Les expositions universelles, c’était avant la télé : on se montrait « en live ».
Les expositions universelles servent à promouvoir les nouveaux produits industriels au temps de la libre concurrence. Groupe par groupe, un jury tranche et distribue les récompenses. La culture industrielle en France a besoin d’être exaltée, vulgarisée.
On peut lire sur les frontons : « Honneur à l’industrie, Gloire aux Beaux-Arts » (1855). Ainsi espère-t-on réaliser un consensus social et politique. Le patronat chrétien présente les réalisations du patronage, cher à Le Play. « Plus de discordes, plus de haines, et plus de révolutions! » chante-t-on en 1878.
Et en 1900, les villes communient dans le culte de la France républicaine. « Que j’aime à voir autour de cette table, le verre en main, faisant bombance, les 22 222 maires de France… »
On habille cette compétition internationale économique des voiles du progrès social et de la foi dans sa civilisation. La Grande-Bretagne et la France se partagent l’initiative des premières expositions, d’où l’alternance dans les lieux d’exposition : 1851, Londres (l’Angleterre victorienne et libre-échangiste a les honneurs de la première), 1855, Paris, 1862 Londres, 1867, Paris, puis peu à peu l’optique d’universalité progresse : Vienne (1873), Philadelphie (1876), Chicago (1893), Bruxelles (1897), Turin (1902).
L’exposition terminée, on garde parfois un bâtiment d’exposition, preuve de la capacité du monde industriel à imaginer ses propres cathédrales.
Mais peu à peu, l’engouement pour les Expositions universelles disparaît en France comme aux Etats-Unis. Finies les vertus pédagogiques, il convient maintenant de distraire, d’amuser le public. Vive la fée électricité! Tous aux diaporamas! Tous à la grande roue! L’exotisme remplace l’humanisme. Le temps des grandes expos s’achève.
1851 La première de toutes, l’Exposition Universelle de Londres, l’avance technologique dans tous ses états
Son Altesse royale, le prince Albert, qui veut travailler à l’unité de l’humanité, favorise la promotion de la première Exposition universelle, « exposition de la production industrielle de toutes les nations » mais surtout affirmation de l’avance technologique du Royaume-Uni et vitrine de l’art de l’ingénieur qui fait la grandeur de l’ère victorienne. Cet art s’exprime jusque dans le choix du style des bâtiments principaux : un système d’unités modulaires préfabriquées et standardisées en fonte, verre et bois : une idée simple et ingénieuse mise au point en une semaine par un constructeur de serres, Joseph Paxton, un des premiers exemples de préfabrication à grande échelle dont le célèbre Crystal Palace reste un symbole.
De ce gigantesque bazar et de ce lieu de rassemblements de tous les produits de la terre, Flaubert qui suit jusqu’à Londres le « cotillon de sa mère » -ce que sa muse ne manque pas de lui reprocher- ne retiendra que les paravents de Chine à l’exotisme pittoresque et le palanquin à l’éléphant indien, ignorant superbement tous les échantillons de matières premières et les superbes machines-outils dont il ne soupçonne apparemment pas l’importance pour le siècle.
1855 : Première Exposition universelle à Paris
15 mai 1855, il pleut, il fait froid. Devant des étalages encore incomplets, parfois vides, l’Empereur accompagné du prince Napoléon, président de la Commission impériale de l’Exposition, inaugure la première Exposition universelle à Paris.
On a voulu faire mieux que Londres ! Bien sûr, le Palais de l’Industrie est loin de rivaliser avec le Crystal Palace, et il a été conçu trop petit.
Bien sûr, à cause du choléra et de la guerre de Crimée, les temps ne sont guère favorables. Bien sûr, on voit encore beaucoup d’artisanat : tissus, poteries, orfèvreries, beaucoup de matières premières envoyées par nos « colonies » et bien peu de technologie et de machinisme.
Et pourtant, c’est un succès ; en six mois, 500 000 provinciaux et étrangers viennent au Palais de l’Industrie.
La présence des Beaux-Arts, absents de la première Exposition universelle de Londres, ajoute encore à cette « belle exposition, si variée dans ses éléments, si inquiétante par sa variété, si déroutante pour la pédagogie », ainsi que la voit Baudelaire.
11 millions de visiteurs à l’Exposition universelle de 1867
Georges Ier de Grèce, Léopold II de Belgique, le prince Frédéric de Prusse et son fils le futur Guillaume II, Alexandre II, tsar de toutes les Russies et son fils, le futur Alexandre III, Guillaume Ier, le roi de Prusse et son chancelier Bismarck, François-Joseph, l’empereur d’Autriche … le sultan de Turquie ; toute l’Europe est là. C’est un succès pour Napoléon III, le bouquet final de l’Empire avant la chute.
