Prétexte antique pour une scène érotique
Tepidarium; salle où les femmes de Pompée venaient se reposer et se sécher en sortant du bain.
« Ce palimpseste de la civilisation antique est si merveilleusement remis au jour par Théodore Chassériau », quel hommage en grande pompe de Théophile Gautier.
Delirium érotique ou summum antique ? Entre le caldarium et le frigidarium, des splendeurs s’abandonnent dans de légers péplums. Sous cette vaste voûte, le déhanchement touche à son maximum. A cette fièvre des corps, voilés de rouge et de vert, sans grand décorum, la perspective céleste lance un ultimatum. Comment la composition orchestre-t-elle ce capharnaüm des sens ?
1853 – 171 x 258 cm
Sujet
La découverte ses sites de Pompéi et Herculanum en Italie du sud au milieu du XVIIIe siècle a fourni aux peintres nombre de sujets de peintures d’histoire et de scènes de genre illustrant la vie quotidienne des Romains de l’Antiquité. Le cadre du Tepidarium reproduit une des salles d’un bain public mis à jour à Pompéi en 1828 et publié l’année suivante. La description de la voûte est minutieuse.
Héritier du néoclassicisme, Chassériau qui est allé à Rome et dans la baie de Naples en 1840-1841 s’inspire de la Rome antique. Mais on se croirait ici dans un scène de harem orientaliste telles celles que Delacroix peint au retour du Maroc.
Chassériau est ici l’héritier de la ligne d’Ingres mais son tempérament romantique le porte vers la couleur.
Chassériau fut l’élève de Ingres qui ne lui pardonna jamais son ralliement au romantisme et donc à Delacroix. Il est évident que le romantisme correspondait au tempérament du jeune homme, il y a de la mesure certes mais aussi beaucoup de fougue, on la voit ici dans le Tepidarium.
Les fouilles de Pompéi étaient fort à la mode et les sujets antiques pullulaient dans la peinture. Chassériau n’échappe pas à la mode, mais il en profite pour un petit détournement passionnel : il multiplie l’image de la femme qu’il aime, une actrice célèbre pour son talent et sa beauté, Alice Ozy. Cette femme représentait aussi pour Chassériau une sorte d’idéal de beauté et à y regarder attentivement, la femme brune du tepidarium si elle ressemble bien à Melle Ozy, le portrait magnifique que Chassériau fit de Melle Cabarrus petit fille de la très belle Madame Tallien lui ressemble aussi, ainsi que la femme de la baigneuse endormie.
Le tepidarium était un endroit annexe des bains des femmes, où ces dernières se séchaient. Une grande vasque de bronze, ou de fonte de fer remplie de braises desséchait l’atmosphère. Endroit réservé aux femmes il est un sujet de prédilection pour un peintre sur tout que l’époque est friande de ce genre d’étalage de corps féminins et de drapés de toutes les couleurs.
Le sujet est à la fois prétexte à représenter une scène de l’Antiquité et une série de nus féminins alanguis d’où se dégage un érotisme certain.
Composition
La composition est presque symétrique. Cependant l’artiste décale légèrement son sujet, relevant un peu la travée gauche du mur par rapport à celle de droite, et donc de quelques centimètres la place de l’ouverture arrondie en haut du tableau.
Cette perspective est classique et très présente, désignée dans l’architecture en haut comme au sol dans le dessin du dallage. Elle n’a pas comme nous le verrons qu’un rôle de définition spatial, elle sert aussi de caisse de résonance. Il y a deux groupes de personnages ceux qui sont au centre et ceux qui sont autour, les deux femmes du centre sont le vrai sujet du tableau, toutes les autres forment un commentaire qui ressemblerait un peu à un public. Le geste des bras de la femme brune orchestre la scène, de ses deux mains elle désigne d’une part la lumière et le ciel (l’ouverture dans la paroi de la voûte) son autre main qui tient aussi le châle semble prête à applaudir, nous sommes semble-t-il sur un scène de théâtre. Les deux cotés sont disposés comme des ailes sur deux diagonales qui rayonnent de part et d’autre des deux jeunes femmes au centre du tableau qui sont elles décalées du centre vers la gauche laissant à droite un vide qui mène au foyer incandescent.
Couleur, lumière
On peut supposer qu’il y ait une autre ouverture sur le ciel juste au dessus de la scène, car la lumière tombe directement du haut sur les personnages, n’éclairant qu’une partie de ce grand trapèze, comme un éclairage de scène. Cet éclairage donne à cette peinture un caractère narratif où les mains jouent un rôle déterminant. La jeune femme rousse assise de dos tend la main droite comme si elle voulait toucher ce corps nu, un autre femme en rouge sur la droite tend ses mains comme pour les sécher vers la braise, elles sont à l’intérieur d’un rose incandescent , un femme en vert a la main qui touche presque le dos de sa voisine, presque complètement nue et qui ressemble étrangement à la brune du centre. Il semble donc que Chassériau ait fait circuler une caresse dans son tableau dont le point de départ est au centre dans le geste de la jeune femme rousse. Ce tableau décrit un univers exclusivement féminin, Chassériau n’a pas accordé d’importance qu’au corps de la femme, le vêtement est aussi fort important dans cette mise en scène, et les couleurs significatives qu’il accorde à chaque femme sont l’occasion d’une débauche de couleurs qui s’allient aux couleurs de peau. Les verts, les roses, les jaunes, les bleus et bien d’autres teintes intermédiaires circulent dans le tableau créant une sorte de rumeur colorée dont on ne sait si le peintre n’a pas voulu faire l’équivalent d’une rumeur sonore. La voûte de la salle en serait la caisse de résonance.
Matière, forme
Chassériau est un romantique formé par Ingres ce qui est le comble de l’opposition à cette époque ; la présence de l’art de Delacroix est évidente dans sa manière. La matière lisse et la netteté du dessin traduisent l’élève d’Ingres mais la variété du coloris et l’atmosphère orientale sont celles de Delacroix. Les formes restent classiques, la pose de la femme en rose à gauche et de sa compagne assise sur sa droite évoque Poussin. Dans le Tepidarium, Chassériau semble réconcilier les deux « écoles rivales du dessin et de la couleur ».
Beaucoup de choses sont dites grâce à ce langage inventé par Les peintres de la renaissance et complètement renouvelé par les romantiques., après avoir traversé le XVIIe. Beaucoup de choses ici sur le féminin que Chassériau montre selon le désir des hommes, toute les femmes mais qui, si on entre dans le langage montre avec une ironie piquante que le monde des femmes obéit à l’ordre des femmes.
Extrait du travail réalisé pour le CD-Rom Apprendre à Voir