Après l’amour
« A l’instant où on dit qu’on est heureux, on ne l’est plus. », cette remarque de Pierre Bonnard me semble être toujours aussi pertinente.
S’agit-il d’un autoportrait avec sa compagne Marthe ou d’une introspection ? Espace scindé en deux par un paravent ou une psyché ? La solitude s’empare des amants. Verticalité cloisonnante ou réfléchissante ? La femme garde une position sensuelle dans la lumière du jour, l’homme s’efface dans l’ombre bleutée.
Comment la composition intensifie ce sentiment de mélancolie après l’union ?
Sujet
Scène d’intérieur intimiste, un couple nu, la femme est assise sur le lit et l’homme se rhabille. Il tient un tissu (sans doute un vêtement) comme si c’était un rideau pour chercher à se cacher d’un regard. Après l’amour.
Cette scène entrevue, fugitive nous donne à voir un de ces instants où la vérité d’un tableau peut exister.
Deux petits chats jouent avec la femme à gauche traduisant la sensualité féminine.
Le tableau est divisé en deux parties: à gauche, la scène est ensoleillée et charmante, mélange de sensualité féminine et d’animalité ludique; à droite, la scène est sombre, le caractère charnel de la présence masculine est absent.
Le spectateur voit la scène à travers le miroir qui est indiqué sur le plan de la toile. Le spectateur, c’est le miroir qui nous fait comprendre notre intimité avec l’autre.
L’homme regarde le miroir et donc le reflet de la scène que nous voyons. Il voit par conséquent la femme reflétée et son propre reflet.
Chacun réinvestit sa solitude. Ce tableau dans le tableau a quelque chose de dramatique.
L’homme à droite pourrait être le peintre. Dans ce cas, il faudrait comprendre que la peinture est un moyen de passer à travers ce cloisonnement et d’atteindre l’autre. Peindre, c’est une façon de s’emparer de l’instrument du miroir.
La peinture sauve le peintre de la perte de volupté.
Lumière
Une source de lumière à gauche, le Soleil qui entre par la fenêtre.
La femme est dans la lumière. Le personnage masculin dont la stature maigre et osseuse est plongée dans une ombre légère renforce le sentiment d’une certaine détresse. Cette zone d’ombre amorce l’impression que le personnage masculin commence à disparaître du tableau.
La forme du miroir est dans l’obscurité
La scène est plongée dans un contraste clair-obscur avec un fond plus lumineux.
Couleur
couleur grenat de l’armoire, couleur grenat de l’ombre de l’homme qui se fond ainsi dans le décor en arrière plan.
L’ombre est une disparition.
Composition
La composition s’appuie presque entièrement sur le rectangle: l’armoire, le miroir central, le tableau au mur et l’homme sont inscrits dans un rectangle. En avant plan, l’homme, en arrière plan la femme.
L’homme est découpé par le bord de la toile.
Ce cadrage photographique est fréquent chez Bonnard qui utilise la photographie pour peindre.
La femme s’inscrit dans une pyramide et l’homme dans un rectangle vertical.
la scène est vue dans un miroir dont le cadre forme le bord du tableau.
Au centre du tableau, la ligne directrice d’un paravent ou une psyché coupe la scène en deux et est parallèle à l’autre ligne directrice verticale, les jambes de l’homme. Les personnages se cachent l’un de l’autre.
La forme rectangulaire que l’on aperçoit à gauche est un miroir, qui renvoie face à face homme et femme renforçant l’idée de séparation.
Sur la surface de la toile, il existe un lien entre le tableau et la tête de la femme renforçant le contraste d’échelle entre les deux personnage.
Matière, Forme
La matière est épaisse.
La touche filée renforce la longueur, la maigreur et le côté osseux de l’homme, nous donnant un sentiment de détresse.
La touche « ronde » pour le corps de la femme lui donne un côté doux et duveteux comme le chat.
La femme est mélancolique, pas tragique.
Les deux présences sont antagonistes.