Au bout de ce chemin qui fait une courbe entre une roche plate et un terrain herbeux qui touche le mur d’enceinte, une maison blanchie aussi au toit très rouge.
Un grand ciel de ce bleu léger et évanescent, sans réelle lumière, qu’il prend pendant ces nuits bizarres et parfois tout aussi déprimantes que ces jours d’hiver où le soleil ne se lève que très peu de temps et dans un autre crépuscule permanent.
Composition
Contrairement à ce que le sujet du tableau devrait appeler, cette peinture contient un agitation étonnante qui vient de la manière dont Munch l’a traitée. La grande diagonale qui coupe le tableau en deux parties presque égales construit l’espace ; elle est en opposition avec la ligne du chemin duquel on a le point de vue sur l’endroit ; à côté de ce mur un chemin qui monte vers cette maison, donne une allure plus naturelle à la perspective coupante que fait ce mur blanc. La verticale est donnée par les troncs des grands arbres, et le poteau blanc de l’angle du mur, ce tableau est construit presque entièrement sur des diagonales rythmées successivement jusqu’au mur et à la maison blanche du fond.
Couleur, lumière
Munch qui a vécu à la fin du siècle à Paris connaît toutes les tendances Européennes, il est à cheval sur les deux Héritages : le Français et l’allemand, il expose sa peinture à Berlin, et à Paris , il a de nombreuses attaches dans ces deux villes. Pourtant il ne s’est intégré à aucun courant ne cessant de construire sa peinture à partir des deux expériences, principalement celle des dernières générations Françaises du XIXe siècle (les impressionnistes, Gauguin, Lautrec, etc …) et celle des peintres allemands et autrichiens de la même époque.
Mais si il a vu les impressionnistes, la peinture de Friedrich, il a aussi regardé Goya qui sans doute fut un de ses grands inspirateurs, profondément valorisé par Manet et quelques autres, le maître Espagnol a beaucoup fasciné les peintres de cette génération aussi par sa liberté d’interprétation et surtout par le renouvellement qu’il apportait dans la manière de peindre, d’envisager le coup de pinceau dans le sens d’un exécution très vive, qui garde l’empreinte dans sa facture de toute la force du premier regard sur les choses.
Munch a des couleurs fortes et profondes ; la présence de l’orange dans ses toiles comme c’est le cas ici et de rouges orangés très intenses, sur les deux chemins fait chanter les verts sombres. A droite une tache d’un jaune vif joue avec la couleur du ciel, le rose jaune des murs qui aboutit au blanc absolu de la maison au fond, crée un univers de valeurs colorées très particulier qui dépasse toutes les expériences du XIXe siècle, ce tableau de 1904 est un des premiers tableaux qui échappent à l’atmosphère du siècle précédent.
Par l’audace de ses couleurs fortement contrastées, Munch annonce le fauvisme.
Matière, forme
Munch est un peintre moderne, il ne croit plus que les canons anciens puisse porter la sensibilité moderne il ne croit même plus aux genres; à la fin il deviendra une sorte très particulière de peintre autobiographique, sans doute le premier à s’aventurer après Van Gogh dans cette voie dont l’ancêtre est indubitablement Rembrandt. Ceci a fait un genre nouveau de tableaux. Et à nouveaux tableaux nouvelle manière. Sa matière si forte fut à l’image de cet homme beau et fort et qui surmonta tout.
Ces grands coups de pinceau larges, d’une grande élégance qui désignent la puissance de la peinture de Munch sont la matière de cette peinture, ce sont eux qui soutiennent les lignes de composition créant une harmonie et une matière proprement picturale au tableau.
Le centre du tableau ce sont ces grands arbres qui occupent la majeure partie du haut du tableau comme une immense chevelure verte à l’étrange visage de teintes brunâtres et au regard de mort. Sans doute Munch qui connaissait parfaitement cette lumière, y voyait une menace liée à la nature végétale.
Ce peintre avait conscience de la nature magique de l’art, la petite pyramide grise à proximité de la maison blanche le prouve; et le tournoiement qui habite ce tableau, pour qui sait le regarder est encore un cri dont on ne sait plus si c’est celui du monde ou celui d’un homme, Edvard Munch ou bien d’un autre encore ; cri d’angoisse devant cet objet incompréhensible pour la conscience moderne : Le monde.
Le vide du premier plan qui s’oppose à l’énorme masse de l’arbre crée une impression inquiétante de malaise, caractéristique de l’art de Munch, un des principaux représentants du mouvement impressionniste nordique.
Travail préparatoire au CD-Rom Secrets d’Orsay