Les raboteurs de parquet, Gustave Caillebotte

Réalisme photographique au temps des impressionnistes

Les raboteurs de parquet, Gustave Caillebotte - Musée d'Orsay-

Les raboteurs de parquet, Gustave Caillebotte – Musée d’Orsay-

Les Raboteurs de parquet, Gustave Caillebotte, 1875

Dimensions :102 x 146,5 cm

« Monsieur Caillebotte a des raboteurs de parquets, c’est là de la peinture bien anti-artistique, une peinture propre, une glace, bourgeoise à force d’exactitude. le décalque de la vérité sans l’impression originale du peintre. », je dois reconnaître que Zola n’a pas toujours la critique tendre.

Ça ne glane pas là, ça rabote dur. Plongée vertigineuse sur ces dos courbés et lumineux, tendus dans un effort collectif : l’un varlope, l’autre racle, le dernier lime. Une perspective : les lames du plancher ; un point de fuite : invisible ; un horizon : droit dans le mur pour ces visages en contre-jour, claquemurés dans cet espace de labeur. Comment la lumière nous éclaire-t-elle sur la réalité du travail urbain ?

Le sujet

Le sujet du tableau, image réaliste et prosaïque du travail manuel en ville est nouveau. Présenté au Salon de 1875, le tableau heurtera les esprits conservateurs. Les raboteurs peint par Caillebotte doivent à Bonnat cet art de peindre extrême, à Courbet son réalisme, à Manet l’esprit du temps. Zola reconnaîtra dans les raboteurs de Caillebotte le « décalque de la réalité », même s’il n’aime pas la facture de cette peinture « bourgeoise à force d’exactitude ».

Une image réaliste et prosaïque des travailleurs en ville dans un appartement bourgeois

Pour la facture, « Les raboteurs de parquet » doivent à Bonnat . Le sujet réaliste est bien plus emprunté à Courbet et à Millet, à Manet . Mais le sujet est ici la ville: Paris. Image « banale » que ces travailleurs manuels de ville que les propriétaires pouvaient fort bien voir à l’œuvre en rentrant chez eux. La richesse de cet appartement est signalée par les moulures dorées des lambris, la ferronnerie du balcon.

Bonnat, maître de Caillebotte, recommandait à ses élèves « Faites du vrai, plutôt que du beau. ». Selon une anecdote, l’occasion de peindre ces ouvriers au travail semble s’est présentée d’elle-même au bourgeois nanti qu’était Gustave Caillebotte. On aurait fait des travaux en 1874, dans la résidence de la famille Caillebotte, un hôtel particulier, rue de Miromesnil.

Le tableau refusé au salon de 1875 pour sa franchise trop directe. Montrer le monde ouvrier dans sa vérité ne va pas de soi. Caillebotte a choisi, non pas des ouvriers de l’industrie, mais ces travailleurs manuels de ville, proches de l’artisan. Ceci  n’arrange rien, Le peintre ne fait plus appel à la relation à la nature : le ras du sol n’est pas en terre comme chez Millet mais en bois. Et tout le monde est à genoux. Quelles étaient donc les intentions du peintre ?

Le critique d’art, Louis Enault, résuma ainsi l’opinion quasi générale des visiteurs du Salon de 1875 : «  Le sujet est vulgaire, sans doute, mais nous comprenons cependant qu’il puisse tenter un peintre… Les raboteurs de M. Caillebotte ne sont certes point mal peints, et les effets de perspective ont été bien étudiés par un œil qui voit juste. Je regrette simplement que l’artiste n’ait pas mieux choisi ses types…Les bras des raboteurs sont trop maigres, et leurs poitrines trop étroites.

Le sujet installa immédiatement  Caillebotte dans le courant réaliste,proche de Manet. A la même époque, Zola mène une enquête dans les quartiers populaires à la recherche des personnages de « l’Assommoir » . Mais l’enthousiasme documentaire de Caillebotte qui décrit précisément les outils, la manière de les utiliser, rappelle sans doute davantage le regard aigu de Degas, bourgeois explorant le monde des blanchisseuses.

Caillebotte a une approche très délibérée du réalisme. Les hommes qu’ils peint ne sont que des raboteurs, sans aucune autre interprétation possible. Leurs regards sont dirigés vers le plancher. Comme Monet ou Degas, il peint « délibérément le labeur du prolétariat urbain ».

Le traitement du nu choqua vivement les esprits conservateurs. Le critique Louis Enault écrivit : «  Faites du nu, Messieurs, si le nu vous convient(…). Mais que votre nu soit beau ou ne vous en mêlez pas. »

Construction

L’image est efficace. Certains reprocheront cependant à Caillebotte une perspective non pas inexacte pas «  bizarre », voire « japonaise ». Le critique Mans dira même qu’elle est « un peu folle, car au lieu de travailler sur un plan horizontal, les malheureux manoeuvrent sur un plan inclinés…et menacent de glisser sur le spectateur inoffensif.