« L’exposition de 1867 marquera, je l’espère, une nouvelle ère d’harmonie et de progrès : assuré que la providence bénit les efforts de tous ceux qui, comme nous, veulent le bien, je crois au triomphe définitif des grands principes de morale et de justice qui, en satisfaisant toutes les aspirations légitimes, peuvent seuls consolider les trônes, élever les peuples et anoblir l’humanité » -Napoléon III –
Tout le monde a pu admirer le Palais de l’Industrie, conçu pour symboliser les grandes transformations scientifiques et techniques : les Français peuvent y voir les canons Krupp qui permettront à l’Allemagne de vaincre en 1870 et de parvenir à sceller son unité.
1876, la première Exposition universelle aux États-Unis, une exposition pédagogique
L’exposition de Philadelphie, ouverte le 10 mai 1876, a pour les Etats-Unis un intérêt national : c’est le jour du centenaire de son indépendance.
Placée sous les auspices du gouvernement, l’Exposition universelle, à beaucoup d’égards, semblable à d’autres, met l’accent sur les progrès de l’éducation et des sciences ; les États-Unis ont voulu montrer ainsi que la valeur de l’homme fait la richesse et la puissance d’un peuple.
Les exposants étrangers, eux, en affichant leur prix de revient signifient aux Américains que leurs tarifs douaniers font peser sur eux des charges souvent prohibitives.
1878, Marianne dans ses meubles
« La science a pris définitivement possession de la direction de tout le travail… Il n’y a plus de supériorité ou de sécurité que par elle. Dans la société, telle que les siècles, les révolutions et la liberté nous l’ont faite, il n’est plus permis d’ignorer, il n’est plus possible de s’arrêter, il faut courir ou mourir ! » -Jules Simon-
Jamais exposition n’a été si complètement universelle : une série de décrets successifs ont étendu son cadre déjà vaste :
– adjonction d’une exposition universelle des beaux-arts au concours industriel,
– concours temporaire de lait, beurre et fromages,
– exposition ethnographique, archéologique et anthropologique,
– exposition rétrospective de l’art ancien,
– collection de portraits historiques de toute époque,
– exposition des eaux minérales,
– exposition des ports de commerce français,
– pavillon de dégustation des vins de France,
– série de concerts.
Gloire au progrès ! Gloire à la République qui le soutient et l’expose ! Huit ans après la défaite, cette grande célébration qu’est l’Exposition universelle de 1878 rassure les Français.
« Quelle clarté ? La clarté de la France. La France a une façon d’être vaincue qui la laisse victorieuse. » – Victor Hugo –
Les voitures à chevaux équipés de bandes de caoutchouc, le Frigorifique, bateau aménagé pour le transport des viandes, le téléphone de Bell, la machine à écrire, le phonographe d’Edison, le broyeur pour blé de Touffin, la machine à vapeur pour fabriquer de la glace, enfin, tout l’Extrême-Orient, la rue des Nations et le Palais du Trocadéro et ses salles de spectacle, telles sont les surprises qui attendent les visiteurs.
Certes, parmi les exposants, l’Allemagne, la Turquie et le Mexique qui ont laissé quelques mauvais souvenirs dans le cœur des Français, sont absents…mais on inaugure la statue de la République devant le pavillon du Champ de mars le 14 juillet et on visite la tête de la statue de la Liberté qui va partir pour les Etats-Unis : ce sont des symboles.
« La France est un éblouissement pour le monde. » -Gambetta-
1889, De l’acier en or: la Tour Eiffel
Le Champ de Mars – l’Esplanade des Invalides – Le Jardin du Trocadéro – sous le signe du fer et de la céramique. Deux vedettes, la galerie des machines, la Tour Eiffel.
Les pavillons sont très surchargés, le style très lourd mais tout concourt à figurer le comble de la nouveauté : « Le plâtre, le moellon, la brique ne dissimulent plus, sous un mensonger décor, le fer ou la fonte… Les staffs, les faïences, les terres cuites, les laves émaillées, les briques vernissées, les zincs laqués, les mosaïques chatoyantes, les enduits coloriés, les verres flamboyants, toute la vaillante palette de la polychromie architectonique réjouit la vue, miroite sous le soleil et chante le triomphe de l’esprit français, de la gaieté gauloise, du rationalisme sur une morne et préhistorique scolastique ».
– L’architecte journaliste Franz Jourdain dans L’Illustration-
Le succès est immense : 30 millions de visiteurs ; la société chargée de l’exploitation sera financièrement bénéficiaire en 1889.
