La plage de Trouville, d’Eugène Boudin

Eugène Boudin

La plage de Trouville de Eugène Boudin – Musée d’Orsay

Un salon sur la plage

« Cette plage de Trouville qui naguère faisait mes délices n’a plus l’air à mon retour que d’une affreuse mascarade. Il faut presque du génie pour tirer parti de cette bande de fainéants poseurs. », Eugène Boudin ne semble plus très à l’aise avec ce petit monde parisien venu prendre l’air de la mer.

Paris-Trouville. Élégantes en crinolines, seules touches de couleurs vives, et messieurs guindés, tout en noir et haut de forme, jouissent du temps et de la Manche. Sous un ciel immense de brume et de gris, ce petit salon palpite avec la brise. Dossiers de chaises en désordre, parapluies inclinés dans tous les sens, drapeaux flottants, les bavardages citadins se mêlent au clapotis des vagues.

Comment la composition ordonne-t-elle cette fausse marine ?

1864 – 26 x 48 cm

Sujet

Cette petite esquisse acceptée en tant que telle au Salon de 1864 est un condensé de l’art de Boudin qui affectionnait tout particulièrement les pays de la Manche et Trouville en particulier dont il nous a laissé de nombreuses vues pittoresques et instantanées. Comme l’indiquent les costumes de tous ces gens fort habillés pour se livrer aux joies de la plage, c’est la haute société du Second Empire, habituée de la côte normande, que décrit l’artiste. La reine Victoria elle-même était venue visiter Trouville avec toute se suite en 1863.

Boudin a été le premier professeur de Monet qui est venu peindre à ses côtés sur les plages normandes (L’Hôtel des Roches Noires, La Terrasse à Sainte Adresse), premiers chefs d’œuvres de l’impressionnisme.

Boudin , « le peintre des états de l’atmosphère selon le lieu, l’heure et le vent » comme le définissait Baudelaire, est unique ; il est vrai, malgré sa modestie, il est le véritable inspirateur de l’impressionnisme. Il y a peu de peintres aussi charmants qui ne soient tombés dans la superficialité, Boudin peint ce qu’il aime et rien de plus, mais il connaît la peinture comme personne et dans ses petites œuvres on retrouve la trace du passé, celle de Poussin, celle de Watteau, celle des hollandais et flamands bien sûr, moins celle des italiens mais c’est un normand comme Nicolas Poussin et comme lui passionné par le ciel et la lumière inoubliable de la Normandie.

« La plage de Trouville » est un bijou de peinture, car Boudin ne néglige rien, tout est là, la nature, telle qu’elle est maintenant à cette heure là, les gens, et la relation qu’ils entretiennent avec toutes ces belles choses du bord de mer, l’air, l’eau, le vent, le sable et bien sûr le ciel comme un grand siège, celui de la lumière. Voilà le sujet de Boudin, finalement si on regarde de près c’est beaucoup.

 

Composition

Le ciel qui diffuse la lumière, véritable sujet du tableau, occupe les trois quarts de l’œuvre. Les horizontales de la plage et de la mer sont calées par les verticales de mâts, des cabines blanches et des dossiers de chaises.

Ce tableau est en quelque sorte une fausse marine, car on y voit très peu de mer, un petit bout sur la gauche du tableau, où d’ailleurs on ne sait pas trop bien ce qui s’y passe, mais il s’y passe quelque chose puisque tout le monde est réuni là pour regarder.

L’horizon dans ce tableau est fait par l’homme, ce sont les « gens » au bord de la mer que Boudin veut peindre ; ils forment une barre horizontale bien mouvementée, aussi agitée que les flots au soleil.

Un coteau à gauche qui sans doute se termine par une falaise ; un peu de vert là-bas, un chemin qui grimpe le coteau et surtout une belle et sans doute vieille maison aux deux toits qui désignent le manoir, et à coté collé semble-t-il, une maison blanche. Elle était là dans le champ de vision que le peintre avait choisi ce jour là, elle aussi regarde la mer.

Une série d’horizontales organise cet espace, il est totalement atmosphérique sauf sur un plan, celui du sable mais ces minuscules grains qui font une surface si particulière et si belle ne ressemblent ils pas à l’air ?

Couleur, lumière

Cette toile ne fait pas 50 centimètres de long et il y a foule, petite foule pour sans doute un petit événement.

La lumière habite tout, car ces gens venus voir le spectacle de la mer ont été imprégnés de vent, d’embruns, d’odeur marine ,ils sont ivres de soleil et de ciel, ils sont suffisamment dedans pour que Boudin en fasse un paysage.

Cette lumière normande si douce parfois, rend toute chose sur laquelle elle se couche presque aussi belle qu’elle-même, et les robes de ce temps, les crinolines volent dans ce tableau de droite et de gauche au gré du vent dans l’ombre bleue, dans le soleil où ce jeune homme qui ne fait pas plus de cinq centimètres dans le tableau a l’air de déployer tout son charme au profit d’une belle créature à robe beige, ornée d’une grande décoration rouge.

Ce n’est pas une débauche de couleurs, quelques notes de ci, de là, un vert , un rouge un bleu et beaucoup d’ocre de gris et de rose, les hommes sont en noirs, heureusement pour les peintres il y a les femmes.

Quelques touches de couleurs vives savamment placées.

Matière, forme

Toute la matière de ce tableau est le produit de la lumière et de la vibration qu’elle donne à l’atmosphère.

Qu’il s’agisse du sable, des tentes blanches, de la robe dont nous parlions plus haut, de la mer, de l’ombre faite par les parasols, le coup de pinceau de Boudin obéit à la lumière ; il trouvait, lui, son trait grêle ainsi que sa manière de poser la couleur ; pourtant l’harmonie dans ce tableau est étonnante car le peintre semble peindre avec le rythme du vent mêlé à celui de la mer, la peinture n’est pas forcée, elle est juste ; il ne laisse pas la pâte l’envahir, ni la légèreté de cette lumière délaver les tons et faire de la surface du tableau un écran à percer, un miroitement à traverser comme c’est souvent le cas chez Berthe Morisot par exemple. L

’espace de sable est une étendue, il ne néglige rien, prend chaque chose au sérieux simplement parce qu’elle est là. Des enfants jouent, un petit chien noir que ça intéresse s’est approché, un grand roux tend son museau.

On pourrait ainsi détailler les conversations de tous ces gens, hommes et femmes assis sur de belles chaises en bois, chaque petit événement est vrai très bien observé pris aussi dans cette matière où Boudin cache son ambition, atteindre à la beauté de la perle, ce bijou venu de la mer.

Cette petite esquisse est une très savante pochade. Il ne faut pas oublier que Boudin était un très grand maître de l’aquarelle dont il a laissé d’innombrables carnets.

1 comment for “La plage de Trouville, d’Eugène Boudin

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.