Reflets d’un instant suspendu
« Sisley est un paysagiste de grand talent. Ses inondations à Port Marly sont larges, très fines de ton. Il y a là, je le répète, une manifestation très curieuse », partagez-vous l’enthousiasme de Zola ?
C’est un événement historique : la crue de la Seine en 1876. Miroitement de la boutique ocre de Monsieur Lefranc dans des eaux plus claires. La lumière fait la pluie et le beau temps. Entre le ciel nuageux et son reflet azuré, l’orage est passé et le soleil pointe. L’instant perdure. Comment la luminosité ordonne-t-elle cette déclinaison du temps par tous les temps ? À vous de le comprendre dès maintenant…
1876 – 60 x 81 cm
Sujet
Il existe deux versions de ce tableau dont l’autre est La barque pendant l’inondation également de 1876. Toutes deux ont appartenu au comte Isaac de Camondo qui les légua au Louvre en 1908. On peut donc les considérer comme une paire.
On a dit de Sisley qu’il était un satellite de Claude Monet, Certes ce peintre a sans doute été très impressionné par la personnalité et l’art de Monet, mais il n’en demeure pas moins un peintre plus personnel qu’il n’y paraît. Il est parfois évident à qui sait regarder la peinture, que Sisley a presque toujours un charme, un sens du merveilleux dans le banal qui n’est pas le propre de Monet qui lui cherche l’illumination solaire sous toutes ses formes possible. Sisley, plus modeste c’est vrai, n’est pas un homme de l’instant mais du moment et même peut-on dire de la durée, ce n’est pas rien.
On a vu, ou on a voulu ne voir que la manière de Sisley qui c’est vrai est parente de celle de Monet, mais l’esprit et l’objectif de ce peintre ne se situe pas à la même place et parfois on peut dire que l’émotion et le charme dépasse, grâce aussi à cette modestie du style, certaines des œuvres du même type de Monet. C’est, on peut le penser, le cas de ce tableau-ci.
Le sujet est un événement : l’inondation catastrophique due au débordement de la Seine à Port Marly en 1876, c’est un portrait de la boutique de Monsieur Lefranc, marchand de vin, prise dans les eaux, vue de la rue de Paris qui longe la Seine.
Composition
Sisley que ce grand vide créé par l’eau intéressait, a construit son tableau sur un angle droit, l’horizontale de l’eau, et la verticale massive de cette vieille maison entre les deux le vide, quelques arbres sans feuillage, une autre verticale, le poteau télégraphique; nous sommes à la fin de l’hiver ; le printemps commence à se manifester.
La part la plus importante du tableau, le ciel l’occupe de sa masse nuageuse. L’éloignement est crée par les trois zones repérables: le groupe d’arbre et les poteaux,
La maison, et au fond l’autre groupe d’arbres, enfin une rangée de bâtiments qui ferment l’horizon, c’est une perspective atmosphérique.
Couleur, lumière
Toute l’émotion que provoque ce tableau vient de la lumière, de tous ce que fit Sisley de cet événement, c’est le meilleur (c’est peut-être le premier). Ce ciel gris bleu à nuances roses, est ponctué de trouées de bleu, où l’azur printanier perce le mauvais temps. L’idée, simple mais merveilleuse réside dans le jeu de lumière entre le ciel presque couvert et le reflet dans l’eau qui est celui d’un ciel découvert ce qui est derrière et au dessus de nous n’est pas pareil que ce que nous voyons dans notre champ de vision.
La magnifique étendue de vert Veronèse qui occupe la moitié basse du tableau en grande partie, est une déformation légère de la couleur de l’azur d’une partie du ciel que le vent, très présent dans le tableau, a dégagé et qui est au dessus du champ de vision que le peintre a circonscrit intentionnellement dans son tableau.
Cette maison ancienne, du marchand de vin, reçoit deux lumières celle du jour ambiant, et celle renvoyée par la nappe d’eau qui l’entoure ; Sisley, et on voit là la main d’un grand maître, a parfaitement unifié tout ce jeu de lumières, et a communiqué au tableau non seulement une lumière complexe, mais aussi cet éclat bouleversant de la ville dans l’eau qui fait une des raisons de la beau té extraordinaire de Venise.
Matière, forme
Ce miroitement hypnotique de l’eau, Sisley le porte « à l’étage de la poésie » et ceci par l’art de peindre, en le laissant apparaître et prendre une importance qu’avant les impressionnistes il n’avait jamais eu. Pour ces peintres le style se déplace des formes à la peinture elle-même ; car ce n’est pas le début de la scène de genre à la fin du 19ème siècle, cette « histoire » du sujet commence au XVIIe siècle avec les Hollandais que Sisley connaissait fort bien.
Cette maison de ce siècle n’est peut-être pas un hasard car on peu voir dans cette recherche concernant un moment de la lumière exceptionnel, l’ombre d’un Ruysdael.
La touche de Sisley qu’on dit trop proche de celle de Monet a un avantage par rapport à ce dernier, elle se fait plus discrète et anonymise l’art de Sisley, le rendant peut-être plus secret que celui de Monet et plus nostalgique. Sisley, semble-t-il, cherche à fondre son regard dans la chose vue et sa lumière, et dans ce tableau l’impression que ce ciel est un passé de pluie, que le soleil va venir, que l’instant suspendu du tableau est entre l’événement passé : la pluie, et l’événement à venir : le soleil.
Cette situation météorologique réunit toute la perception y compris celle du temps, chose qu’on avait plus vu depuis les compositions hollandaise de Pieter de Hoogh ou de Johannes Vermeer.
Cette toile a figuré à la deuxième exposition impressionniste en 1876 avec sept autres paysages de Sisley.