Une tour qui fera le tour du monde
« C’est hideux »; « c’est grandiose », « écrivons une lettre de protestation », « vive le prestige de la France ! » « Là voilà, cette Tour Eiffel qui a suscité tant de colères et d’enthousiasme. Elle est arrivée à la date fixée, à son heure, mathématiquement implacable comme la destinée et sa tête orgueilleuse sur laquelle flotte le drapeau tricolore, semble convier à son apothéose les peuples du monde entier qui, depuis de longs mois, répètent à satiété et avec une sorte d’admiration religieuse le nom de la divinité nouvelle… » -Franz Jourdain, L’Illustration du 4 mai 1889-
300 mètres de haut, 7 mille tonnes d’acier, l’œuvre de l’architecte Gustave Eiffel est l’édifice le plus haut du monde, un succès pour celui qui a déjà fait construire le grand pont de Bordeaux, le pont de chemin de fer sur le Duoro, le viaduc de Garabit ; ce « blasphème triomphant de tous les dogmes de l’architecture et de la beauté » a coûté 7 400 000 francs et rapportera, dans la seule année 1889, 6 000 000 à la société d’exploitation.
Indépendamment de l’attrait et du cachet monumental que présente cette tour, on lui imagine les emplois les plus variés : observations stratégiques, communication par télégraphie optique, observations météorologiques et astronomiques, éclairage électrique, etc.
1900 : Un siècle de progrès scientifique et technique…et le métropolitain
« On l’a vue se construire, au coin de la Concorde, la grande porte, la monumentale. Elle était si délicate, tellement ouvragée, en gaufrerie, en fanfreluches, du haut en bas, qu’on aurait dit une montagne en robe de mariée … A la place de la Concorde, on a été vraiment pompés a l’intérieur par la bousculade. On s’est retrouvés ahuris dans la galerie des machines, une vraie catastrophe en suspens dans une cathédrale transparente en petites verrières jusqu’au ciel. Tellement le boucan était immense que mon père, on l’entendait plus et pourtant il s’égosillait… A la fin, on n’y tenait plus, on a pris peur, on est sortis … ». Mort à Crédit L.F. Céline
Le bilan de tout un siècle de progrès scientifique et technique, l’espoir d’une ère nouvelle, mais peut-être un peu l’oubli de l’homme : l’exposition exprime tout cela.
Elle laisse à la mémoire du monde, des éléments d’architecture (le Pont Alexandre III, la gare d’Orsay, le Petit et le Grand Palais), la rénovation de la gare Saint-Lazare et la gare de Lyon, le souvenir d’un grand succès commercial, l’apogée de l’histoire des expositions universelles françaises : la chronophotographie, le trottoir roulant, la galerie des machines, le palais de l’électricité, le cinématographe…
ET LE MÉTROPOLITAIN
L’orientalisme délirant de l’Exposition universelle dresse ses pseudo-minarets sur les bords de la Seine, il fait 38 degrés à l’ombre sur les Champs-Elysées.
Soudain, un bruit se répand :le métropolitain fonctionne et il y fait délicieusement frais.
– « Le tunnel ne va-t-il pas s’effondrer ? »
– « Y a-t-il des risques d’asphyxie ? »
– « Non, la traction est électrique. »
– « Ah ! bon. »
– « Et si un malotru venait s’asseoir en face de moi ! »
Station Maillot, le public ne se bouscule pas : le préfet Lépine a souhaité inaugurer la ligne N°1 avec la plus grande discrétion : « s’il y avait trop de monde dans ce lieu dont on n’est pas très sûr… », on tourne autour de l’entrée, on entre, on se penche avec précaution pour voir le fameux rail électrique.
« En voiture, Mesdames et Messieurs. »
Le métro, enfin ! Son odeur bien particulière, ses mœurs vite adoptées, son succès vite assuré malgré la discrétion de l’ouverture : il marque plus les Parisiens que l’Exposition universelle elle-même .
Et pourtant, combien laborieuse fut cette révolution dans les transports parisiens : Depuis la première idée d’Eugène Flachat en 1853 : » débarrasser le centre de Paris de ces charrettes qui l’obstruent », depuis le génial projet de Le Hir en 1855 : « mettre à la disposition des habitants de Paris des moyens de transports toujours prêts, et les rendre accessibles aux ouvriers qui logent aux extrémités de Paris ou de la banlieue et que leurs travaux appellent chaque jour dans l’intérieur de la Ville », que de projets délirants, monstrueux, inadéquats, que de tergiversations, de compromissions, de concussions, de rivalités, entre la ville de Paris et l’Etat, entre les partisans de l’aérien et du souterrain, que de défense de privilèges : ceux de la Compagnie générale des omnibus, ceux des cochers, ceux des….
Toutes ces raisons expliquent pourquoi Londres a son métro depuis 1862, Philadelphie depuis 1863 et pourquoi il faut attendre le 9 juillet 1897 pour que soit accepté et voté l’avant-projet de métro parisien de Fulgence Bienvenüe.