Les travailleurs sont enfermés dans leur travail, tendus vers leur ouvrage

Nous avons un sentiment de proximité avec ces ouvriers. Mais nous les dominons, sans pouvoir vraiment définir à quelle hauteur nous nous situons. Pourtant, cette image est ouverte, la pièce est vue en contre-plongée, la perspective est tout à fait exacte. Il y a un prolongement à cet espace. Mais Caillebotte s’est concentré sur l’espace à raboter. Les lignes du parquet insistent sur ce choix.

La surface du parquet occupe les deux tiers de la toile. Les travailleurs sont à l’intérieur de cette surface. C’est un lieu de travail, c’est cela que Caillebotte veut peindre. Le sujet , c’est le travail. Toute la composition est donc organisée à cet effet et ceci avec beaucoup d’intelligence car la peintre ne nous laisse aucune échappatoire, les travailleurs sont complètement enfermés dans le travail.

Les hommes penchés sur l’ouvrage sont disposés selon un arc de cercle vu de biais qui crée le sentiment d’une tension, d’un effort commun et accentue le dynamisme de la scène. Le sujet du tableau, c’est le travail. Toute la composition est organisée pour traduire sa dureté. Avec toute l’intelligence de Caillebotte et sans aucune échappatoire Les travailleurs sont complètement enfermés dans le monde du travail.

Lumière

Une étude de nu dans la lumière

Il y a un extérieur à cet espace. Les raboteurs sont vus à contre-jour, la lumière irise les copeaux de bois et se reflète sur le dos des ouvriers comme sur les lattes du parquet. Les trois hommes sont face à leur ombre, très près d’elle dans une situation assez particulière.

Un peu du ciel extérieur pénètre dans cet espace: une certaine lumière de Paris, matinale, blanche, voilée légèrement par la brume: une lumière impressionniste pour cet espace réaliste.

Réalisme ne veut pas dire pauvreté. La réalité est peut-être ce qu’il y a de plus riche. Caillebotte a, pour ce tableau, choisi une certaine lumière de Paris, blanche, voilée légèrement par la brume. C’est, on peut le penser, une heure matinale ; enfin, une heure qui va bien avec ce travail.

La douce lumière de Paris, blanche, légèrement voilée par la brume, à cette heure matinale, passe par la jolie ferronnerie de cette belle fenêtre. Elle traverse les copeaux. Le reflet du jour dans les lattes de parquet qui ne sont pas encore être rabotées contient du bleu. Il fait entrer un peu de ciel dans la pièce.

La lumière tombe sur le dos des hommes et les fait briller ; elle est suffisamment forte pour qu’on ressente qu’il fait chaud, que c’est l’été. L’alliance brille à l’annuaire du raboteur au centre. Le bois râpé dessèche un peu l’atmosphère. Les hommes ont le visage un peu rouge. A côté, sur le marbre de sol du foyer, une bouteille et un verre de vin.

Il faut se garder ici d’une lecture trop rapide. Certes, au premier regard, le tableau nous en dit assez sur le travail des ouvriers.. Mais les ombres des trois hommes admirablement travaillées, ne se révèlent qu’au deuxième regard. Ces hommes sont face à leur ombre, très près d’elle. La situation est étrange pour ces corps à la carnation légèrement orangée.

Couleur

Cette gamme d’ocre, de gris, de noir, de couleur de peau légèrement orangée qui s’accorde aux différentes teintes du parquet crée dans le tableau une sorte d’harmonie qui évoque les coloris de certains instruments de musique ; la beauté et la noblesse du bois ne sont pas non plus indifférentes à Caillebotte.

Eugène Delacroix nota dans son journal qu’il observe de sa fenêtre les différences de couleurs entre les chairs d’un parqueteur travaillant torse nu et la muraille d’un immeuble. Il ne fit jamais de cette expérience le thème d’un tableau…Caillebotte, lui, s’empare du sujet. Mais il ne laisse d’autre échappatoire à l’espace des raboteurs qu’un au-delà assez pâle clos par une ferronnerie.

Matière

la matière est représentée ; ici c’est le bois et ses déchets après le travail avec les outils et l’effort des hommes.

La beauté du bois n’est pas indifférente à Gustave Caillebotte. Le tableau a l’harmonie de certains instruments de musique. Dans ce genre de peinture de représentation, la matière est bien sûr représentée ; ici c’est le bois, il occupe la majeure partie de la surface du tableau et son travail ne semble pas si aisé que cela. Au milieu de la pièce les déchets de ce travail, les beau déchets de bois, les copeaux, on peut admirer au passage comment Caillebotte les met dans la lumière de cette belle fenêtre, à la jolie ferronnerie. Cette lumière douce traverse les copeaux ; le reflet du jour de la fenêtre dans le parquet non encore raboté contient du bleu qui fait rentrer un peu du ciel dans la pièce

Dans ce calme moment d’une république retrouvée, où les mauvais coups, la guerre, la répression de 71 et l’amputation du pays s’éloignent un peu, n’est-ce pas l’image la plus vraie qu’on pouvait donner de ce temps.

Pour aller plus loin dans l’observation du tableau, voir Raboteurs de parquets, compléments.

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